42. L'éveil du draken - 2
Dans son champ de vision, le bout du museau lui indiqua qu'elle était un renard.
L'animal avait perdu une partie de sa perception. Il était persuadé d'être attiré par de la nourriture, mais en réalité, il était sous le contrôle des spores entrés dans son cerveau, et des scients par leur intermédiaire.
Il se glissa sous une barrière en bois sans prêter attention aux chevaux qui s'agitaient près de lui. Des sources de lumière confuses émanaient du centre du village. À pas feutrés, il se laissa couler dans les îlots de pénombre, cherchant l'origine des lueurs, les oreilles dirigées vers des sons que son cerveau ne pouvait pas traduire, mais qui étaient transmis au reste du monde des scients. Il était leurs yeux. Il était les yeux d'Adriel.
« Qu'est-ce que c'est que ça ?
Il se déporta sur le côté, évitant le balayage du rayon aveuglant de la lampe torche.
— J'ai cru voir un animal, dit le soldat en tournant son dos vers lui.
Il portait un fusil en bandoulière. Le renard suivit l'odeur des almains derrière une maison.
— Fouillez toutes les maisons. Tant pis si on y passe la nuit.
— À vos ordres, lieutenant.
— Bruckner, regroupez-les tous par ici. Ne les laissez pas à l'intérieur.
Le soldat prit quelques hommes avec lui et commença à frapper aux portes.
— On n'a pas toute la nuit ! beugla le chef du groupe.
— Oui, lieutenant.
Bruckner donna un grand coup de pied dans la porte suivante.
— Rien ici, entendait-on maintenant de temps à autre.
Un okrane se tenait debout, bras croisés, devant le lieutenant et les autres hommes armés de Vigilance.
— Le fait que vous ayez des uniformes ne vous donne pas le droit de débarquer ici à l'improviste. Nous sommes des citoyens des Terres Occidentales et Vigilance ne peut intervenir ici que sous mandat.
— Je vais être clair. Le fait que nous ayons des armes vous oblige à nous laisser intervenir. Les problèmes administratifs ont déjà été réglés avec Haven.
L'okrane, réveillé en plein milieu de la nuit, était à peine vêtu et avait les traits tirés.
— Qu'est-ce que vous voulez à ce village ? demanda-t-il.
Une femme était à côté de lui, moins fatiguée et plus alerte.
— On a juste besoin de faire un décompte des habitants. Des médecins qui sont passés ici nous ont dit qu'il y avait des cas de maladies contagieuses. Il se pourrait que nous ayons à emmener un ou deux gamins à la ville, à nos frais.
— Vous voulez rire, dit la femme.
— Je fais mon travail, je suis mes ordres, et je ne veux pas rire. Soyez collaboratif. Dites à vos habitants de nous aider et de ne pas traîner des pieds. Vous êtes combien ici ?
— Cinquante deux, répondit immédiatement la femme avant l'okrane.
— J'ai compté plus de maisons que pour cinquante-deux personnes.
— À quoi ça sert qu'on vous réponde si vous mettez tout en doute ?
Le renard ne voyait pas son visage, mais ceux des quelques villageois qui lui faisaient face. La femme cachait bien sa peur.
— Combien d'okranes ? dit le lieutenant.
— Vingt.
— Combien d'humains ?
— Trente-deux.
Le lieutenant décrocha le pistolet à sa ceinture, l'arma et le pointa à bout portant sur la poitrine de l'okrane.
— Combien d'hybrides ?
— Mais il est malade ! s'exclama un homme dans le groupe des villageois.
— Nous allons avoir du mal à collaborer dans ces conditions, dit la femme.
— Je ne comprends pas, dit l'okrane. Si vous vouliez tout savoir, il suffisait de vous faire passer pour des médecins et d'examiner tout le monde.
— Quels sont exactement vos ordres ? demanda la femme.
Des cris retentirent de l'autre côté, dans la pénombre.
— Arrêtez-vous !
Des tirs étouffés claquèrent.
— Lieutenant, il y en a qui essaient de s'enfuir !
L'homme appuya avec son canon sur l'okrane, au niveau du cœur. Il lui présenta un micro, puis y parla, et sa voix ressortit amplifiée du véhicule qui stationnait au milieu de la rue.
— Nous sommes actuellement en train de réaliser des contrôles d'identité. Merci d'être collaboratifs. Votre administrateur local va vous confirmer qu'il faut obéir aux ordres que nous vous donnons.
Il lui présenta le micro. Pendant l'instant d'hésitation qui suivit, la femme bouscula le lieutenant, arracha le micro et y lança :
— Sauvez-vous ! »
Une lampe tomba à terre et un rayon de lumière fusa en direction du renard, qui dut encore changer de poste. Des tirs éclatèrent. Le lieutenant reprit ses esprits, chercha du regard autour de lui, et fut touché dans le dos. Son gilet pare-balles arrêta le projectile, mais le choc le prit de court et il s'accrocha à la voiture en tombant.
« On manque de lumière ! » beugla quelqu'un.
Ouvrant la portière en grand, il chercha quelque chose à l'intérieur. Le renard eut soudain l'envie irrépressible de courir vers lui, même dans la lumière des phares de la voiture. Lorsque le lieutenant se retourna, une sorte de boule noire à la main, il vit le renard devant lui. Surpris, il lança d'abord le projectile, qui tomba à côté d'une maison et éclata en une nappe de flammes. La porte en bois, l'armature du toit et même les murs en pierre disparurent sous la trombe infernale. Le renard mordit la main de l'homme avant qu'il puisse tirer sur lui, et bondissant par-dessus le capot de la voiture, disparut dans l'obscurité.
Les ombres reculaient maintenant derrière l'incendie naissant. Les tirs n'avaient pas cessé.
« Ne tirez que s'ils essaient de fuir, dit-il dans la radio. Si vous la trouvez, prenez-la vivante.
— Lieutenant ! cria Bruckner. À l'Ouest ! »
Le lieutenant, la main ensanglantée et plusieurs phalanges manquantes, leva la tête et disparut dans un torrent de flammes.
Un battement d'ailes transmit l'incendie à tout le reste du village. Adriel était à l'interface entre la lumière et l'obscurité. Il était le feu, voué à n'épargner aucun des almains sur son passage.
Quelques balles ricochèrent sur les écailles des platine de sa tête. Il n'y prêta pas d'attention et se posa, balayant les ruines d'une maison dévorée par les flammes pour se faire plus de place. Une villageoise qui avait survécu fut emprisonnée dans son regard. Il voulait savoir. Il extrairait ces informations de son cerveau, qu'elle le veuille ou non.
Une balle perdue la faucha et Adriel, surpris de ne pas l'avoir vu venir, chercha les almains coupables. Puis tout ceci lui sembla futile. Il balaya ce qu'il trouvait sur son passage, poursuivant la seule âme qui l'intéressait ici. Almira.
Il se projeta à l'extérieur du village d'un coup d'ailes et croisa son esprit. L'enfant avait profité de la confusion pour s'éloigner. Son âme était vide, plus rien pour elle ne faisait sens : il n'y avait plus que le chant des flammes, et le regard du draken.
C'est dans ce regard qu'elle reconnut le premier souvenir de sa vie précédente. Adriel le perçut en retour. Cette enfant que les scients avaient choisi serait bien Almira.
Qu'attends-tu ? Vis !
Oui, Almira vivait, et c'était tout ce qui lui importait. L'almaine qui l'avait précédée dans ce corps venait de prendre fin, avec le reste de ce monde paisible, cette existence futile qui l'entourait. Adriel ne ressentait aucune joie dans la destruction, mais il n'avait pas non plus d'amertume. Ce sentiment de vide autour de lui ne provenait que de la fillette ; dans ses yeux, désormais, était entrée l'étincelle du draken.
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