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Bien que l’extérieur de l'immeuble soit de l'inspiration du siècle dernier, ça ne ressemble pas à ces vieux cabinets qui sentent le renfermé et la vieille tapisserie. La pièce dans laquelle nous nous trouvons est bien plus belle que je ne l'imaginais. Des murs en bois clair, d'autres peint en blanc et de la moquette bleue au sol. Un aquarium prend place à côté de la porte du psychiatre. L'homme derrière le bureau de l’accueil nous envoie un sourire avant de replonger dans son travail. Tout est plutôt calme. Excepté Brevan qui se craque les doigts. J'ai l'impression que ma présence ici le dérange.

- Je ne t'en voudrai pas si tu me dis que tu préférerais que je parte, lui chuchoté-je en caressant son poignet. J'ai pas envie que tu stresses à cause de moi.

Il glisse sa main dans la mienne et entrelace nos doigts.

- Non, je veux que tu restes. Je suis rassuré à l'idée que tu sois là.

Il ne me regarde pas. Sans le lâcher, je récupère un flyers à côté de moi qui explique les différents troubles de la personnalité. Brevan observe ce que je fais et serre un peu plus fort ma main. Deux femmes sortent du bureau, l'une d'elles a les larmes aux yeux.

- On se voit mardi prochain, Sophie. N'hésitez pas à appeler si vous en ressentez le besoin.

Elle hoche la tête en s'essuyant les yeux avec un mouchoir et sort du cabinet en nous saluant. La psychiatre se tourne vers nous avec un sourire sincère et nous invite à entrer.

- Je vous en prie, dit-elle en refermant la porte derrière nous.

Le bureau est lumineux, boisé et agrémenté de diverses plantes vertes. Brevan s'assoit sur un canapé, toujours ma main dans la sienne et je prends place à côté de lui. La jeune femme s’assoit sur un fauteuil en face et récupère le carnet en cuir noir sur la table entre nous.
Sur la route pour arriver jusqu'ici, j'ai rapidement fait des recherches sur le type de problème qu'elle règle en particulier. Le docteur Rembard est une spécialiste des troubles du comportement, de l'autisme et de tout ce qui touche les interactions sociales. Elle replace une mèche derrière son oreille et sourit à Brevan.

- J'espère que ce que je t'ai dit la semaine dernière t'a aidé.

Il acquiesce et cache sa main libre sous sa cuisse.

- Ça ne v-vous gène pas qu'il s-soit là ? demande-t-il subitement.

- Pas du tout. Ça me fait plaisir de te voir accompagné. Et tu es ? s'adresse-t-elle à moi.

- Arllem, je suis son-

- Petit-a-ami, me coupe Brevan. Arllem est m-mon petit ami.

Il resserre sa prise autour de mes doigts. Un sentiment étrange m’envahit. Je crois que c'est de la fierté.
La psychiatre note quelques mots et lève les yeux vers lui.

- Est-ce que tu t'es senti triste cette semaine en te levant le matin ?

Brevan secoue la tête pour signifier que non. Après ça, il semble hésité, avant de reprendre la parole.

-Non. Pourtant, j'ai t-toujours cette douleur au f-fond de moi qui m-me dit que q-quelque chose pourrait m-m'arriver. Mais elle se f-fait chaque jours p-plus petite.

- Est-ce que tu penses que sentir cette douleur s’atténuer est dû au fait que tu te sentes capable de tenir la main de quelqu'un ?

- Je suis c-conscient qu'un garçon ne devrait p-pas avoir si peur d’être t-touché. Je sais que j-je suis malade. Ce que je s-sais aussi, c'est qu'Arllem n-ne voit pas que ça ch-chez moi. Il ne me voit p-pas juste comme un garçon m-malade. Et c'est ça, qui c-calme la douleur.

Mon ventre se tord à ses mots. Pour lui montrer tout mon soutien, je caresse sa paume de mon pouce. Je suis heureux d’être avec lui dans un moment pareil.
Brevan regarde le sol, sans rien dire.

- Qu'est-ce qu'il y a ? l’interpelle doucement de le médecin.

- À un m-moment de ma vie, je me suis d-demandé si tout ça v-valait vraiment le c-coup. Si je devais c-continuer à vivre ça t-tous les jours... À v-vivre tout court...

Je déglutis difficilement. Je sens un sanglot en travers de ma gorge.

- Puis je l'ai rencontré et j'ai arrêté de me poser la question.

Il m'observe, le regard brillant. Je ferme les yeux et tiens plus fort sa main, pour me retenir de pleurer. Je ne sais pas s'il a conscience de ce qu'il a annoncé. Du rôle qu'il vient de me donner.
La jeune femme me tend un mouchoir et je le récupère sans rien dire.

- Brevan... Est-ce qu'un jour, tu penses pouvoir être capable de pardonner à ton père ?

- Je ne s-sais pas, annonce-t-il, incertain. Jusqu'à m-maintenant, je ne me donnais p-pas la possibilité de p-pouvoir le regarder sans p-penser à... À lui. Je sais que m-mon père n'avait rien à se r-reprocher, mais il se l'est t-tellement répété, que j'ai f-fini par le p-penser aussi. Alors p-peut-être que maintenant, c-comme je me sens un p-peu libéré, je pourrais en-envisager de le revoir.

Son sourire est contagieux.
Durant le reste de l'heure, Brevan se confie sur le fait qu'il sent de mieux en mieux, plus en confiance et qu'il est prêt à vivre son adolescence. Je suis toujours là pour le soutenir dans les moments un peu plus difficile.
Après avoir pris son rendez-vous pour la semaine prochaine, nous sortons de la clinique, nos mains toujours liées et complètement allégés. Un soudain coup de vent nous fait frissonner.
Brevan me relâche, se tient au milieu de la place du quartier et hurle à plein poumons. Je suis surpris par ce qu'il vient de faire. Quelques passants se retournent vers nous. La scène doit être étrange à voir.

- Je suis vivant, putain !

Il prend mes mains dans les siennes et me sourit à en avoir des crampes aux joues.

- Je veux p-partir en vacance a-avec toi. Je veux a-aller voir la m-mer ou faire des r-randos en forêt ! On p-pourrait visiter des ch-châteaux ou nager t-tout nu dans un lac, aller au B-Brésil ou en Inde ! On p-pourrait aussi faire un s-safari ou dormir dans un i-igloo après une balade en ch-chien de traîneau !

Sa bonne humeur est contagieuse, mais je reste un peu réaliste.

- Tu crois qu'on a le budget pour faire tout ça ? ris-je en le voyant si heureux.

- On s'en fout ! On peut faire ce qu'on veut !

Il s'éloigne et tire dans une canette avec son pied, avant de la mettre consciencieusement à la poubelle. Brevan a au moins des limites.

- Je me s-sens prêt à v-vivre Arllem.

Il se retourne vers moi et s'approche pour m'embrasser doucement.

- Avec toi... souffle-t-il contre mes lèvres.

Comme s'il ne pèse rien, je le prends dans mes bras et le soulève du sol. Il rit aux éclats, noue ses chevilles dans mon dos et passe ses bras autour de mes épaules.

- Je t'aime Arllem.

Il s'accroche plus fort à moi et je plonge mon visage dans son cou. Juste pour pouvoir le sentir. Juste pour sentir sa chaleur contre la mienne. Juste pour pouvoir me dire qu'il est en vie et que son cœur bat.

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