39. Zanmar - 2


Lande, 136 AFS


Les uniformes auraient pu être ceux de n'importe quelle faction militaire. On devinait que leur doublure était pare-balles et d'aussi bonne qualité que les soldats de Vigilance. Mais tout était dans la décoration ; le cercle rouge sur le plastron rigide, et surtout, le masque de bois à l'expression peu commode.

« Chamane, dit l'une des deux femmes.

— Et sa cousine, dit Almira.

— Et son frère, dit Tyell.

S'il y avait une chose qu'il avait hérité de son père, c'était la capacité à mentir, de sorte qu'eux trois formaient un parfait faux-semblant.

— Pour quelle raison vous rendez-vous à Zanmar ?

— Je dois me rendre auprès des scients, dit Malina. J'en ai profité pour ramener les deux avec moi.

— Je vois, dit l'autre femme.

Si elles avaient des soupçons, ceux-ci restèrent cachés derrière leurs masques.

— Que se passe-t-il, Sym ? reprit la chamane. Est-ce que quelque chose est arrivé ?

— On peut dire ça. Un ensemble de transports et d'armes aériennes a traversé la frontière de la Zone. Nous ne l'avons su que récemment.

— Vous pensez que la Zone menace la Lande ?

— Nous ne faisons pas que penser, chamane.

— Si vous avez besoin d'aide...

— Si nous avons besoin d'aide, nous savons faire signe.

— Vous pouvez passer, dit la deuxième. Très bon séjour à Zanmar. Ne perdez pas de vue Almira. C'est une personne précieuse. »

Ils sortirent dans la rue, encore dans l'ombre mouvante du dirigeable accroché à son pylône par ses câbles en acier. Tous les manteaux étaient de sortie et paradaient sur les dalles de pierre.

« Ils savent tout, n'est-ce pas ? demanda Tyell.

— Tout comme les chamanes savent tout du monde des scients, dit Malina, Sym est leur pendant dans le monde des almains. Sym n'a pas de visage, pas de nom, elle n'est que Sym. N'importe qui et partout.

— Nous pouvons leur faire confiance ?

— La question n'est pas là. Nous ne pouvons pas faire autrement. Almira ?

— Nous avons encore une centaine de kilomètres et ce ne seront pas les plus faciles, prévint-elle. Vous pouvez encore me laisser là. Je sais que je peux les faire seule.

— On dirait que tu ne comprends pas. Cela fait six semaines que nous traversons le monde ensemble. Nos chemins sont déjà liés, Almira. Impossible de les défaire. »

Tyell la regarda s'éloigner devant eux.

« Elle est un peu...

— Nous approchons d'un draken endormi, dit Malina, l'âme la plus ancienne du monde après elle, un être qui incarne la corruption du pouvoir, la main de la Mort en ce monde. Et elle ne sait pas s'il veut la tuer. J'espère que tu la comprends. »


***


Terres Occidentales, 130 AFS


Lorsque Tristan descendit la rue principale du village, de nombreux visages se tournèrent vers lui comme des tournesols en été. Les passants faisaient mine de poser à terre ce qu'ils transportaient. Dans un tel hameau, chaque passage d'un étranger tenait de l'événement.

Il marcha jusqu'à la seule auberge, un bâtiment de bois doublé d'une clôture derrière laquelle se prélassaient des chevaux. Un okrane l'attendait à l'entrée, mains sur les hanches, tablier de travail bruni par l'usage.

« Bonjour, dit-il.

— Je suis désolé, je n'ai pas de quoi payer.

— On fera avec. »

Suite à sa longue marche, ses vêtements étaient en piteux état, mais son corps intact. Il n'avait pas enlevé ses tatouages à l'encre noire ; dans la Zone Surveillée, les quadrants ne signifiaient rien, on le prendrait simplement pour un ascète mystique.

« Vous nous venez de loin, dit l'okrane en lui donnant un morceau de pain, tandis que Tristan s'asseyait sur la dernière des trois marches de l'estrade de bois.

— Il arrive toujours un moment dans sa vie où l'on doit voyager.

— Votre accent ne me dit rien. Terres Orientales, je suppose ? »

Occupé à manger, il ne répondit pas.

Les adultes étant revenus à leurs travaux, des enfants s'attroupèrent autour de lui, à distance, fascinés. Ils le regardaient avec de grands yeux.

« Vous avez beaucoup de couples « mixtes » ici.

L'okrane eut un regard de défi.

— J'espère que cela ne vous dérange pas.

— Vous aurez des enfants avec un grand potentiel.

— Et sinon, qu'est-ce qui vous amène dans le coin ? Vous allez à Haven ?

— Je compte m'y arrêter.

Il continua de mâcher. L'okrane lui jetait des coups d'œil soupçonneux.

— Qui sont les parents de cette petite fille ? demanda-t-il en désignant une gamine qui avait déjà opté pour un autre jeu.

— Disons que je suis son père, mentit l'okrane. Quel est le problème ?

— Elle a une étrange marque dans le cou, je me demandais si c'était une maladie.

— C'est une tache de naissance, je crois. Rien de grave.

— Je vois.

Il grignota avec application les miettes restées sur ses doigts.

— Vous vivez loin de la ville. Est-ce que des médecins viennent par ici de temps à autre ?

— Ça arrive, dit l'okrane en se grattant la tête. On a un infirmier, mais un médecin de Haven passe tous les trois mois pour vérifier que les enfants vont bien.

— Je vois. La demande vous paraîtra étrange, mais pourriez-vous me présenter les parents de cette fillette ?

— Je ne vois pas ce que vous leur voulez. Ils doivent être en train de travailler, je ne les ai pas vus aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous amène dans la région, en tout cas ?

— On m'a dit que quelque chose de grave se préparait. Un déséquilibre. Quelqu'un fomente un coup d'État.

— Vous devez vivre à l'autre bout du monde. Ici, c'est la paix depuis aussi longtemps que je le sais.

— On a tort de croire que les temps de paix se maintiennent tout seuls.

— Si vous le dites.

Tristan se remit debout.

— Merci pour le pain.

— Vous comptez partir dans cet état ? Il y a au moins cinquante kilomètres de forêt jusqu'à Haven.

— Je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Ne vous en faites pas pour moi. »

L'okrane leva un sourcil soupçonneux, puis considéra que ce n'était pas de son ressort. Il alla néanmoins chercher une vieille gourde en fer blanc, la remplit à sa propre réserve d'eau et lui courut après pour la lui donner.

« Merci » dit Tristan.

L'okrane lui rendit son dernier adieu, sans se douter qu'il fixait la petite fille aux cheveux blancs et argentés, derrière lui. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était l'objet d'attention. Elle ne savait pas encore. Almira ne s'était pas encore éveillée.


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Le MdS : le bouquin où tout le monde, tout le temps, marche.


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