61. Vactis - 1


La jeune fille mit son masque et redevint Sym. Elle enjamba les pilotes de Vigilance qui se tenaient les chevilles et les poignets en gémissant, emprunta une radio du camion et changea la fréquence.

« Cinq drones, dit-elle.

— C'est reçu. »

Prenant le contrôle des commandes semi-automatiques, elle força chacun des appareils à s'écraser dans la Lande. Le point faible des drones Vautour était la liberté des pilotes Si les drones avaient été autonomes, ils auraient été un bien plus grand danger.

Or, Vigilance ne pouvait pas déployer des drones dans la Lande, trop loin de Vactis, sans les piloter depuis des stations radio mobiles. Sym régnait sur la Lande, et retrouver ces pilotes ne lui posait aucune difficulté.

Sym bondit hors du fourgon. Les habitants de Zanmar investissaient les lieux. Un chamane était déjà à l'œuvre, apparemment, pour empêcher que les blessés ne se vident de leur sang.

« Vingt Vautour arrivent sur la ville. Mettez-vous à couvert. »

Zanmar était l'objet de combats âpres. Si Sym prenait le contrôle de la ville, Vigilance ne pourrait pas rapatrier ses troupes à l'aide des dirigeables. Les drones s'efforçaient de faire pencher la balance en faveur de l'organisation. Mais, comme toute arme construite par la fièvre de l'almain, ils étaient disproportionnés, incapables de frapper précisément, et ne faisaient qu'installer le chaos dans la ville.

Sym prit dans ses bras un enfant qui errait, hagard, entre les décombres d'une tour d'horloge éventrée, et chercha un abri. Le sifflement des Vautour s'approchait comme une malédiction. Une pluie de feu pouvait avaler Zanmar à tout instant.

Elle déchargea le marmot à l'entrée d'une taverne dont on ouvrait la cave, et resta dans la rue avec quelques téméraires.

Un mugissement lugubre, comme une corne de brume, naquit à l'Est, et monta crescendo. Il devint une plainte, se déchirant en cri perçant qui résonnait jusque dans ses entrailles. Draken. Adriel était mort quelques mois plus tôt, dans la Lande, mais il n'était qu'un parmi les nombreux représentants de son espèce.

Une ombre plana sur Zanmar. Un dirigeable que les Vigilants avaient mit à flot passa au-dessus d'elle. Accroché à lui, une silhouette immense le lacérait, et le ballon s'effritait entre ses griffes.

Les Vautour ripostaient sans effet. Leurs missiles tombaient au hasard sur la ville, car ils tentaient de viser des cibles mouvantes, rapides, qui nageaient sur un flot d'air et les secouaient à chaque battement d'aile.

Sym courait dans la rue après une de ces silhouettes iréelles.

« Les drakens, dit-elle dans sa radio.

— Nous le savons. »

Une explosion secoua le ciel, tout près, et elle évita la retombée de débris enflammés.

Au bout de quelques minutes, le calme revint sur Zanmar. Les drakens avaient balayé la flotte de drones d'un revers de la main. Ils poursuivaient leur chemin jusqu'au cœur, jusqu'à l'origine.


***


Edward Kile était occupé à une de ses expériences. Un monk, dans un piteux état, était enfermé dans une cuve de verre, que commençait à remplir un gaz jaunâtre.

Car, si le champ électromagnétique de perturbation des spores fonctionnait bien, le gaz était encore à l'étude.

Le téléphone se mit à sonner.

Aurélia attrapa le combiné et écouta.

« C'est Numberane, indiqua-t-elle. Je propose de reporter l'expérience, maître.

— Hum. Ainsi soit-il.

Edward prit le téléphone à son tour.

— Ici la Science, j'écoute.

— Bonsoir, maître Ed.

— Ah, madame, que puis-je faire pour vous ?

— Une flopée de drakens est en chemin vers nous. Ils seront là d'ici une heure à peine.

— Combien, environ ?

— Entre dix et cent.

— Je vois. Si mes souvenirs sont bons, nous avons environ un millier de Vautours ici, n'est-ce pas ?

— Deux cent ont déjà décollé. Mais je sais que tout cela ne servira à rien si vous n'activez pas votre arme.

— À rien, en effet. Ce ne serait que les ralentir.

Ed fit quelques calculs sur ses doigts.

— Je pense qu'il vaut mieux pour nous activer le SPF lorsqu'ils seront ici. Quitte à perdre quelques drones. En tout les cas, je vais préparer mon matériel. Venez, Aurélia, nous avons un peu de travail. »


***


« Numberane ! Je vous ai enfin.

Elle fit osciller le vin dans son verre. À l'instar de Bagdanov, il était un peu trop gras. Bouchonné. Il avait mal vieilli.

— Oui, c'est bien moi, dit-elle au combiné du téléphone. Que me voulez-vous, général ?

— Je... plusieurs rapports me sont remontés. D'abord, Donoma a échappé à notre contrôle. Ils réclament des renforts urgents de drones que seule Vactis peut leur fournir. Ici, Lysen Partel a disparu. Il y a eu une manifestation, mais ces imbéciles ont tiré pour disperser la foule. Mais de n'est pas tout. J'ai entendu dire que dans la Lande...

— La Lande n'est pas une priorité, dit Numberane.

— Que...

— Tout ce que ce monde compte de drakens converge actuellement vers Vactis, général. Une fois que nous nous serons débarrassés de ce premier contretemps, soumettre la Lande et la ZS se fera sans aucune difficulté. Des questions ?

— Non, je...

— Contentez-vous de jouer votre rôle, général. Pour l'heure vous n'avez rien à faire. Je vous affecterai à la reconquête de la Lande, lorsque nous serons de nouveau maîtres des airs.

Elle raccrocha et changea de numéro.

— Maître Ed. Où en êtes-vous ?

— Hum, nous avons presque terminé. J'ai ouï dire qu'il nous restait une dizaine de minutes, n'est-ce pas ?

— Tout au plus, dit Numberane en consultant sa montre. Je compte sur vous.

— Je ne tiens pas plus que tout le monde à périr carbonisé, madame. Soyez sûre que je fais donc de mon mieux. Aurélia, pouvez-vous me tenir ça ? Merci.

Elle entendit des bruits.

— Vous êtes Aurélia ? demanda-t-elle.

— Oui.

— Une des expériences d'Ed, c'est bien cela ?

— C'est bien cela.

— Vous n'êtes pas très bavarde.

— Non.

— Mais je me souviens... Ed me disait préparer quelqu'un pour tuer la dylnia. Une arme vivante. Il s'agit de vous ?

— C'est exact.

— Eh bien, nous verrons ce que vous valez.

— Nous verrons. »

Fatiguée, Numberane raccrocha de nouveau. Il ne restait plus qu'à attendre. Elle se resservit un verre et interrogea du regard l'intérieur cossu de son bureau, les cartes du monde épinglées au mur. Non, pas ici. Il fallait sortir dehors, tout en haut du phare, quelques étages au-dessus. Pour assister à la victoire, où bien à l'enfer.

Un domestique lui passa son manteau de fourrure et elle monta dans l'ascenseur du phare, la plus haute tour de Vactis.

La ville-caserne s'était construite autour d'un lac verdâtre, où Vigilance cultivait des algues pour son biocarburant. L'usine qui les transformait avait été son premier atout stratégique. Elle lui avait permis de s'assurer un contrôle total des routes et des matériels militaires récupérés après la FS. Car on trouvait peu, sinon pas de pétrole sur Mondor. Sa biosphère était trop jeune.

Ensuite, la maintenance des drones et leur construction dans une autre usine. Ces vastes hangars métalliques, à l'Est du phare, plantés au milieu d'une grande surface de bitume artificiel. Des Vautour décollaient déjà en rafales, pilotés depuis le sol. Les communications étaient le troisième et dernier atout majeur de Vigilance.

Il ne manquait rien à l'organisation pour devenir la seule puissance mondiale. L'autre continent de Mondor, à dix mille kilomètres à l'Ouest, n'avait aucun intérêt. Quelques bûcherons retournés à l'âge de pierre. Tout se jouait entre Donoma, Haven et Vactis.

Le vent avait une odeur de soufre et d'essence. Ce pouvait être l'usine comme un lointain incendie. Il donnait au vin un goût de frelaté ; Numberane jeta son verre par-dessus la rambarde d'acier et attendit.

Une fois la Zone Surveillée sous contrôle unilatéral, les universités de Haven et Donoma seraient mises à contribution pour la construction d'armes nucléaires. Se défendre contre l'espace, prétendrait Numberane. En réalité, surtout, dissuader les instances lointaines de venir fourrer leur nez dans les affaires de Mondor.

Seuls les gens crédules souscrivaient encore à ce mensonge. Vigilance ne pouvait prétendre à se battre que contre Mondor elle-même. Les scients qui voulaient absorber le monde, l'hybridation des races, les drakens qui se faisaient juges de tous les vivants.

Le tonnerre grondait dans la plaine sèche, loin par-delà les clôtures de la ville. Les petits villages d'agriculteurs installés là par intérêt, en espérant que Vactis les protégerait de tout, déchanteraient lorsque le feu du ciel dégringolerait sur eux. De manière générale, tous ceux qui agissaient par intérêt ou par crédulité finiraient par perdre. Bagdanov serait peut-être assassiné à Haven, avec les membres véreux du Conseil. Edward Kile, loyal jusqu'au bout, survivrait. Fang Yin ne survivrait pas. Elle était toujours trop confiante de son pouvoir ; cela ne pouvait que la perdre.

Numberane, descendante de John Maklar, portait à bout de bras des réalisations qui englobaient le monde entier. Elle était de la race des empereurs, et ne pouvait donc pas disparaître.

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