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Debout dans le couloir du bureau du CPE, Romain fixe ma main jointe avec celle de Brevan. J'ai l'impression de lire dans son regard tout le dégoût qu'il ressent pour nous.
- Je comprends pas comment vous faites pour vous embrasser ou vous envoyez en l'air, sérieusement.
Tristan lui aurait sûrement dit qu'il ne peut pas savoir, tant qu'il n'a pas essayé. Mais justement, je ne suis pas Tristan. Alors je ne réponds rien et serre le poing.
- Vous êtes dégueulasses... crache-t-il sur un ton acerbe, en me fixant cette fois-ci.
Mes jointures sont rendu blanches à force de me retenir de le frapper.
Heureusement, nos parents ne tardent pas à arriver et l'homme se décide enfin à ouvrir son bureau. Dans la pièce, il n'y a que trois chaises et l'une va rester vide. Romain se tient debout derrière sa mère, moi, derrière mon père et Brevan est seul. Sa mère n'a pas pu se permettre de quitter son travail plus tôt.
Notre CPE s'affaisse plus dans son fauteuil qu'il ne s'y assoit. Je crois que ça commence mal.
- Bon ! Je suppose que madame Delaunet ne pourra pas se joindre à nous. Et si nous commencions ? Brevan ?
Je le vois gratter son pouce avec l'ongle de son index. Il a l'air terrifié et ma présence ne semble pas pouvoir l'aider.
- On t'écoute... insiste l'homme.
Je me dois de l'aider, même si pour ça, je reçois des jours d'exclusion.
- C'est la faute de Romain, monsieur, osé-je répondre. C'est lui qui nous harcèle !
- Il vous harcèle ?
Le mot harcèlement au sein d'un établissement scolaire, ça fait peur au corps enseignant. Et pourtant, c'est ce qui arrive à Brevan. J'en donne pour preuve plusieurs des mots que je jette presque au visage du conseiller. Le fait de le voir à peine lire les lettres me révulse.
- Des mots qui peuvent faire mal, certes, mais ce ne sont que des mots. Est-ce que Romain t'as frappé ? demande-t-il en s'adressant à Brevan.
Il secoue la tête. J'aperçois un discret sourire apparaître sur le visage de Romain.
- C'est justement Arllem qui m'a frappé.
- Pardon ?! m'esclaffé-je. Tu m'as frappé aussi !
- C'est toi qui as commencé, je te signale !
La mère de Romain pouffe de rire et prend un mot avant de le froisser.
- Ce ne sont que des bêtises d'adolescents.
Mon père, silencieux jusque-là, étale plusieurs bouts de papier en face de lui et s'éclaircie la voix pour nous obliger à l'écouter.
- « Vous êtes des porcs » « Tu devrais te jeter sous un train, le triso » « Les pédés, suicidez-vous » « Vous devriez tous brûlés, il y aura moins de malades mentales sur cette planète » En plus, tu as fait une faute. On dit malades mentaux.
Il déchire le coin d'une feuille et le jette à la poubelle.
- J'aimerais bien les jeter, voir brûler ces lettres qui insultent deux garçons, dont mon propre fils. Mais elles constituent des preuves de ce harcèlement. Parce que oui, il n'y a pas d'autres mots pour qualifier ça.
Le CPE fait mine de s’intéresser un peu plus aux mots et il pose ses mains jointes sur le bureau.
- Pourquoi est-ce que tu as fait ça, Romain ?
- Parce que... Parce que... Parce que c'est mal d’être gay.
- Et tu crois que harceler quelqu'un, c'est bien peut-être ? intervient mon père.
J'ai envie de rire. Romain n'a pas d'argument. Pourtant, sa mère n'hésite pas une seconde pour prendre sa défense.
- Laissez Romain en dehors de ces histoires ! Ce sont ses copains qui l’influencent !
- Alors il faudrait apprendre à votre fils à ne pas se laisser influencer à la moindre occasion, ajoute-t-il.
- C'est votre fils qui a tenté le mien ! À cause d'Arllem, mon pauvre Romain a embrassé un garçon ! Un garçon !
Je me demande très sérieusement qui a bien eu envie d'embrasser Romain. Il est juste un homophobe et un imbécile. Non, le mot est trop faible pour le désigner. Romain est un connard.
- Je peux faire fausse route, mais en quoi la sexualité de mon fils concerne le votre ? À moins que ce ne soit Arllem qui l'ait embrassé, ce que je doute très fortement, ce n'est en rien de sa faute. De plus, ma femme et moi l’élevons bien et il n'aurait jamais fait quelque chose qui porterait atteinte à l’intégrité de qui que ce soit. C'est plutôt à Romain qu'il faut poser la question.
Sa mère semble abasourdie qu'on puisse reprocher quelque chose à son fils. Elle se met à me regarder et je lis tout le dégoût qu'elle a pour moi.
- C'est mal pour un garçon d'embrasser un autre garçon !
Elle détourne le regard vers mon père.
- Et le pire... Vous laissez votre propre fils forniquer avec un autre garçon ! C'est immonde leur façon de faire !
J'ai un haut-le-cœur. Comment peut-elle parler des moment intimes que je partage avec Brevan de cette façon ?
Mon père se lève d'un seul coup et la pointe du doigt.
- La manière dont mon fils vit sa vie ne vous regarde pas ! Je comprends que le vôtre soit aussi étroit d'esprit, avec une mère pareille ! On est au XXIe siècle madame ! Deux hommes devraient avoir le droit de tomber amoureux sans risquer de se faire insulter ou harceler par des connards finis comme vous et votre fils !
Sa voix a dû se faire entendre dans le couloir. Je crois que je n'ai jamais vu mon père aussi en colère. Il ramasse sa veste, prêt à quitter le bureau.
- Je n'ai jamais et je ne rapprocherais jamais à mon fils d'aimer les hommes !
Je veux me jeter dans ses bras, mais pas dans le bureau. Alors je me contente de prendre la main de Brevan dans la mienne.
- Je pense qu'on en a fini. Madame, monsieur, j’espère que ce harcèlement cessera et que Romain sera puni en conséquence. Autrement, je porterais plainte pour harcèlement moral, acte homophobe, invitation au suicide ou que sais-je encore. Et croyez moi, vous n'avez aucune envie d'avoir un procès sur le dos. Est-ce que je vous avais précisé que ma femme était avocate ? Non ? Au moins maintenant vous savez.
Il nous invite à sortir et claque bien la porte derrière lui. Une fois dans le couloir, je n’hésite pas une seconde de plus et me jette dans les bras de mon père. Mon nez se met à me piquer.
- Merci. Merci mille fois...
- C'est normal mon grand.
- Et depuis quand maman est avocate ? demandé-je en me détachant de lui avec le sourire.
- Jamais. Mais ils n'ont pas besoin de le savoir, ça.
J'observe Brevan, silencieux depuis le début du rendez-vous. Il a les larmes aux yeux, mais il sourit. J'espère sincèrement lui avoir redonné espoir. Il tend une main tremblante vers mon père, que celui-ci attrape une simple seconde avec douceur.
- M-merci.
- Je me devais de le faire. Brevan, pourquoi tu ne viendrais pas manger à la maison avec ta mère ce soir ? Ma femme fait son fameux gratin de pâtes ! Et après toutes ces émotions, tu en aurais bien besoin.
- Je veux p-pas déranger...
Je passe un bras autour de ses épaules pour le tenir près de moi et lui dépose un baiser sur la joue.
- Tu déranges jamais.
- D'accord. Je lui en-envoie un m-message. Elle devrait b-bientôt avoir fini s-sa garde.
Une fois son message envoyé, je le serre contre moi et embrasse plusieurs fois ses joues.
Je me sens tellement bien maintenant.
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