Prologue - 1



Entends ma voix, monde.
Les étoiles tombent du Ciel et la Terre se crevasse.
La mer est furieuse, ses vagues nous noient.
La tempête de cendres nous aveugle et nous étouffe.
De sombres maladies emportent les nôtres.

C'est un démon qui t'a créé, monde. Son visage est caché derrière chaque chose.
Ce dieu fou a déséquilibré les quadrants.
Mais l'univers doit revenir au centre du cercle, toujours.
Chaque chose naîtra de son contraire.
De l'ordre qu'il a voulu, naîtra le chaos.
Du chaos qu'il a engendré, naîtra l'ordre.
De la vie qu'il a faite sienne, naîtra la mort.
De la mort qu'il a jetée sur nous, naîtra la vie.
Ainsi commença notre ère.


Livre de l'Éveil, premier verset


2251

La planète était devant eux, hologramme translucide légèrement irisé. Rouge, violet transparent, des couleurs assez vives même pour qui ne possédait par de lunettes de Vision Augmentée.

« Et c'est ce que vous pensez. »

Okrane d'une trentaine d'années, Tialm commandait le Nayaka depuis quelques mois. C'était un poste à haute responsabilité : la flotte ne comptait que dix vaisseaux de classe Alizé, les plus rapides de l'Exadiel. Ils sillonnaient les systèmes connus pour des missions prioritaires, voire, à de grandes occasions, suivaient les lignes d'éclaireurs alephs dans l'exploration de nouvelles routes.

Ses barrettes et épaulettes bleues, fixées sur son uniforme gris, déclinaient l'indigo de ses cheveux, à la coupe réglementaire de la Force de Soutien Spatiale. Il ressemblait beaucoup à un humain pour son espèce. Seuls les lobes d'oreille inexistants murmuraient le contraire.

« Je pense qu'il est sur cette planète depuis maintenant plusieurs décennies » répéta Almira.

La jeune femme resta longuement dans la même posture. La réponse de Tialm se faisait attendre. Plutôt que d'échanger le moindre regard, il faisait pivoter les hologrammes et consultait les données.

« Cela ne fait que soixante ans que nous avons modifié la biosphère de Mondor. Beaucoup des environnements de la planète sont encore fragiles. Et les quatorze colonies ne comptent que vingt millions d'habitants.

— Qu'essayez-vous de me dire ?

— J'ai très bonne mémoire de ce qui s'est passé dans le Système Sol en 2143. Je ne pense pas que cela puisse se reproduire ici, maintenant. À tout le moins, ce n'est pas le bon moment.

Almira le gratifia d'un sourire des plus ironiques.

— Qui êtes-vous pour décider des plans de C ? lança-t-elle.

— Personne, dit le commandant en évacuant les hologrammes par quelques mouvements des mains. Et c'est bien pour cela que j'obéis aux ordres de l'Exadiel. Vous deviez vous rendre sur Mondor. Nous serons sur Mondor dans quelques heures.

— Vous vous êtes déjà rendu sur cette planète, commandant ?

— Je ne vais que là où va le Nayaka, Almira-sen. Le pont d'Arcs Kzran-B est très instable. Mondor est une planète admirable, m'a-t-on dit, mais s'y rendre coûte cher. Et vous ? Si j'ai bien compris, vous avez eu le temps de faire le tour de toutes « nos » planètes. Je me trompe ?

— J'ai poursuivi la trace de C dans tous les systèmes. Mondor est la dernière planète.

— Je suppose que vous n'en profiterez pas pour faire du tourisme. »

Tialm appela à lui d'autres diagrammes holographiques. Des données sur le fonctionnement du vaisseau transmises en temps réel par les alephs qui s'assuraient de son parcours dans le système. Des informations sur les protocoles de communication qui étaient en train de se mettre en place avec l'Anneau de Surveillance de Mondor.

« Je vous tiendrai au courant de tout, indiqua-t-il. Et vous serez accompagnée pour descendre sur Mondor. Je comprends que le sujet soit délicat. Nous n'en avons pas touché un mot à la Cellule de Veille de l'Union Mondore, comme prévu. Ne soyez pas aussi inquiète. »

Elle lui sourit faiblement et sortit.


***


Je pensais que le monde changerait plus vite, Mira.

La peur mène au repli. Le repli mène à l'ignorance. L'ignorance mène à la peur. La peur engendre le rejet. Le rejet engendre l'incompréhension. L'incompréhension engendre l'ignorance. L'ignorance engendre la peur.

Quelquefois, il semble que le monde est un mirage fixe. Nous avons l'impression qu'il se déplace sur l'axe du Temps, mais toutes les choses restent si semblables. L'Histoire est-elle une illusion ?

Les mêmes doutes, les mêmes espoirs, les mêmes peurs. Nous sommes au 23e siècle et ces sentiments n'ont pas changé. Parce que nous parvenons à éviter certains écueils, nos espoirs survivent encore. Mais est-ce vraiment cela que nous voulons ? Est-ce vraiment ce genre de chemin qui mène à un monde meilleur ? Encore une fois, il semblerait que nous oublions ce qu'est un monde meilleur.

Je veux d'une utopie dans laquelle personne n'aura peur. Nous en aurons banni toute forme de violence. Nous réaliserons enfin le futur des consciences.

Tu penses que je suis idéaliste ?

C'est vrai, ce ne sont pas les idéalistes qui changent le monde. Ce ne sont pas non plus les gens pragmatiques. Ce sont ceux qui voient les tenants et les aboutissants. Ceux qui à un moment donné, comprennent comment fonctionne le monde qui les entoure. Ils voient les fils qui lient toutes ces choses entre elles et savent parfaitement comment agir, d'où ils viennent, où ils se rendent.

Ces gens sont rares.

Je n'en fais pas partie.

Je me contente de regarder, et de ne pas comprendre. Je suis faible, n'est-ce pas ?

Je l'ai toujours été.

« Salut, Almira-sen.

— 112-sen. Ravie de vous voir. »

112-Nombres soignait mieux son apparence que le commun des alephs. Son corps humanoïde artificiel portait une peau synthétique au grain métallique, comme s'il s'agissait d'un maquillage, accordée avec la traditionnelle combinaison grise. Dans le reflet de ses yeux de plastique, on distinguait les lentilles des capteurs optiques. Okranes et humains, au XXIIIe siècle, n'avaient plus guère besoin de prothèses artificielles : elles permettaient donc de reconnaître à coup sûr un aleph.

Ol déménageait pour Mondor.

« Il y a plein de choses intéressantes à voir et à faire dans le système Sol, mais le statut des alephs est assez délicat. Les règles d'accès à notre réseau autorisent de facto les bureaux de surveillance de la Terre et de Mars à nous surveiller étroitement. Cela devenait pesant, à la longue. »

C'était ce qu'ol lui avait dit pendant les préparatifs de leur départ.

Ils avaient travaillé tous les deux dans le même laboratoire d'informatique, et leur réunion sur le Nayaka ne tenait pas qu'au hasard. 112 attendait la première opportunité pour quitter la Terre. Que ce soit le convoi semi-annuel ou un vaisseau Alizé de l'Exadiel en mission spéciale, cela lui convenait tout autant.

« Et pourquoi Mondor ? avait-elle demandé.

— La planète est fascinante. Pleine de mystères. Je devrais bientôt me mettre à l'exploration et la recherche biologique. Mondor a bénéficié de l'expérience en ingénierie des écosystèmes acquise sur Mars par l'Union Fédérale. Elle a connu un développement fulgurant et fascinant. »

La traditionnelle méfiance des soliens à l'égard des alephs ne semblait pas le déranger. Almira, elle, ressentait un peu de peine pour lui. En 2143, ol n'était même pas , sa conscience artificielle symbolique n'avait pas été assemblée par ses précurseurs – le nom poétique qu'ols donnaient à leur système de parenté.

L'Exadiel, depuis sa création, s'était beaucoup appuyé sur les alephs. Que C parvienne à en mettre des milliers de on côté pour mener son attaque contre le système Sol avait surpris tout le monde, humains, okranes, gouvernements terriens, Union Fédérale martienne, Exadiel – sauf peut-être deux ou trois grands esprits œuvrant eux aussi dans l'ombre.

« Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-elle en voyant qu'ol avait à la main une tablette de travail transparente.

On distinguait à peine les circuits imprimés dans la céramique conductrice.

— Rien de particulier. Je travaille en marchant. Je vérifie que tous mes muscles fonctionnent. Mais je vois à votre tête que vous avez envie de parler, alors je ne résiste pas. Faisons le tour des coursives.

— Pourquoi pas.

— Nous arrivons bientôt, n'est-ce pas ? demanda-t-ol tandis qu'elle se joignait à lui.

— Vous devez le savoir mieux que moi.

— D'après le Réseau Aleph local du Nayaka, il nous reste deux heures avant la mise en orbite. Ils doivent être en train de finir les protocoles d'échange avec l'Anneau de surveillance. »

Au cours du voyage, elle avait longuement étudié l'Anneau de Mondor et sa conception. Si C décidait de remettre à exécution son plan avorté dans le système Sol, l'Anneau jouerait le rôle de rempart qu'avait alors tenu le bouclier Égide.

En 2143, des dizaines de milliers d'alephs travaillaient déjà dans la ceinture de Kuiper et sur quelques satellites de Saturne et Jupiter. Principalement pour collecter et raffiner des métaux et des matières premières. C'était essentiel pour terraformer Mars, dont l'atmosphère, même en 2251, n'avait pas encore atteint les seuils de respirabilité à long terme. Mondor ne souffrait pas des mêmes tares ; il ne manquait plus à la planète que porter une vie foisonnante.

En 2120, lorsque l'Exadiel avait imposé aux humains la libération des okranes, la puissance des alephs avait pesé dans la balance. C'étaient eux qui avaient permis au vert et au bleu de grignoter la planète rouge, un processus mené tambour battant. Après les années sombres durant lesquelles la Terre avait étouffé sous le poids des plastiques et les nuages de polluants, Mars sonnait comme une manière aux okranes de guider leurs anciens exploitants sur le chemin de la rédemption.

Oui, la conscience et la vie étaient compatibles.

Avec sa tentative de balayer la Terre et Mars, et les dix millions de morts qui avaient suivi, C avait installé un profond sentiment de défiance. Le Réseau Aleph solien faisait l'objet de surveillance et de régulation.

Un temps, Almira avait été semblable à 112. Elle aussi avait vécu une vie de paria. Le monde d'alors lui avait tourné le dos. Bien sûr, le système sol en 2251 ne ressemblait pas à celui de 2143. Mais certaines inquiétudes, certains doutes pouvaient dormir durant des siècles.

« L'Anneau de surveillance.

— Je n'ai jamais compris pourquoi on appelait ça un anneau, d'ailleurs.

112 appuya ses propos par la carte de la planète et de tous ses satellites.

— À ma connaissance, il y a douze anneaux, au total, les orbites sur lesquelles sont placés les satellites de défense. »

Parce que C avait mis deux mondes au bord de la destruction totale, presque toutes les planètes disposaient de leur bouclier Égide. Une arme ultime et intransigeante, un Léviathan endormi qui dirigeait son œil torve vers l'espace.

Pour venir à bout d'un monstre, il fallait un autre monstre.

Et C était bien un monstre. Almira pouvait en témoigner.


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Bonsoir !

Comme l'indique le titre, ce prologue est en trois partie.

Mais pourquoi un prologue aussi long, CN ?

Parce qu'il se déroule en 2251, mon cher Gudule, et permet de poser les bases du bouquin.

Il y a donc des références aux tomes précédents, plus que de raison, mais pas de panique, tout ça n'aura guère d'importance dans la suite (je pense).

Salutations hyperelliptiques,

CN

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