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Mon verre semble bien trop remplis pour que je puisse envisager de passer une bonne fin de soirée. Adossé contre la façade de la maison, j'entends tout le monde s'amuser à l’intérieur et ce n'est pas mon cas, car Brevan n'est toujours pas arrivé. Regarder mon téléphone ne m'aidera pas à le faire venir plus vite, pourtant, je m'obstine. Pour m'aider à combattre ma solitude, Tristan descend les marches du perron et s'accroupit à coté de moi.
- Si tu fais une remarque, je te demanderai de rentrer à l’intérieur, je cingle en remettant mon portable dans ma poche.
Il rit et se frotte le nez en s'allumant une cigarette. C'était bien son intention et honnêtement, je n'ai pas besoin de ça.
- Brevan a dit à Émilie et Adam qu'il venait, me rassure-t-il. Je ne vois pas pourquoi il ferait demi-tour.
- Il sait qu'il y a beaucoup de monde. Peut-être trop pour lui.
- Il ne te ferait pas ça.
Je tourne la tête vers lui pour chercher à comprendre ce qu'il veut dire réellement, mais il a le nez sur son propre portable et se détend le poignet recouvert d'un bandage avec une grimace.
- Je sais ce que tu regardes et non, je ne te dirais pas avec qui je discute.
- Ton futur plan à trois ?
- Gagné. Non, en fait c'est Noé.
- Il va bien ?
- Oui, il dormait chez un copain ce soir. Et oui, il a une vie sociale malgré son handicap.
- C'est cool s'il a des amis. Ludiwine aussi l'aime bien.
- Plus que bien ?
- Arrête avec ça.
C'est vrai que depuis le CP, Noé et Ludiwine ont toujours été dans la même classe. Ma petite sœur l'a même souvent défendu contre des idiots et contre ceux qui l'insultent sans raison. Nos frère et sœur respectifs sont amis. Rien de plus.
- Mon frangin est plus apprécié que moi, c'est fou ça !
- C'est facile pour être plus apprécié que toi.
Tristan rit et regarde à l'autre bout de l'allée, sa cigarette finit de se consumer entre ses doigts.
- C'est pas tout ça, mais il faut que je trouve une jolie demoiselle qui voudra bien de moi, il déclare en se relevant.
- Pourquoi tu crois que je t'ai laissé inviter les trois classes de terminal ?
Il me dit de laisser tomber d'un geste de la main, récupère mon verre et je l'observe disparaître à l’intérieur en fermant la porte.
Je me retourne quand une main attrape la mienne avec délicatesse. Je réponds alors au sourire de Brevan. Il porte un sweat à capuche blanc décoré de la vague de Kanagawa, ainsi qu'un jean au bleu délavé. Mais ce qui est le plus surprenant, c'est le léger coup de crayon noir sous ses yeux bleus, qui parvient à faire ressortir leur teinte.
- Merde ! Tu... T'es... Beau.
J'en perds mes mots, ce qui doit me rendre ridicule. Pour autant, son sourire ne disparaît pas.
- Merci. Tu n'es p-pas mal non p-plus.
Je fixe mes baskets noires, sans savoir quoi répondre et lui propose finalement de marcher jusqu'à la porte d'entrée. Au fond de moi, j'appréhende un peu la suite des événements.
- Tu veux boire un truc ?
- Sans a-alcool, alors. J'ai pas le d-droit avec mon t-traitement. Et c'est p-possible sans bulle ? J'aime p-pas les boissons g-gazeuses.
J’acquiesce et me dépêche de filer à l’intérieur pour en récupérer. Adam me tend deux verres de jus, mais il me retient quelques secondes en les ramenant vers lui.
- Brevan ?
Je réponds par monosyllabes et lui arrache quasiment les verres des mains. Il lève ses deux pouces pour m'encourager et je prends une grande inspiration pour m’asseoir avec Brevan sur les marches devant l'entrée.
- Merci. Je suis d-désolé d’être arrivé en r-retard. Ma mère a f-fini tard son s-service, il s'excuse en prenant son gobelet.
- T'inquiètes pas. J'avais juste hâte que tu arrives, c'est tout. Si tu as faim, je pourrai te donner une part de lasagne. Les bougies étaient dessus, pas très classe, je sais.
- C'est o-original, il répond. Comme cette m-maison. Elle est à t-ta famille ?
- Non, mes parents la louent pour le week-end. On doit la rendre propre demain dans l'après-midi. Pour l'heure exacte, je ne me souviens plus.
- C'est une g-grosse soirée du c-coup.
- Ouais, on n'a pas tous les jours dix-huit ans ! J'espère que ça ne te gêne pas.
- Non. Enfin... Un p-peu. Mais il faut b-bien que j'apprenne à v-vivre comme un ado.
Son regard se perd dans les étoiles et le mien dans le sien. J'aime y rechercher les variations de bleu. Nos mains libres se serrent sur le carrelage froid et je ne sais pas s'il en est conscient. Il chante simplement l'air de la chanson diffusée au milieu du salon.
- Ah oui ! lâche-t-il d'un coup. Ton c-cadeau ! Ferme l-les yeux !
Brevan repose son verre sur une marche et fouille dans le fond de son sac, que je viens seulement de remarquer. Il s'injure en me voyant toujours les yeux ouverts.
- Triche pas et f-ferme les yeux. Tends moi t-ta main aussi.
Sur le coup, je suis un peu déçu en rouvrant les yeux, car pour être honnête, je m'attendais à autre chose de sa part. Mais je chasse rapidement cette pensée en voyant le bracelet dans la boîte. Trois petites tresses de cuir, nouées ensemble pas un médaillon argenté sous la forme d'un chien-loup.
- C'est...
- Moche ? Tu as l-le droit de le d-dire.
- Non ! C'est super, j'adore, vraiment. Je suis sincère.
Je souris franchement et lui demande s'il peut m'aider à le mettre. Un frisson remonte le long de mon dos quand ses doigts s'attardent sur mon poignet. Avec son pouce, il joue un instant avec le morceau de métal stylisé, puis m'observe avec tendresse.
- J'ai un autre c-cadeau aussi. Tu... Tu peux r-refermer les yeux ?
J'obéis et fais attention à chacun des sons qui m'entourent. Comme si, intérieurement, je sais que ce n'est pas un bijou que je vais recevoir, mais quelque chose de bien mieux.
Je sens les doigts de Brevan toucher de nouveau les miens. J'ai également l'impression de l'entendre se relever vers moi.
- Garde bien les yeux fermés.
Il ne bégaie pas et ça ne me donne que plus envie de le voir. Notamment quand il pose sa main sur ma joue et que je sens son souffle sur moi. Une seconde de plus suffit pour que ses lèvres se posent doucement sur les miennes. Je devrais sauter de joie de vivre ça. Pourtant, quelque chose m'échappe. Je ne ressens rien vis-à-vis de mon premier baiser avec lui. Mon premier baiser tout court.
Quand je rouvre les yeux, il est facile de deviner que mon manque de réaction le trouble.
- Brevan... je commence.
- Toi aussi t-tu l'as ressenti ? Enfin... Rien r-ressenti.
- Peut-être que si on retente...
Il hausse les épaules. Déterminé, je prends doucement son visage entre mes mains et dépose un baiser sur sa bouche. Comme précédemment, il ne se passe rien. Rien de ce qui est décrite dans les histoires ou ce que l'on voit chez les autres en tout cas.
- Peut-être q-que l'on est p-pas fait pour ç-ça.
- Tu sais que je refuse de partir vaincu là-dessus. Si ça se trouve, ce n'est pas le bon jour. Ou que la situation n'est pas adéquat.
- T'es c-convaincu que ça m-marchera ?
- Plus que jamais. J'ai envie de ressentir des choses quand je t'embrasse.
Son visage toujours entre mes doigts, c'est lui qui vient récupérer un baiser.
Je ressens un bref frisson.
Évidemment que ça marchera.
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