62. Vactis - 2
Les explosions retentissaient dans le lointain avec de petites nuages de fumée qui ressemblaient aux spores d'un champignon écrasé. Les Vautours, impuissants face aux monstres des airs, tournoyaient comme des moucherons en essayant vainement de les cibler.
Lorsque les mâchoires d'acier et les griffes de platine ne se refermaient pas sur eux, des rafales de vent les jetaient sur la plaine. Les spores de scients, en forte concentration dans l'air, s'insinuaient dans leur mécanique fragile et les démontaient comme une armée de hyènes invisibles dépeçant vivante une proie facile.
Numberane compta vingt-cinq drakens, de tailles diverses. Leurs formes disparaissaient dans la fumée, les éclairs et les éclats métalliques bleutés de leurs armures. Ils avaient le sens de la mise en scène. Il en fallait pour se prétendre dieu sur Mondor.
Ed, qui avait pourtant vaincu Adriel, avait beau pérorer sur sa supériorité intellectuelle, il ne payait pas de mine.
« Madame, lui dit un soldat. C'est maître Ed.
Elle le renvoya d'un geste.
— Bonsoir. Je vous ai déjà dit bonsoir, peut-être ?
— Il fera jour dans quelques heures à peine » nota Numberane.
Ed était suivi de près par Aurélia, son assistante aux yeux de poisson mort. Elle portait une étrange combinaison noire.
« Vous préparez un carnaval ?
— Ah ? Euh, ne faites pas attention. Elle a commencé à se transformer. C'est presque terminé.
Aurélia lui sourit. Elle avait des dents métalliques.
— Vous êtes seul responsable de vos expériences, Ed. Alors ?
— Eh bien, le transmetteur est installé ; les antennes vont relayer tout ça. Nous allons anéantir l'effet des spores au-dessus de la ville. Il suffira ensuite de quelques drones pour faire le ménage. Il y aura un peu de dégâts, sans doute, mais ce ne sont que du matériel et des almains remplaçables.
— Vous n'avez vraiment aucun scrupule.
— Tous les almains sont de la même conformation biologique. Les cas spéciaux sont rares. Moi, Aurélia, par exemple.
— Et moi ?
— Vous ? Que voulez-vous que ça change ? Ah, si, vous dirigez Vigilance ? Vous êtes aussi interchangeable. Vigilance, ce n'est pas vous, que je sache. Si vous mourez, là, maintenant, Vigilance fonctionnera toujours.
— Vous avez une manière de penser assez subversive.
— Non. Rationnelle. Mais dans les temps d'obscurantisme, on considère tout raisonnement logique comme subversif, alors je suis habitué.
Il fit le tour du dernier étage, un chemin de ronde étroit uniquement dédié à l'antenne qui les surplombait.
— Regardez-moi ça, dit-il en revenant.
Les drakens étaient maintenant sur la ville.
— Ils sont dans le champ » nota Ed.
Un très gros d'entre eux balaya un des immenses entrepôts à drones et une base de dirigeables toute entière, d'un seul souffle. Les ballons enflammés se détachèrent pour s'en aller voler autour de la ville.
Les drones qui n'avaient pas décollé furent détruits au sol. Mais ceux qui étaient en vol se liguèrent contre le grand draken. Les missiles frappèrent sa tête et son cou. Les spores étant perturbés, il ne pouvait compter que sur lui-même pour se protéger. Sa peau était épaisse, ses écailles métalliques, et il résistait au feu. Mais les explosions l'aveuglèrent. Il tomba au sol, écrasant des immeubles entiers, avant d'être abattu par de nouveaux tirs.
De toute la ville, les vigilants tentaient de faire feu avec des armes sol-air, mais elles frappaient plus souvent les drones que les drakens.
Numberane, dominant ce combat de son promontoire, observait tout ceci avec attention. Ed prenait des notes.
Les drakens s'étant rapprochés, l'un d'entre eux fut abattu au-dessus du lac. Ses ailes déchirées, il parvint néanmoins a s'accrocher au bord et à remonter sur le sol. Les vigilants s'égayèrent à son approche comme une nuée de petits cloportes. Il éventra des cuves d'essence, puis y mit le feu.
Sans surprise, une série de détonations mit fin à l'usine de biomasse. Numberane se protégea du souffle brûlant avec un pan de son manteau.
Ed prenait des notes.
« Cela fonctionne-t-il correctement ? demanda-t-elle.
— En l'absence de champ de perturbation, les drakens sont capables de démonter drones et missiles en vol avant même qu'ils les atteignent. Ils peuvent contrôler des spores jusqu'à un kilomètre de distance. Vous n'imaginez pas. Donc, oui, le champ fonctionne. Vous oubliez qu'il s'agit des créatures les plus puissantes que nous connaissons, toute l'histoire de la vie confondue. Pour sûr que les abattre n'est pas une partie de plaisir. Vous vous attendiez à quoi ?
Il n'attendit pas de réponse pour s'écrier. :
— Que vous êtes désagréable, Numberane ! On dirait que le monde entier devrait obéir à vos désirs. Vous vous le cachez, mais vous êtes complètement mégalomane.
— Et vous, alors ? »
Numberane fit un pas menaçant vers lui. Aurélia tomba alors du rebord, deux mètres plus haut, où elle s'était perchée. Son visage était recouvert du même vernis noir, brillant, que le reste de son corps ; elle mutait en quelque chose d'inalmain.
D'un seul bras, elle souleva Numberane du sol et la fit basculer par-dessus la rambarde.
Ed jeta un coup d'œil. On n'y voyait rien, car malgré les flammes qui dévoraient la cité de toutes parts, le pied du phare était plongé dans l'ombre.
« Bon, jugea-t-il, c'était un peu expéditif, Aurélia, mais je vous remercie quand même. »
Quatre superbes ailes croissaient à vue d'œil dans le dos de la jeune almaine. Elles avaient des plumes plates et coupantes, blanches et noires. Ed passa la tête par la porte de l'ascenseur de service et la referma aussitôt.
« Dis donc, quel appétit. Je me demandais où tu avais trouvé toute cette matière organique. J'espère que le pauvre homme n'a pas trop souffert. »
Aurélia ne lui répondit pas. Son armure de carbone fermait également sa bouche.
Puis elle monta de nouveau sur le support de l'antenne, et de là, prit son envol.
Ed s'adossa au mur et prit des notes.
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C'est l'enfer, Ed prend des notes. Une journée tout à fait banale.
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