Chapitre 3 : Rencontre salvatrice
C'est pas la faim qui m'a réveillé, ni la sensation de repos qu'on peut avoir après une bonne nuit de sommeil, ni le chant des oiseaux et encore moins les rayons du soleil. Non, ce qui m'a éveillé, c'était l'humidité et le froid. En reprenant mes esprits, j'ai pris appui sur mes bras pour me lever. La forêt m'encerclait toujours, je gisais sur le sol avec pour seul coussin et matelas, de la mousse à la couleur vert pâle. Malgré le choc de cette nuit, mon état pitoyable et mon mal de crâne qui n'arrangeait rien, il n'était pas difficile pour moi de retracer les derniers évènements. J'ai couru à perdre haleine dans la forêt une majeure partie de la nuit, n'y voyant pas grand-chose, je me suis cassé la gueule sur des ronces, racines et autres trucs, dans l'espoir de sortir de là et trouver des gens ou un abri, voire les deux. Et finalement, j'ai dû me laisser tomber de fatigue après ma course effrénée.
Une fois debout, j'ai pu constater mon manque de progression : toujours perdu, toujours seul, toujours aucune idée de comment rentrer chez moi et de pourquoi j'étais là. Sauf que mon ventre réclamait à manger, ma gorge de l'eau, mon corps du repos et de la chaleur. Parce qu'à cause de la rosée du matin, je grelottais dans mes maigres vêtements. Un t-shirt gris, un pantalon noir et des baskets grises ; bien sûr tout me donnait l'allure d'un mendiant étant donné que j'avais déchiré et abimé mes affaires pendant ma fuite.
Mais je ne pouvais pas prendre le temps de pleurer sur mon sort. Première étape : sortir de la forêt. Même si j'étais fatigué de ma nuit, qui a dû être très courte, me mettre en mouvement permettrait sans doute de me réchauffer. Les bois s'étendait à perte de vue, enfin, c'est ce qu'il me semblait la veille. Mais un brouillard opaque a recouvert le sous-bois au matin. Ce qui bien sûr ne m'aidait pas à me repérer. J'ai décidé de poursuivre dans la direction vers laquelle je m'étais levé ce matin, qui devait être l'opposée de mon point d'arrivée. Comme je n'étais pas sorti de la forêt en une nuit, faire le chemin en marche arrière ne m'aiderait pas. Et cela devait m'éviter de tomber sur la créature de l'autre soir.
Ayant considéré qu'en l'absence de repaires, c'était ma meilleure option, je mis mon plan à exécution. Ça m'a donné l'occasion de réfléchir. Au final, dans mon malheur, j'ai eu de la chance. Oui, de la chance que cette bête ne m'ait pas poursuivi ou qu'une autre ne m'ait pas prise pour cible dans mon sommeil. Alors j'ai marché pendant encore deux bonnes heures au moins, ma petite montre en plastique rouge marchait encore, toujours ça de pris.
À un moment, je fus pris d'une intuition étrange, du même genre que celle face à la créature. On m'observait. J'ai à nouveau dégainé mon opinel, la seule arme que j'avais. C'était maigre comme défense, mais suite à ce qui m'est arrivé cette nuit-là, si je ne prenais pas rapidement ce genre de réflexes, je ne ferais pas long feu.
En scrutant la brume et les mouvements que j'y percevais, je m'aperçus que ce n'était pas une créature, mais ça avait une forme humaine. Il m'était possible de négocier, au moins.
Je criais à travers la brume : "Qui êtes-vous et qu'est-ce que vous voulez ?"
La silhouette sortit du brouillard, un homme dans la cinquantaine avec une dégaine de cow-boy accompagné d'un enfant semblant du même âge que moi me faisaient face. Je tenais toujours fermement mon couteau d'une main, le brandissant vers eux en espérant être menaçant.
Mais il faut croire que mon âge jouait contre moi. Le vieil homme sembla parler pour lui-même ou alors à l'enfant se tenant à ses côtés : "Le deuxième en moins d'un mois, à ce rythme, je vais ouvrir une garderie."
"Vous avez pas répondu à mes questions !"
Il me détailla du regard en s'arrêtant sur mon couteau, puis sur mon visage : "Assez convaincant pour ton âge. T'es sans doute plus un dur à cuir que lui."
Il donna une tape sur l'épaule du garçon. J'en profitais pour jeter un œil aux alentours. Si c'était un guet-apens, des complices se cachant dans la brume pouvaient profiter d'un moment d'inattention pour m'avoir.
Il reprit : "En te regardant, je dirais que tu viens d'arriver, dans la soirée peut-être. Si t'as survécu jusque-là, on arrivera sans doute à faire quelque chose de toi."
J'ai décidé de me relâcher un peu, s'ils étaient agressifs ils n'auraient pas pris la peine de le cacher aussi longtemps : "Et je peux savoir ce que vous voulez faire de moi au juste ?"
"Je pense que t'as dû vivre une expérience bizarre avant de te retrouver dans cette forêt et que d'autres on suivit."
J'effectuais un léger mouvement de tête comme confirmation avant de le laisser continuer : "Je pense que tu ne seras pas ravi d'apprendre que tu es maintenant dans un autre monde. Enfin si tu ne t'en es pas déjà rendu compte par toi-même. J'ai pris l'habitude de recueillir les gens comme toi et lui. Si tu veux te joindre à nous et je te le conseille, tu es le bienvenu, à condition d'arrêter de pointer ce truc sur nous."
Je baissais enfin mon couteau en marchant prudemment vers eux : "Qu'est-ce qui m'attends si je viens avec vous ?"
"Tu poses beaucoup de questions. Mais après tout je peux pas t'en vouloir, ce qui t'attends ... Un endroit avec d'autres gens comme nous, à manger, et des réponses, ça te convient p'tit gars ?"
"Ouais, je marche avec vous."
"Dans ce cas, suis-moi, et en silence, les saloperies qui rodent dans cette forêt sont pas faciles à repérer et encore plus à tuer."
Il se retourna et se remit en marche comme si de rien n'était. Le garçon sur ses talons, je les rattrapais en pressant le pas. Ils étaient peut-être ma meilleure nouvelle de la journée, après tout. Je m'occupais de ranger le couteau dans une de mes poches quand le garçon se mit à ma hauteur.
L'air intéressé, il me questionnât : "Je m'appelle Brock et toi qui es-tu ?"
Si je devais remettre ma vie entre leurs mains, il était inutile d'inventer un faux nom pour l'instant. Et d'un autre côté, si j'avais vraiment basculé dans un nouveau monde, quels moyens avaient-ils pour savoir si je mentais. J'ai quand même décidé d'être honnête : "Je m'appelle Artas."
En tout cas le vieux n'était pas sourd, car il nous réprimanda immédiatement : "Je vous aie dit quoi ! Bouclez-la, vous aurez tout le temps de papoter quand on arrivera, en attendant, silence."
Il nous fallut un peu moins de deux heures pour sortir de la forêt. Durant le trajet, le vieux dont j'ignorais toujours le nom nous accorda de l'attention que pour nous intimer le silence. Brock, bien que plus sympathique d'aspect, conservait un certain air hautain qui me déplaisait. Mais après tout, dans mon état physique et émotionnel je ne devais pas inspirer confiance non plus. J'avais d'autres préoccupations en tête, comme par exemple : digérer le fait que j'étais potentiellement perdu dans un autre monde. Mais si ce que le vieux disait se révélait être la vérité, je pouvais obtenir des réponses là où on se rendait.
Après avoir quitté la forêt, le vieil homme nous entrainât sur une route. Avant de se rendre au niveau des habitations il me donna une sorte de torchons gris sortit de la sacoche qu'il portait à l'épaule droite. Brock était affublé d'un modèle semblable. Il me fit part des directives pour la suite du voyage, parlant d'une voix sérieuse de sorte que je ne perde pas une miette de ce qu'il me racontait. Cela témoignait de l'importance de ses consignes : "Écoute petit, on est pas le bienvenue ici. Alors couvre toi la tête avec ça, et rentre tes mains dans les manches de ton manteau. Je répète pour toi aussi Brock. Vous me suivez tous les deux sans faire de bruit. Essayez de regarder soit mon dos, soit vos pieds. Ça risque d'être compliqué pour toi petit, mais limite les œillades. Et plus que tout, ne vous faites pas remarquer. C'est compris petit ?"
"Je m'appelle pas petit, mais Artas. Et oui, j'ai bien compris."
"Maintenant que t'as bien flatté ton égo Artas, on peut y aller en silence ?"
À ce moment-là, on devait être aussi agréable l'un pour l'autre. D'une part je m'en voulais un peu parce que je devais jouer les durs et faire attention à ne commettre aucune erreur si je voulais avoir une chance. Et d'autre part, ce vieux schnock me le rendait bien : "Oui, on peut y aller, et je vais me taire."
Nous n'avons pas eu à marcher longtemps, mais le peu que ça a duré fut éprouvant pour mes nerfs. Non pas que la marche était dure, mais parce que je devais lutter contre la tentation de fixer d'un air ébahi les passants qu'on croisait. On pénétrait dans une sorte de bourgade, mais pas accueillante pour un sou. Ça ressemblait à ces lieux dits dans les Westerns, avec une allée centrale, des ruelles pleines de poussières, peu de gens dans les rues et une atmosphère pesante. Mais le manque de chaleur ou plutôt le froid qui s'infiltrait dans chaque parcelle de mes vêtements rapprochait plus cet endroit du cadre d'un film d'épouvante.
Et les habitants du coin n'aidaient pas à me sentir rassuré. Si certains d'entre eux faisaient la manche, la majeure partie inspiraient autant confiance qu'un dealer de drogue dans une ruelle sombre passé minuit. Le regard menaçant, la gestuelle prédatrice et les mains agiles ; tous les ingrédients nécessaires pour une agression en règle.
Et le plus malaisant, c'est qu'ils n'avaient rien d'humain. J'ai eu le temps de voir plusieurs sortes de morphologies durant la traversée de l'endroit, assez pour me rendre compte qu'ils ne pouvaient pas tous appartenir à la même espèce. Ça ne servirait à rien de tous les décrire. Mais j'ai réussi à remarquer un profil qui revenait assez souvent.
Il s'agit de personnes de taille normales, mais cela reste la seule forme de normalité chez eux. Leur peau est recouverte d'écailles comme les reptiles. La plupart avaient les ongles longs et affuté à l'instar de prédateurs. Leurs oreilles en pointes me rappelaient celles des elfes du Seigneur des anneaux. Et quand ils ouvraient la bouche, leurs dents étaient taillées en pointe, elles paraissaient aussi tranchantes que la lame d'un couteau. Mais la particularité la plus étrange chez eux est leur chevelure. Ce qui s'en rapproche le plus dans le monde humain serait des dreadlocks. Mais en regardant, même un court un instant, comme je l'avais fait, on pouvait se rendre compte qu'il s'agissait bien de sortes de tentacules parsemant le sommet de leur crâne. À certains moments, j'avais l'impression de les voir bouger.
Même si j'avais souhaité parler, aucun son n'aurait pu sortir de ma bouche. Je n'allais pas jusqu'à la laisser entrouverte de stupéfaction, mais mes yeux guettant tout ce qui pouvait se rapprocher d'un acte de violence donnaient déjà un bon aperçu de l'état de panique dans lequel j'étais.
La traversée n'a pas dû durer plus de cinq minutes, mais il est inutile de préciser que pour moi ça a paru bien plus long. Nous avons rasé les murs comme des lépreux pendant toute la marche en faisant attention d'être les plus discrets possibles.
Après s'être éloigné et enfoncé dans une autre zone forestière accessible depuis le village, notre guide ôtât sa capuche. D'un geste, il nous intimât de faire de même. Je ne me fis pas prier, je préférais de loin avoir un large champ de vision aux vus des expériences que j'avais vécues en moins de vingt-quatre heures. À supposer que le temps fonctionnait de la même manière ici.
Je ne voulais pas demander quand on allait arriver à destination, pour ne pas passer pour un enfant impatient et insupportable. Mais le vieux anticipât ma demande : "C'est à dix minutes d'ici, juste derrière cette masse d'arbre sur le côté droit de la route."
Je ne lui ai pas accordé de remerciement puisqu'il semblait évident qu'il n'en voulait pas. On était plus vraiment contraint de marcher en silence, mais c'est ce qu'on a continué à faire. Le guide du genre peu bavard de nature, mon compagnon de route voulant de toute évidence ne pas énerver le premier et moi dans tout ça qui devait digérer tout ce que je venais de vivre.
Au bout d'un moment, on déboucha sur un bâtiment au milieu d'une petite clairière. Au premier abord, on aurait dit une grange ou un autre bâtiment qu'on voit dans les fermes. Et ça devait bien être sa fonction première, mais de nombreuses protections dans sa conception et à ces alentours cassaient cette illusion. Et je pense que vu ce qui rôde dans les bois, c'était une bonne initiative.
En arrivant, le vieux fit un signe de main vers le haut du bâtiment. Un homme et une femme tous deux athlétiques, bien qu'un peu maigres, montaient la garde depuis des fenêtres du haut de la "grange". Je ne les avais pas remarqués avant que le guide leur fasse signe. Je n'ai pas réussi à voir s'ils étaient armés, mais s'ils étaient postés là, j'ai supposé que oui. La présence de notre chef de marche a dû suffire pour nous laisser passer sans avoir à entendre un "Ohé, qui va là !"
Notre indicateur en face de la porte toquât cinq fois dans ce qui semblait être un ordre précis, comme une combinaison de digicode que tu apprends par cœur. Contrairement à ce que mon cerveau emballé par l'ivresse de la situation imaginait, la porte ne s'ouvrit pas "comme par magie." Au lieu de ça, une petite tête craintive sortit de la fenêtre à deux pas de la porte.
Une voix reflétant l'allure du spécimen demanda : "Oui, c'est qui ?"
Le vieux ne daigna pas décliner son identité et répliqua un simple : "Ouvres !"
L'homme chétif s'est dépêché d'obéir à cet ordre comme s'il avait le feu aux fesses. La porte s'ouvrit nous laissant voir l'intérieur de la salle. Ça avait tout de l'allure d'un mélange entre une grange, un grenier et un local d'entreprise. De nombreuses caisses s'entassaient çà et là dans cette immense pièce. Le sol malgré des traces de coups de balais était recouvert de poussière et de paille entre autres.
En ce qui concerne les différentes personnes présentes, à mon grand soulagement, tous étaient des humains. Ce qui me rassura moins fut leur état. Les personnes que j'ai déjà croisées constituaient sans le moindre doute les meilleurs éléments du groupe, ceux que je voyais devant moi semblaient faibles, maladifs et affamés. Ils reposaient sur des paillasses plus ou moins élaborées. Mais ce qui me vint le plus naturellement comme comparaison, c'est la maison dans laquelle j'ai grandi, donc loin d'être un confort en termes de luxe. Pour ça au moins, je n'étais pas dépaysé.
Je me suis retourné pour voir comment la situation évoluait derrière et m'assurer une dernière fois que ce n'était pas un piège. Dans ce genre de situation, on est jamais assez prudent. L'homme qui nous a ouvert s'est excusé auprès du vieux. Et ce dernier s'est contenté de lui répondre : "Mon pauvre con, tu sais pas reconnaitre ma trogne quand tu la vois maintenant ? La prochaine fois soit un peu plus avisé et réactif. Ça pourrait te coûter la vie un jour. Maintenant referme la porte, avant que je te troue le cul d'un coup de pompe."
"Oui monsieur." répondit le pauvre gars semblant blêmir de honte en tremblant de toutes les fibres de son corps.
Le vieux se retourna vers nous : "Un gentil petit gars lui, mais la capacité d'adaptation d'un mégot de cigarette. Brock, j'ai autre chose à faire que de jouer les baby-sitter, alors occupe-toi d'accueillir notre nouvel invité. Montre-lui ce qu'il y a à voir. Et dis-lui ce qu'il a besoin de savoir."
Brock acceptant, visiblement à contre cœur : "Ouais, bien sûr, pas de problème."
On regarda tous les deux pendant quelques secondes le vieux s'éloigner pour aller au fond de la grange, en voyant les rares personnes sur son chemin s'écarter pour le laissez-passer, par signe de respect et peut-être de crainte.
Après s'être assuré de se trouver hors de vue et d'ouïe du vieux schnock, Brock m'annonça de façon un peu théâtrale : "Bienvenu au refuge."
Pour appuyer sa présentation, il me donna une tape sur l'épaule avant de se mettre face à moi et en écartant les bras d'une manière qui voulait dire "admirez le travail."
Je répliquais d'un ton sec, mais que je voulais un peu drôle : "Vous vous êtes pas trop cassé le cul pour le nom ?"
Et surprise agréable, cette fois, Brock laissa échapper quelques éclats de rire.
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