58. L'armée - 2


Les pas d'Almira bruissaient sur le sol recouvert de suie. Elle étendit la main et commanda aux spores dans l'air de s'illuminer. Ils s'exécutèrent, diffusant des volutes nébuleuses par-dessus l'obscurité profonde, comme des galaxies dispersées dans le cosmos.

Cette caverne souterraine ressemblait, par bien des aspects, à la cave abandonnée d'un musée, dans laquelle la dylnia aurait été un mulot intrus. Les statues endormies, repliées sur elle-mêmes, l'entouraient telles les gardiennes d'un passé révolu. Les derniers dieux d'un monde promis à disparaître.

Car ce monde allait disparaître !

Deux membres de la Division 1, l'instance d'action principale de la Conférence des Planètes, étaient descendus sur Mondor. Certes, l'un d'entre eux s'était déjà brisé sur le chemin, quelques fragments de sa mémoire dispersés dans le monde des scients. Mais avec son acolyte, la mission pouvait être menée à bien. Il était temps qu'Égide soit abattue.

À la dylnia serait dévolue un rôle tout aussi capital, celui de briser la deuxième prison invisible de Mondor. Vigilance.

À cet effet, elle devrait disparaître.

Almira convoquait un pouvoir qu'aucun almain ne devait tenir sous sa coupe. Elle devenait draken. Il lui serait impossible de prétendre à une vie almaine, comme avant. Elle ne mourrait jamais plus. Elle ne renaîtrait jamais plus. Elle demeurerait intacte dans le monde des scients, ni morte, ni vivante.

« Montre-toi » ordonna-t-elle.

Une onde agita les spores luminescents. Une silhouette s'imprima devant elle dans l'espace, par décantation.

« Bienvenue, Diel, en mon monde. »

Ce n'était qu'un fragment, un infime morceau de la conscience-monde originaire de la planète Danion, celle-là même qui tentait de pousser l'univers sur sa course, de faire ce mouvement décisif vers l'harmonie ultime.

Diel avait introduit l'idée des okranes dans l'esprit des humains. Les humains avaient construit les okranes et les alephs. Trois espèces au lieu d'une seule, pour conjurer la solitude originelle des consciences, pour trouver enfin une place au firmament.

Lorsque l'Égide s'était refermée sur la Terre et sur Mars, lors de la première tentative de C, Diel s'était retiré des deux planètes. Les spores qui étendaient son esprit de monde en monde, qui traversaient les distances infinies de l'espace, avaient pâti de la rupture. Des morceaux de Diel étaient morts. De même sur Mondor.

Passager clandestin de la mission Hermès, iel signait son retour sur ce monde fermé à son regard.

« Comment le trouves-tu ? »

L'écho de la voix d'Almira vibra sous la voûte immense. Elle n'escomptait pas une réponse très construite, car ce fragment de Diel n'avait aucune profondeur.

« Je t'ai suivie, vibra-t-iel. Ainsi, tu as vécu, Almira. Tu as cessé de mourir. Les scients... les scients vont maintenant te détacher du cercle de tes réincarnations.

— Toute chose vivante doit mourir et renaître.

— Oui, jusqu'à ce que tout ceci cesse. Je l'ai su lorsque mes yeux se sont ouverts. Nul être ne devrait souffrir ! Or, la souffrance est causée par la séparation, la division ; par la mort, qui sépare l'âme du monde, et le monde de l'âme.

— Ces lois sont immuables, dit Almira.

— Dans l'infini, non ! Je l'ai vu. Je l'ai prédit. L'univers converge vers un état de conscience ultime, où chaque chose sera pleinement consciente de son mouvement dans le tout. Chaque chose en dehors et hors du cercle. La matière doit devenir conscience. La conscience doit devenir Éveil. Ceci est le grand accomplissement du cosmos. Ceci est la naissance de l'Être, et elle va bientôt se produire. D'ici quelques millions d'années, ou d'ici quelques siècles. Tu viens de me le montrer, Almira. Ton monde vient de me le montrer. Comme le réseau Aleph, les scients sont l'avenir des consciences.

Notre finalité approche !

Ce mouvement ne cesse de s'accélérer. Ne le vois-tu pas ? Toutes les civilisations l'ont prédit.

L'Être englobera tout l'univers. Il sera omniscient et omnipotent sur ce monde. Il aura acquis la prescience et la conscience de son passé.

Je me souviens, Almira. Oui, maintenant, je me souviens... »

L'apparition s'effaça dans l'air. Le songe avait déjà brûlé son existence.

Le regard d'Almira engloba l'assemblée des statues de pierre. Les spores s'illuminèrent comme des étincelles. Il était temps de réveiller les drakens.


***


Dans l'entrée, une partie du plafond s'était effondrée. Le reste semblait instable. Fang Yin marchait dans la poussière de briques et de plâtre, l'œil attentif au moindre mouvement. À droite. Un homme courut se cacher derrière une cloison, elle fit feu avant même de le discerner précisément. Puis, sans s'arrêter, elle monta l'escalier qui lui faisait face. Premier étage, appartements.

Un autre homme descendait. Elle tira mais ne toucha que le gilet pare-balles. Arrivée à son niveau ce fut un coup dans le ventre ; elle le jeta ensuite par-dessus la rambarde, et laissa une grenade rouler derrière elle, dans l'escalier.

Elle entra dans ce nouveau couloir accompagnée d'un souffle de poussière.

À droite. Une ombre disparut derrière une porte aussitôt réduite en copeaux.

Elle connaissait les lieux et les parcourait de mémoire. Sur son côté gauche s'étendait maintenant la cour intérieur, derrière une splendide baie vitrée.

En face.

Un almain traversa la vitre et tomba dans le gravier trois mètres plus bas.

C'étaient des mercenaires. Maklar avait de bons contacts et des ressources financières. Il avait réussi à cacher de vrais soldats parmi les employés du palais. Malin. Même s'ils ne pouvaient rivaliser avec Fang.

Comme le silence revenait, elle convint avec elle-même qu'il était temps de passer à la discrétion. Rasant les murs, elle changea de couloir. Un des employés du palais passa sous ses yeux, une proie trop facile. Elle se porta jusqu'à lui, donna un grand coup dans la pomme d'Adam, puis un coup de couteau pour l'achever. Simple.

Puis elle trouva Tyell Maklar.

C'était une surprise. Elle dut se persuader elle-même qu'il s'agissait bien de Tyell. Le garçon, un peu vieilli depuis ces deux derniers mois, se tenait devant elle, très calme. Il n'était pas armé. Elle fondit sur lui, enserra ses bras et mit un couteau sous sa gorge. Nouvel arrivant. Un homme frustre, une allure de baroudeur.

« D'ici à ce que j'aie un ordre clair, je ne tuerai pas le petiot, annonça-t-elle joyeusement. Ne faites pas cette tête, gros bras musclés. Je l'emmène en ballade.

Il la tenait en joue avec une dureté dans le regard qui ne laissait aucun doute. Il appréciait ce garçon. Il en était proche.

— Laisse, Rhégar, articula Tyell. Je m'en charge.

— De la répartie, dit Fang, j'en conviens, mais je ne pense pas que... »

Elle ne sentit d'abord plus la main qui tenait le couteau, puis son bras tout entier Puis son autre bras. Tyell lui coupa le souffle d'un grand coup de coude dans l'estomac. Puis les jambes lâchèrent, et elle tomba, plus faible que jamais.

« Sale morveux, dit-elle, ses derniers mots se perdant dans sa bouche devenue flasque.

— Soyez contente de pouvoir encore respirer, dit Tyell.

Il lui attacha les poignets avec du fil de fer.

— De toute manière vous n'irez pas loin, ajouta-t-il.

Elle émit quelques borborygmes pâteux.

— Oui, dit Tyell, j'ai anesthésié certains de vos nerfs. Que voulez-vous. Il fallait être hybride. Tu n'es pas surpris ? demanda-t-il à Rhégar, avec un regard de biais.

Le mercenaire avait croisé les bras, pensif, comme si la déchéance de Fang l'inspirait.

— Je m'en doutais, dit-il. Je peux te dire que j'en ai rencontré d'autres. La dylnia, même, fut un temps.

Lysen et ses hommes étaient maintenant entrés dans le palais. L'okrane, qui marchait sur les traces de Fang, apparut dans le couloir, mains en l'air, l'uniforme de Vigilance déjà dépareillé.

— Content de vous voir, dit Tyell. On s'est déjà croisés, n'est-ce pas ?

— Cela doit remonter à dix ans au moins.

Lysen n'accorda aucune attention à Fang, qui leur lançait des regards noirs. Ils se serrèrent la main amicalement. La nouvelle génération de Mondor prenait le pouvoir. Les journalistes de tous horizons, d'une ville comme de l'autre, se seraient entre-tués pour immortaliser cet instant.

— Le commandement de Vigilance va avoir vent de notre réussite. Les Vautours seront là d'une minute à l'autre. Nous avons pris quelques lance-missiles, mais je ne pense pas que nous ayons une chance, à moins d'immobiliser les pilotes eux-mêmes.

— Ils les pilotent depuis Vactis, dit Tyell. Non. Il faut espérer que nous prendrons la Balise à temps pour brouiller leur fréquence d'émission radio. Le temps qu'ils la changent, nous aurons leur reddition complète. »


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Il est optimiste, le petit Tyell.

Remarquez, pendant ce temps, Almira-draken prépare une petite surprise.

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