53. Évasion - 1



Que personne ne trompe personne
Ou ne méprise quiconque, nulle part,
Ou que par colère ou irritation
Personne ne souhaite de souffrir à personne.


Comme une mère risquerait sa vie
Pour protéger son enfant, son seul enfant,
De même doit-on cultiver un cœur sans limite
Par rapport à tous les êtres.


Sutta Nipata I.8

D'après la traduction du Pali à l'Anglais par Thanissaro Bhikkhu.

De http://www.canonpali.org/


Petits, grands, riches, pauvres, personne jusqu'à présent n'avait résisté à la puissance inquisitrice de Vigilance.

Fang entra dans la salle d'interrogatoire avec vigueur. Depuis deux semaines, les deux prisonniers poussaient sa patience à bout. Et le regard torve avec lequel l'accueillit Saeko, superbe et détaché, n'arrangea rien.

« Vous dormez dix heures par jour et vous ne dites rien ! tempêta-t-elle. Arrêtez avec votre indifférence. Nous n'avons plus le temps.

— « Heureux, tranquilles, puissent tous les êtres être heureux dans leur cœur

Quels que soient ces êtres... »

— Silence !

— « Faibles ou forts, sans exception, longs, larges, moyens, courts, subtils, grossiers, visibles et invisibles, proches et éloignés, nés et à venir : puissent tous les êtres être heureux dans leur cœur. »

— Silence.

Saeko posa les coudes sur la table métallisée et appuya son menton sur ses mains.

— J'ai tout mon temps, dit-elle. Je médite. Je lis. J'ai emmené avec moi de nombreux livres.

Fang Yin posa des documents sur la table, ainsi qu'un ordinateur portable à clavier.

— Vous allez collaborer avec nous, ordonna-t-elle. Je vous ai ramené des documents classifiés datant de la CVUM. Si vous possédez les clés de déchiffrement correspondantes, vous serez à même de les ouvrir.

— Je suppose que ce sont des rapports scientifiques qui aiguilleraient vos recherches militaires.

Saeko posa la main sur les papiers.

— Fang-sen, je ne souhaite pas collaborer avec vous. Je suis imperméable à vos discours catastrophistes et sécuritaires. Ma mission est de trouver, s'il existe, un moyen de désactiver le bouclier Égide de l'intérieur.

— J'ai l'impression que vous oubliez que vous êtes enfermée ici.

— J'en ai profité pour me reposer, mais il est temps, en effet, de me laisser partir. »

Saeko affronta Fang du regard pendant quelques instants. De rouges, ses yeux étaient devenus bleus et sa peau avait pris des couleurs. Elle s'entraînait à changer d'apparence, moyen idéal de disparaître une fois sortie de cellule.

« Soyons franches. Vous n'avez aucun levier d'action sur moi, ni psychologique, ni physique. Vous devez savoir que je peux me rendre insensible à la douleur et à la plupart des drogues psychotropes que vous pourriez tenter sur moi.

— Et j'ai votre coéquipier dans une cellule à côté. Coéquipier ? Peut-être un peu plus que ça, je suppose.

— Fang-sen, combiner le registre émotionnel et le chantage est la stratégie que j'attendais de votre part. Je suppose qu'elle a fonctionné pour vous jusqu'à présent, du fait de votre bonne connaissance des almains à qui vous avez eu affaire. Regardez-moi, Fang-sen. Je ne suis pas de ce monde. Je suis de la Division 1. Mon corps contient un ordinateur d'une puissance d'un téraflop. J'ai traversé des milliards de kilomètre d'espace standard pour venir ici et je me suis écrasée sur la Terre à mille fois la vitesse des balles de vos fusils. Je récuse votre comportement, ainsi que l'action de Vigilance dont j'ai eu jusqu'ici un aperçu. Il n'entre pas dans mes prérogatives d'entrer en opposition frontale avec cette institution ; cependant, j'ai toute latitude pour me défendre contre les agressions à mon intégrité, celle de Tanak ou celle de ma mission.

Fang posa les poings sur la table, le ton plein d'ironie.

— Vous parlez bien, Saeko, mais moi j'affirme que je peux vous faire faire ce que je veux. Il me suffit de prendre votre copain, et, même s'il résiste à la douleur, de lui couper des morceaux. Contrairement à vous, je suppose, je ne pense pas que l'usage de la violence est l'apanage des peuples primitifs. Il s'agit d'une manière comme une autre de travailler avec les almains. Utilisée à bon escient, cela fonctionne.

— Je conclus de votre attitude que rester plus longtemps ici met en danger notre intégrité physique. J'en prends acte. Au revoir. »

Saeko étendit le bras, puis vite qu'un être almain ne devrait pouvoir le faire, et attrapa la main de Fang Yin.

Elle maintint une pression sur son poignet pendant une seconde, jusqu'à ce que Fang s'arrache à sa prise, et lui renvoie un coup de coude en plein visage. Saeko broncha à peine. Un filet de sang dégoulina de son nez.

« Vous êtes pitoyable, dit Fang. Je comprends très bien votre comportement. Vous prenez vos désirs pour des réalités. »

Elle posa la main sur la poignée et sortit de la pièce.


***


« Fang Yin ! Un cadeau pour vous !

Edward accourrait, talonné par son assistante, une seringue pleine à la main, dont des gouttes tombaient sur les grilles du sol.

— Qu'est-ce que vous avez ? dit Fang en le voyant s'arrêter devant elle, flottant dans son éternelle blouse tachée.

— J'ai besoin de vous injecter ça, dit-il en agitant la seringue.

— Vous rêvez, Ed.

— Si vous résistez, Aurélia a ordre de vous immobiliser.

— Mais quel est votre délire... »

Aurélia fit un pas sur le côté, se détachant de la silhouette du scientifique, et Fang vit le canon d'un pistolet à silencieux pointé sur elle. Un Mohren en carbone, ce qui expliquait sans doute comment l'hybride avait pu le faire entrer dans le bunker. En tant que consultante, elle n'était pas censée être armée.

« Qu'est-ce qu'il y a dans cette seringue ? C'est la façon la plus ridicule que j'ai jamais vue d'empoisonner quelqu'un. Alors, c'est quoi ? Une neurotoxine ?

— Mmm, en parlant de ça...

— Fang-sen, nous agissons sur autorisation du Commandement. Il se trouve que maître Ed et moi-même étions les seuls à vouloir intervenir depuis que le bunker a été fermé.

— Fermé ? Pour quelle raison ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas au courant ?

— Fang-sen, que faisiez-vous à l'instant ?

— Je viens de voir la prisonnière de l'Exadiel. J'allais m'occuper de l'autre.

Edward soupira.

— Les deux se sont tirés depuis deux heures et c'est vous qui leur avez ouvert la porte. Fang-sen, on a vraiment besoin de vous injecter ça. Je ne peux pas prédire ce qui va vous arriver sinon.

— De quoi parlez-vous ?

— Parlementer ne sert à rien, dit Aurélia.

L'hybride au regard vide prit le bras de Fang, le tordit et le colla au mur, tandis que, de sa main droite, elle enfonçait le canon du Mohren sous sa mâchoire. Fang n'essaya pas de se débattre. Le contact de l'arme la dissuadait.

— Vous me devez un verre, dit Ed en remontant sa manche. Disons qu'on ira boire un coup tous les trois quand vous serez de nouveau en service actif. Ce qui devrait arriver rapidement. Numberane a toujours besoin de vous. Elle a un faible pour ces méthodes expéditives qui sont les vôtres. Autant nous, les scientifiques, sommes perpétuellement dénigrés par les décideurs, autant les gros bras musclés semblent avoir du succès.

Edward vida la seringue dans la veine de son bras et indiqua :

— Il nous reste entre dix minutes et une heure à tuer. Vous jouez aux cartes ?

— C'était quoi, Ed ? dit Fang en s'écartant.

— Pour faire simple, notre invitée de l'Exadiel a injecté des nanomachines dans votre sang. Elles sont remontées tranquillement jusqu'au cerveau et vous ont fait agir dans un état de demi-hypnose. Enfin, c'est ce que je vous conseille de dire quand ils vous mettront devant les vidéos où vous lui ouvrez gentiment la porte.

Ed croisa les bras.

— Ne faites pas cette tête, vous êtes la protégée de Numberane, il ne va rien vous arriver. Moi par contre, on m'a tiré les oreilles pour ne rien avoir vu venir. Alors que c'est moi qui ai émis en premier l'hypothèse qu'elle avait des nanoparticules actives dans le sang. La plupart ont échappé à la prise de sang que je lui ai faite. Vous vous rendez compte ? Ces machins ont fait exprès de ne pas venir dans la seringue.

— Qu'est-ce que vous m'avez donné ?

— Juste un genre d'anticorps maison pour rejeter les machines. C'est par précaution. Vous avez l'air de reprendre vos esprits et j'en conclus qu'ils ont arrêté de faire joujou avec vos dendrites. »

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