- 1 -
Est-ce qu'il faut être quelqu'un d'exceptionnel, beau, populaire ou juste le héro d'un grand roman pour vivre une histoire d'amour ? J'espère bien que non. Car je n'ai rien de tout ça. Ma vie se résume en peu de chose. Faire mes devoirs (chose que je n'apprécie pas forcément), traîner avec le groupe d'amis que je connais depuis le primaire et rêver au beau jour où j'embrasserais enfin un garçon pour la première fois. Ne faites pas ces têtes-là. Je suis gay et je m'assume comme tel. À peu de choses près. Par exemple, je n'ai jamais jeté des paillettes en forme de pénis sur les gens pour la Pride. Je n'ai d'ailleurs participé à aucune Pride. Je ne sais pas si c'est quelque chose que chaque homosexuel, qui reconnait l'être, doit faire. Il faudrait un livre pour y répondre, je crois bien.
La question qui vient souvent quand je réponds que oui, j'aime les hommes, c'est : Comment t'as su ? Réponse simple. Je le sais depuis que j'avais vu le remplaçant de mon prof de maths en quatrième. Probablement cliché, mais véridique. Un peu trop vieux pour moi - légalement, il l'était - mais ses biceps de sapeurs-pompier et son étrange capacité à me faire aimer les équations m'avait terriblement plu. Dommage que mon amour pour cette matière n'a pas suivi ma scolarité.
Voilà pourquoi je me retrouve assis par terre, mon cahier de cours entre les mains. Rien ne veut rentrer et le peu de chose qui ose pénétrer ma pauvre mémoire, s'efface aussitôt. Adam, n'a pas ce problème. Il règle tout ça avec des notes dans sa trousse. Lui, qui par ailleurs, insulte son casier et l'ancien lui pour n'avoir pas pensé à faire tel ou tel notes. Il me jette un regard en biais, du haut de son mètre soixante-huit virgule sept (il y tient beaucoup à ces chiffres) et pousse ma jambe avec la sienne.
- T'as pas un stylo ?
- Oui. Mais, je ne te le donnerais pas. Tu ne m'as pas rendu l'autre, je réponds sans lever les yeux de mon cours.
Il claque la porte en fer et s'accroupit à ma hauteur. Je le regarde et il me gâte de sa terrible expression de chien battu. Il ne faut pas deux secondes pour que je cède et lui donne le dernier des survivants de ses attaques. Un coin de page et un griffonnage de formule plus tard, le stylo atterri dans mon cahier. Adam se lève et glisse la note dans un autre casier, à l'opposé du sien. Le seul sur toute la rangé avec un stickers de cheval fait main. Ce n'était donc pas une formule, mais peut-être un petit mot d'amour. J'espère ne jamais devenir aussi niais que lui quand je serais amoureux. Je range mes affaires au fond de mon sac et me relève, à moitié prêt à assumer ma prochaine note.
- Tu sais qu'elle ne lis jamais tes petits mots.
- Elle te l'a dit ?
Son ton ne semble ni surpris, ni las. Il est simplement indescriptible.
- Non, mais je suppose qu'elle sait que tu l'aimes et qu'elle n'a pas besoin de post-it pour le comprendre. Tu n'as pas besoin non plus, de lui dire tous les jours.
Adam hausse les épaules et grimpe les marches menant à notre salle, moi sur ses talons.
- D'où tu t'y connais en relation amoureuse toi ? Adam un, Arllem zéro. Si je ne lui dis pas, j'ai l'impression qu'elle l'oublie et je ne veux pas moi, qu'elle m'oublie.
- Vous vous voyez tout le temps, ici.
- Justement ! Je ne veux pas qu'elle pense que je n'assume pas notre relation en dehors des cours.
- T'es limite chiant comme copain, en vrai.
- Tu pourras commenter quand toi aussi, tu auras des problèmes de couple.
Adam deux, Arllem zéro tout pointé.
Je lui donne un coup dans l'épaule pour la forme et rejoins les filles devant notre salle de cours. Émilie récite à demi-mot ses théorèmes, tandis que Lou-Anne se jette presque dans les bras de son bien-aimé pour l'embrasser. Le pauvre croule presque sous son poids. Ne vous méprenez pas, il y a simplement vingt centimètres de différence entre eux deux. Et l'un comme l'autre ne s'en plaint. J'imagine qu'il doit y avoir des avantages là-dessous.
Pour leur laisser un peu de temps dans leur bulle d'amour, je me penche par-dessus l'épaule d'Émilie pour lire ses fiches. On lui a toujours dit qu'elle avait une écriture de médecin, mais qu'on était heureux qu'elle prenne en note chaque chose que l'on pensait insignifiantes. Tristan arrive enfin, en dernier pour ne pas changer, et rien qu'à son sourire, on sait déjà de quoi il est question.
- Qui vient à la soirée ? Vous êtes obligé de venir. Faut bien décompresser après un contrôle de maths qui risque fort d'être foireux.
N'écoutant que ma détermination, je secoue la tête. Je me vois mal finir la tête dans la cuvette et commencer le week-end avec une gueule de bois. Tristan me gracie d'une tape dans le dos et se retourne vers le petit couple.
- Et vous les tourtereaux ?
- Toujours partant !
Ils ont répondu d'une même voix. Leur complicité n'est plus à refaire. Tristan semble mourir de chaud avec son bonnet et je le vois se retenir de le retirer. Je crois deviner ce qui le tracasse. Il m'en avait parlé la veille par message et je n'y avais pas trop cru.
- Monsieur Asselin, votre bonnet, ordonne subtilement une surveillante en le fixant.
N'ayant plus d'autres choix, il retire sa laine et nous offre une nouvelle tendance capillaire. Ses cheveux sont désormais auburn, en parfaite adéquation avec ses yeux gris anthracite. Au bout du compte, il l'a fait. J'ai le droit à un sourire entendu qui me chatouille le ventre.
J'avoue avoir aimé Tristan pendant un temps. Il est de ceux qui ne manquent pas de confiance en eux. Il porte des vestes en jeans, des baskets customisées, fume (pas toujours la cigarette), a un tatouage abstrait sur le biceps, des piercings aux oreilles et un début de barbe sur le menton. Et en vu de sa taille, de son visage et de son beau regard, le mannequinat lui tend les bras. Tristan rigole fort aussi, il chante divinement bien et se teint les cheveux. Seulement voilà. Il n'est en rien attiré par les garçons et encore moins par moi. J'ai donc fini par m'y résoudre. Excepté une minuscule partie de mon subconscient qui a tendance à refaire surface.
Notre professeur choisit ce moment pour apparaître, le paquet de sujets dans les mains. Il nous donne un sourire, imaginant que chacun aura plus de la moyenne (douce utopie) et nous ouvre la salle. Tristan profite de l'attroupement pour me prendre à part, un bras autour de mes épaules.
- Tu vas venir à cette soirée, car tu n'as pas le choix et je te jure que là-bas, tu vas rencontrer l'homme de ta vie, déclare-t-il sa main sur ma poitrine.
Je remercie sa détermination d'un bref sourire et me dégage de lui pour prendre ma place. En somme, Tristan est Tristan et je ne suis que moi. C'est aussi pour ça qu'on l'apprécie autant dans la bande. Il apporte un petit plus qui fait tout la différence et qui nous fait nous sentir bien.
On retrouve chacun notre coin, contre le mur, en plein milieu de rangée. Les filles sont derrière, Adam est à côté de moi et Tristan juste devant. Les places sont identiques depuis le collège. Un silence de mort règne quand Monsieur Granet distribue les feuilles et tout le monde sort copies blanches, calculatrices, stylos et cartouches d'encre. Du moins pour moi et Émilie. Nous sommes des adeptes du stylo plumes.
Il nous souhaite bonne chance et tous les sujets se retournent. Un échange de regard avec Adam et je sens une pression m'envahir. « On considère la fonction f définie par f(x) = 8/x2+3... » Grand Dieu ! Faites que quelqu'un s'évanouisse. Ça serait sympa que ce soit moi par tout hasard. Mon corps refuse de lâcher et mes muscles se tendent à force de serrer mon stylo. Je sursaute ainsi que toute la classe, quand un surveillant frappe à la porte et entre en s'excusant. Notre sauveur est intervenu en moins de vingt minutes. Il se penche vers notre bourreau assis derrière les copies d'autres victimes, pour lui chuchoter quelque chose. Ceux du premier rang se penchent discrètement à leur tour pour entendre, mais rien ne semble concluant.
Quand le surveillant se lève pour repartir, je le remercie intérieurement de m'avoir sauvé quelques minutes. Mais il n'en fait rien et invite quelqu'un à rentrer. Le fameux nouvel élève qui devait bel et bien arrivé aujourd'hui, mais dont j'avais complètement oublié l'existence. Un silence plus oppressant se fait entendre seulement briser par mon stylo qui glisse de mes mains pour rouler jusqu'à la table de Tristan.
Je n'ai jamais cru au coup de foudre, pensant que cela n'arrivait que dans les comédies romantiques bidons de mes sœurs. Pourtant, là, je n'ai pas d'autres mots pour exprimer le coup que je viens de recevoir en pleine poitrine. Je ne sais pas si l'on peut tomber amoureux en un quart de millième de seconde, mais je sais néanmoins que mon cœur ne m'appartient déjà plus.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top