59. La base


« Allez, les gars, magnez-vous ! Ils ont échangé des tirs au niveau du palais du gouverneur. Il faut sécuriser les accès, barrer les routes. Le groupe de Keito ? Où est le groupe de Keito ? Eh ! »

Vigilance avait installé sa base stratégique dans une ancienne école. Un poste de garde, une barrière, une cour où étaient garés les camions qui partaient les uns après les autres, quelques bâtiments aux tons beiges et aux cloisons fines, en bois et plâtre. Les décisions stratégiques se prenaient au sous-sol.

L'officier supérieur se retrouvait dehors pour superviser le départ. D'ordinaire, il s'accrochait aux plus hauts gradés comme une tique, soucieux de ses avancements, et pour une fois, il se retrouvait seul avec des responsabilités. Une très mauvaise journée.

Il regarda encore deux voitures partir. De l'autre côté de la barrière, des véhicules de la police donomane passaient dans la rue. Manifestement, le commandement appelait des renforts. Lui-même ne ferait jamais confiance à ces incapables de civils. Sur cette planète, seule Vigilance tenait la route.

Il entra dans un des bureaux du rez-de-chaussée. Un sous-fifre se raidit, joua des claquettes et lui débita quelques informations sur les drones disponibles.

« Dix en vol ? Traduisit-il. Et cinquante autres sur le point de décoller ? Bien. »

Où était le général Bagdanov ? Encore en train de fricoter avec Numberane, à Vactis ? Où à Haven, peut-être ? Non, c'était ça, Haven. Et lui se retrouvait seul dans cet enfer, avec Fang Yin dans les pattes, incapable de savoir où se trouvait la jeune Victoria Maklar, à qui on l'avait fiancé de force.

Vraisemblablement dans le palais. Auquel cas, il espérait qu'elle ne reçoive pas une balle perdue. Ce n'était pas la pire épouse potentielle qui soit. En la matière, avoir trop d'exigences menait souvent au pied du mur.

« Commandant ! Dehors ! »

Il passa le nez par la fenêtre, puis se baissa d'instinct.

Une explosion souffla la vitre et balaya les papiers étalés là. Qui avait eu l'idée d'installer une salle de réunion à cet étage et à cet endroit ? Et surtout, qui avait l'idée de s'attaquer à Vigilance en faisant sauter la porte d'entrée ?

Un rideau de flammes avait remplacé la barrière et le poste de garde. Aussitôt, plusieurs fourgons y surgirent, les seuls sans doute dont disposait la police donomane, plutôt portée sur les chevaux, il fallait le dire, fort mal entretenus. Des hommes armés en bondirent en tirant sur tout ce qui semblait leur opposer de la résistance.

« Commandant ! » entendit-il glapir derrière lui.

Aussitôt, une rafale fit des trous dans la cloison. Il se protégea derrière le bureau. Du carton, ces murs.

« Commandant ! souffla le soldat qui se glissait en rampant. Ils ont de la résistance au niveau du palais.

— Eh bien ! Dites au commandement de faire donner les drones ! Et ici aussi ! Et sécurisez les accès ! »

Il ne s'y retrouvait déjà plus, dans tous ces ordres. Faute de carte sous les yeux, la ville lui semblait nébuleuse. Eh, quoi, ils n'avaient qu'à se débrouiller avec la topographie, les capitaines carriéristes qu'on lui avait refilés.

Les tirs se calmèrent et un porte-voix grinça.

« Nous encerclons actuellement le complexe ! Rendez-vous sans opposer de résistance. Nous reprenons sur le champ le contrôle de la ville.

L'homme chercha ses papiers parmi les débris de verre étalés sur le sol. Il compta les escouades qui étaient parties, celles qui étaient encore sur place.

On peut encore tenir, songea-t-il.

— C'est bon, on se rend ! clama une voix de l'autre aile du bâtiment.

Il farfouilla avec rage les fréquences de la radio que lui tendait le soldat allongé dans les copeaux de papier.

— Je vous l'interdis. Traîtres ! Déserteurs ! Incapables ! »

Dans la cour, des soldats de Vigilance, leurs uniformes couverts de poussière, avançaient à découvert. Étaient-ils si mal payés ?

Il reposa sa radio sur le sol et fulmina. Ils seraient tous dégradés.

« Commandant, dit le soldat derrière lui, commandant...

— Quoi ? »

Des pas dans la pièce d'à côté, puis la porte vola en éclats. Des policiers entrèrent, l'arme au poing.

Ils avaient des uniformes plus voyants que ceux des vigilants, avec leur bleu nuit synthétique et leur ceinturon noir. Cela lui rappelait la réception à laquelle on lui avait présenté Victoria Maklar.

Mais qu'ils la reprennent donc, cette pimbêche !

Puis il songea qu'effectivement, si Vigilance tombait et qu'il perdait ses grades et titres – s'il était encore en vie après cela, d'ailleurs – il ne ferait plus un mari idéal non plus.

C'est bien ma veine, songea-t-il. Ou bien ma fiancée est enfermée pour trahison, ou bien c'est moi.

Il se rendit sans résister. Et puis, lui non plus n'était pas bien payé. Lui non plus n'avait pas signé pour ça. Tant pis. Il resterait les drones. Ils gagneraient avec les drones.

Rappelé à sa mémoire, le sifflement des Vautour surgit dans la réalité.

Il se jeta de nouveau derrière le bureau. Une boule de feu balaya la cour et leur brisa les tympans. Tir de missile. Dans la cour, un ou deux hommes se traînaient encore. D'autres s'empressaient de les aider, d'éteindre les flammes qui couraient sur leur dos.

L'autre aile du bâtiment venait aussi de partir en fumée. Vigilance avait fait un trait sur sa base.

Tout compte fait, il ne tenait pas à reprendre son grade. Plutôt fuir cette ville en vitesse et aller voir ailleurs si la civilisation n'avait pas fait des progrès.

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