- 4 -

J'ai refusé de leur parler de tout le week-end. Je suis quelqu'un de plutôt gentil, mais il ne faut pas me prendre pour un con. Pour le coup, Guylane avait raison. J'y ai vu plus clair sur Brevan. Il n'a pas quitté mes pensées. Je peux facilement en conclure que ce garçon me plaît sérieusement et je suis seul pour m'en extasier. Tristan n'est pas venu en cours. Pas plus qu'Adam. Lou-Anne ne m'a pas parlé de la matinée, prétextant un problème dans son couple. Bien sûr, elle m'a accusé d'avoir tout révélé à son petit-ami et donc, d'avoir détruit leur relation. C'est drôle parce que ce n'est pas moi qui suis avec Adam et qui ait dévoré la bouche de Tristan. Je ris tout seul devant mon plateau. Ce n'est en rien ma faute et c'est à moi d'arranger les choses, puisque évidemment, Émilie s'est rangée du côté de sa meilleure amie. Pour entendre la version du principal intéressé, je décide de lui envoyer un message.

''Pourquoi t'es pas là ? '' ''C'est à cause de Lou ? ''

Mon portable vibre entre mes mains. Il ne traîne pas.

''Nope'' ''Mal de bide''

Évidemment. C'est un peu fou de voir à quel point son organisme s'adapte à chaque situation qu'il souhaite à tout prix éviter. À moins que ce ne soit qu'un bête mensonge. Je n'insiste pas pour autant.
Après quelques bouchées de carottes râpées, je trace des sillons dans ma purée insipide. J'envie Ludiwine qui peut rentrer tous les midis à la maison. Surtout qu'aujourd'hui, je suis seul et me sens subitement abandonné, moi qui avais l'habitude d'être bien entouré.
Je relève les yeux de cette tache jaunâtre dans mon assiette quand une présence se fait sentir en face de moi.

- Je p-peux m'asseoir ?

J'acquiesce et la solitude s'évapore aussitôt qu'il s'assoit. Je n'ose pas avouer que sa présence me bouscule un peu. On ne se connaît pas et pourtant, le fait de le voir, chasse chacune de mes pensées noires. C'est d'autant plus vrai avec son discret sourire et son doux regard qui me fixe. Je ne sais pas à quoi il pense et c'est d'autant plus troublant. Mes mains deviennent moites et je les frotte sur mon jean pour les sécher. De l'extérieur, je suis certain que la scène doit être drôle à voir.

- Pourquoi tu me fixes comme ça ? je demande en me penchant vers son plateau.

Il se mord la lèvre et plonge sa fourchette dans son plat. Je jurerais avoir vu ses joues prendre un léger teint rosé.

- Pardon, je ne voulais pas paraître froid, je m'excuse en reculant au fond de ma chaise. C'est juste que... Je ne sais pas si je dois te le dire en fait.

Il hausse les épaules et me donne un petit sourire entendu.

- Ça se v-voit que tu meurs d'envie d-de me le dire.

- J'avoue. Et puis au point où j'en suis. Tristan, le gars qui était assis à côté de toi vendredi, il a embrassé la copine de mon meilleur ami. Ou c'est elle qui l'a embrassé. Sur ce coup-là, je suis pas sûr. Mais à cause d'eux, c'est le bordel entre nous et je me retrouve à ne pas savoir quoi faire pour les réconcilier.

Brevan observe son verre, moi, le broc d'eau, moi de nouveau.

- Ils t'ont laissé de c-coté parce que la copine de t-ton pot-

- Lou, je corrige.

- Parce que Lou n'a p-pas été fidèle, c'est toi qui te r-retrouves seul ? C'est pas ce qu'on p-peut définir de juste.

Il a raison, mais ça ne change rien au fait de m'être fait abandonner.

- Tu crois que je suis si chiant que ça ?

Il se pince le nez puis sa bouche fait un bruit étrange. Je rêve ou il se retient de rire ?

- Je prends ça pour un oui.

Il relâche son visage et secoue la tête avec un nouveau sourire. Sa bonne humeur va bien finir par m'atteindre à un moment donné.

- Tu as essayé de p-parler à Tristan ?

- Rien de concluant ?

- Et à L-Lou ?

- Non. Elle me fait la gueule.

Brevan ne dit rien, s'intéresse à son yaourt parfumé à la fraise, se sert un verre, puis expire un grand coup en le reposant. Laissant ses affaires et moi au passage, il se lève et cherche quelque chose au milieu des lycées bruyants. Ou plutôt quelqu'un. Il semble avoir trouvé la personne voulue, car il enfile la capuche de son sweat noir pour couvrir ses cheveux et se dirige vers une autre table. J'aperçois autour de celle-ci, Lou, Émilie et trois filles d'une autre classe de terminales. Peut-être qu'il est timide avec les filles ? Et peut-être qu'il l'est car il est attiré par les gens du sexe opposé ? Ça m'embêterait sérieusement. Quoi que rien ne soit encore certain.
De là où je me trouve, je ne peux pas entendre leur discussion, cependant, il est facile de deviner qu'ils parlent vivement. Surtout Lou-Anne qui fait de grands gestes et se lève subitement. Avais-je précisé que ce n'était pas une fille à mettre en colère ? Furieuse, elle se dirige vers moi au pas de course et s'installe à l'ancienne place de Brevan.

- C'est quoi ton problème Arllem ?

Je feins l'ignorance et mon amie se pince le nez et ricane méchamment. Rien à voir avec le geste de Brevan plus tôt.

- D'où tu envoies Brevan faire des reproches ?

- Je ne l'ai jamais envoyé.

J'observe ce dernier et Émilie, qui viennent tous deux d'apparaître derrière Lou-Anne. Elle se retourne vers lui et le fusille du regard.

- Répète ce que tu m'as dit.

Sa bonne humeur s'évapore comme neige au soleil et il descend un peu plus sa capuche. Elle semble le protéger de quelque chose.

- Que t-tu devais-

- Bon, je vais répéter sinon on en a encore pour la nuit.

Les yeux de Brevan brillent peu à peu et il triture ses doigts. Cette fille n'a plus aucun respect pour lui et ça me désole. Son problème d'élocution -parce que ce n'est pas juste de la gêne- n'est en rien de sa faute.

- Brevan ici présent m'a dit que je ne devais pas t'abandonner pour quelque chose que tu n'avais pas fait.

Je ne vais pas contredire alors je la laisse finir sa jérémiade.

- Ah ! Et que je devais assumer le fait d'être une salope.

Je ne le connais pas très bien, mais je sais que ce n'est pas le genre de garçon à n'avoir pas de respect pour les femmes.

- Tu déformes ses propos.

- On peut demander à Emy si tu préfères.

Elle se retourne et se décompose en ne voyant pas Émilie. Elle ne supporte pas de voir des gens se disputer, ayant trop endurée ça durant son enfance. Brevan subit donc un autre regard assassin.

- Et c'est encore moi qui passe pour la méchante, elle crache en se tournant vers moi.

- Évidemment. Tu n'aurais pas dû embrasser Tristan. Tu es en couple avec Adam je te ferais remarquer.

La façon qu'elle a de se mettre debout me fait comprendre que j'aurais mieux fait de taire. Mais la voir traiter les autres comme des moins que rien m'horripile. Je fais pareil afin d'affronter son regard. L'agitation de notre table ne tarde pas à intéresser tout le monde autour de nous.

- Je fais ce que je veux.

- Tu n'as aucun respect pour les autres et encore moi pour toi. Ça me désole. Mais ça doit être encore plus dur pour tes parents. Leur pauvre petite princesse qui devient une fille facile.

La gifle que je reçois me pique affreusement. Ses yeux se mettent à briller et je baisse les miens. J'avoue avoir été trop loin dans mes mots.

- Connard... Ne me parle plus. Jamais.

- C'est certain, intervient un surveillant. Vous deux, chez le CPE. Et Brevan, enlève ta capuche.

Le pauvre obéit, enfile son sac, débarrasse son plateau tout et me récompensant d'un regard fuyant. La claque n'est rien, comparée au fait de voir Brevan m'éviter. Journée de merde.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top