6. Le draken - 1
Ma fureur est immense.
Mon souffle brûlera vos âmes.
Je suis ici pour vous détruire.
Le monde m'a créé pour me nourrir de votre peur.
Je suis draken.
Et vous êtes tous mes proies.
Livre de l'Éveil.
Zone Surveillée, 126 AFS
« Le draken est en train de se rapprocher de Lonia. Distance, deux cent kilomètres. Ça ne peut être que son objectif, c'est la seule ville dans la région.
— Combien de drones avez-vous en chasse ?
— Pour le moment, on est à cinquante. On ne peut pas dégarnir le reste de la Zone, les scients ont été très actifs ces derniers temps et ils savent de mieux en mieux repérer l'absence des patrouilles.
— Lieutenant, dès que vous avez un visuel confirmé, faites tirer les missiles air-air. Abattez-le.
— Il devrait bientôt passer au-dessus de la base, colonel. Le draken est imprévisible, il pourrait vous tomber dessus.
— Les hommes sont prêts, dit Bagdanov. Contactez-moi si vous avez du nouveau. Terminé. »
Vigilance disposait du meilleur matériel militaire de Mondor. Depuis sa fondation, son premier objectif était de maintenir à flot la technologie des drones Vautour. Tant d'efforts dépensés pour que ces armes, autrefois utilisées pour la surveillance météorologique, protègent la Zone Surveillée des bêtes sauvages et imposent un ordre de paix.
Combien de monstres comme les drakens étaient-ils nés après la Chute des Étoiles ? Ce cortège de créatures semi-conscientes, intelligentes, parlantes, habituées des ombres, semblait avoir germé dans l'esprit d'un scientifique fou. Ce qui n'était pas impossible. Almira avait souvent parlé d'expériences génétiques menées avant la chute, dont les scients auraient été le produit. Les arbres avaient avalé les cités ravagées sous un inextricable manteau vert, apportant, comme la marée, une nouvelle faune sur ces terres redevenues sauvages.
Même rares, les drakens menaçaient Vigilance et le monde entier. De toute son histoire, l'organisation n'en avait combattu qu'une dizaine de fois, et abattu deux ou trois d'entre eux.
Bagdanov reposa la radio et rangea le transpondeur dans la poche de sa veste. L'opérateur radio lui transmettrait tout message important tant qu'il serait dans l'enceinte de la base 67.
Il sortit à l'extérieur du bâtiment des communications. L'air charriait une odeur d'agmé. Vigilance produisait elle-même l'essence végétale, à Vactis, et la faisait acheminer par dirigeable à travers la Zone Surveillée. On employait cette huile d'algues dans tous les moteurs ; ses effluves caractéristiques planaient sur les installations comme un dernier souvenir de la brillance technologique du monde avant la Chute.
Bagdanov était de ceux qui militaient pour que les fonds publics financent toujours plus l'industrie, notamment militaire. Depuis quelques années, le Conseil de Haven et ses fortes têtes pacifistes, et le gouverneur de Donoma, cette crapule avare de Chyselm Maklar, faisaient la sourde oreille aux augmentations de budgets demandées par Vigilance. Maintenant qu'un draken se promenait au Nord des Terres Occidentales, à mille kilomètres de Haven, peut-être reverraient-ils leur position.
La nuit semblait encore légère. Derrière la clôture électrique de la base, une brise agitait les saules réunis comme des badauds en mal de divertissement. Ce n'était qu'une illusion. Quelques centaines de kilomètres plus loin – peu, pour un draken – les drones Vautour poursuivaient un monstre puissant et dangereux, le pire cauchemar hérité de ces temps sombres qui avaient suivi la Chute des Étoiles.
Bagdanov regarda sa montre. Minuit trente.
Le vingt-deux juillet 126 AFS. After the Fall of Stars, comme ils le disaient dans cette ancienne langue.
« Colonel, est-ce que vous m'entendez ?
— Sergent Kolm ? Pourquoi est-ce que vous me dérangez maintenant ?
Il n'avait pas eu le temps de vérifier que les artilleurs étaient à leurs postes.
— Colonel, elle est ici.
Ce qui aurait dû l'énerver encore plus provoqua l'effet contraire : il ne sut plus ce qu'il devait répondre.
— Est-ce qu'on la fait entrer ?
— Mais d'où sort-elle, nom de Dieu ?
— Elle a... euh... un lycan avec elle. Est-ce que c'est OK, colonel ? Ah, non, apparemment, le lycan va rester à l'extérieur pour patrouiller.
— Eh bien, faites-la entrer. Dites-lui de me retrouver au bâtiment des télécom. »
Bagdanov fit un tour sur le bitume. Dans quelques minutes, peut-être, le draken entrerait dans leur champ de vision ; l'artillerie déclencherait le feu de l'enfer et ils abattraient ce mastodonte. La technologie d'armement ne pouvait pas faire défaut face à une bête, aussi puissante soit-elle.
« Vous n'avez aucune chance, colonel. »
L'hybride de vint-deux ans apparut. Son titre de « dylnia », en okrane, signifiait aussi bien « centre » que « futur », ou encore « conscience ». Pour Bagdanov, avant tout une ennemie politique, en première ligne des détracteurs de Vigilance. Bien qu'elle n'eusse aucun rôle officiel, la plèbe superstitieuse de la Zone Surveillée aimait à se raccrocher à elle comme un fétiche.
« Vous parlez bien du draken.
— Ce draken se nomme Adriel. Vigilance a tenté de l'abattre en 84 et il a détruit à lui seul une escadre de drones.
— Nous avons des modèles plus performants et les missiles air-air...
— Colonel. »
Almira était une personne étrange. Les hommes politiques portaient des costumes et les militaires des uniformes : à chacun ses attributs de pouvoir. Almira n'avait qu'une tunique de cuir usée et des lanières autour des mains, deux dagues passées à la ceinture et un arc en fibres de carbone accroché dans son dos.
« Colonel, Adriel est vieux de cent vingt-six ans. Je pense qu'il a connu plus de modèles de drones et de missiles que vous. Ne le sous-estimez pas.
Bagdanov cogna ses poings l'un contre l'autre.
— Pourquoi êtes-vous ici, Almira ?
Le « sen » protocolaire avait disparu. Il était minuit trente, une forteresse volante se rapprochait de Lonia, la troisième ville de la ZS ; et voilà qu'Almira le piégeait dans une conversation ridicule !
— Je suis venue pour vous aider.
— Je ne sais pas si quelques tours de magie et le fait de « parler aux scients » vont vraiment nous aider.
— Parlementer pourrait être utile, colonel.
— C'est un draken.
— Et les drakens sont des scients. Leur rage et leur fureur sont immenses, leur puissance est incontrôlable et elle dévore leur âme. Mais ce sont des scients. Leurs esprits sont semblables aux nôtres.
— Je ne suis pas responsable de votre sécurité. Faites ce que vous voulez, Almira. Ne vous mêlez pas des opérations de Vigilance et restez en dehors de mon chemin.
— Vous pourriez être amené à revoir cet ordre, colonel, mais tenons-nous en là pour le moment. »
Sa silhouette quitta la lumière des projecteurs et disparut à l'angle d'un entrepôt.
Bon débarras.
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