56. La destitution - 2
La porte du domaine était ouverte. Le camion de la police se gara dès l'entrée. Des rangées de massifs de fleurs bien entretenus s'étendaient jusqu'à la maison, une demeure au toit plat construite en briques rouges.
Les hommes de la police sautèrent à terre, l'air morose, renâclant légèrement. Bruckner les suivit, rassuré de ne pas être le seul à se sentir mal à l'aise dans son uniforme. Il fallait bien vivre pour entretenir sa famille. Son ex-femme et ses trois enfants à Haven lui coûtaient cher en missions pour Vigilance.
Il prit la tête du groupe et avança le long de l'allée. Un vieux jardinier à moitié sourd leva la tête des buis qu'il taillait, leur jetant un regard torve.
La porte d'entrée s'ouvrit à leur aproche. Un domestique les attendait, impeccable, un léger sourire sur le visage. Ils étaient sur le domaine de Paulem Partel. Paulem allait jouer avec eux. Bruckner ne pouvait croire que le vieil okrane avait peur de Vigilance, de la police havénienne et de leurs armes.
« Qui dois-je annoncer ? dit le valet comme si l'on recevait Bruckner à une réception.
— La justice » répliqua celui-ci en essayant d'y mettre du sien.
Son attitude n'était pas assez effrayante. Pour être honnête, il en avait marre de ce métier. Crapahuter à travers la forêt, pour des patrouilles, pourchasser des scients, jusqu'à la dylnia elle-même. La gamine ne l'avait pas reconnu, mais sa conscience avait rué dans les brancards.
Et voilà qu'il se retrouvait à Haven pour des arrestations arbitraires. Personne n'était dupe. Surtout pas les gars de la police qui l'accompagnaient, sur ordre du conseil.
« Monsieur Partel ! glapit le domestique. La police est ici.
— Faites-les entrer.
— Merci d'essuyer vos pieds, monsieur » dit l'homme en se coulant à l'intérieur.
Bruckner pénétra dans l'entrée. Il planta ses bottes sur le tapis de velours. Paulem Partel le regardait avec de grands yeux.
« Eh bien, monsieur... ?
— Bruckner. Cellule de coordination avec la police. Nous avons un mandat d'arrêt contre vous ainsi qu'une saisie judiciaire de certains actifs concernant le journal Le Spectateur, dont vous êtes le propriétaire depuis une semaine. Au titre de corruption, malversations financières et délit d'initié lors de votre mandat en tant que président du Conseil de Haven.
— Je vois.
Bruckner compta, machinalement, le nombre de domestiques.
— Nous avons aussi un mandat d'arrêt contre Lysen Maklar, votre fils. Où se trouve-t-il actuellement ?
— Lysen ? Aucune idée. Et quel motif, si je puis me permettre ?
— Affaire de mœurs. Tentative de corruption interespèces.
— Hum. Vous me dites que mon fils a essayé de courtiser une humaine.
Bruckner hocha la tête.
— Et que je suis corrompu.
Il recommença.
— Dites-moi... lieutenant... Bruckner, avez-vous aussi reçu l'ordre de me tuer ?
— Euh, non.
— Dans ce cas, je vous suivrai volontiers.
— Monsieur, nous devons aussi fouiller la maison.
— Faites.
— Et saisir vos actifs.
— Faites.
Le calme de Partel lui courait sur les nerfs. Il comprenait et contemplait son impuissance. Paulem avait protégé son rejeton. Lysen était en cavale.
Bruckner tourna sur ses talons et aboya :
— Retrouvez-moi Lysen Partel ! »
***
Un souffle d'air fit vaciller la bougie.
La silhouette emmitouflée referma la porte derrière elle.
« Qu'est-ce qu'on vous sert ?
— Du Résignal.
— Pourquoi pas, dit l'homme, j'en ai justement une bouteille dans l'arrière-boutique. »
Il verrouilla la porte, puis mena l'arrivant dans un petit conduit, entre des tonneaux de bière empoussiérés, jusqu'à une pièce très encombrée. Un bureau recouvert de papiers, des malles de voyage ouvertes, des caisses de bois entassées. Un matelas de paille était posé à même le sol.
L'homme tira une chaise de bois et l'arrivant ôta son manteau.
« Bonsoir, Rhégar-sen.
— Vous savez qui je suis ?
— Ce ne pouvait être que vous. Nous savons que Tyell ne peut pas bouger du palais.
Il était depuis deux mois enfermé, encerclé par une escouade de Vigilance censée officiellement le protéger.
— Et vous êtes... ?
— Mohammed Dento. Marchand.
— Sans doute.
Une ombre surgit d'entre les caisses.
— Et je suis Malina, de passage.
Ils se regardèrent fixement, gênés.
— Ne perdons pas de temps, dit Dento. Comment va Chyselm ?
— Chyselm va bientôt mourir, dit lourdement Rhégar. Dans vingt-quatre heures, tout au plus. Tyell est à son chevet.
— Vous savez que dès qu'ils le sauront, Vigilance s'empressera de faire taire Tyell et de mettre un pantin à la place.
— Je sais. Nous savons que plusieurs agents se sont disséminés parmi les employés du palais.
— L'attaque de Vigilance sera le signal déclencheur. Tout va se jouer en trois endroits : la balise radio, le palais des gouverneurs, et la base de Vigilance.
— La police est avec nous, dit Rhégar. Elle peut se charger de la base. Quant au palais, j'ai une vingtaine d'hommes, plus les employés. Nous tiendrons le temps nécessaire. Et vous, combien êtes-vous ?
— L'important n'est pas le nombre. Nous nous chargerons de la balise. Par ailleurs, Lysen Partel est ici, avec des havéniens. Il compte se joindre à nous.
Rhégar regardait Malina comme s'il l'avait déjà vue dans une autre vie.
— Vous êtes la chamane.
Elle lui montra ses mains.
— Rien ne le prouve.
— Pour moi c'est évident. Vous connaissez Tyell, alors ?
Dento l'empêcha de répondre. Il semblait pressé. Beaucoup à faire, beaucoup à organiser. Ce soir même, des chuchotements circuleraient dans toutes les alcôves, des messages codés seraient négligemment laissés sur les comptoirs, des valises circuleraient dans des chambres d'hôtel. Sym levait une armée invisible.
« Nous serons dans toute la ville, prévint-il. Dès que Vigilance lance son assaut, nous frappons nous aussi. Bonne chance, Rhégar. Que vos ancêtres vous protègent.
Rhégar hésita et empoigna sa main avec assurance.
— J'ai appris à ne faire confiance qu'aux vivants, indiqua-t-il. Et j'ai l'impression d'être plutôt bien entouré de ce côté là. Bonne chance. »
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