37. La Lande - 3


« Je n'ai jamais voulu être seule.

— Tu n'a jamais été seule.

— Si Adriel est mon esprit-guide, que représentes-tu, Mira ?

— Tu es la dylnia. Et il n'y a pas qu'un seul esprit dans tes souvenirs. Ils sont même nombreux. Je parle en leur nom. »

Mira flottait autour d'elle, à la frontière entre l'esprit et le songe.

Almira se pencha sur le bastingage du dirigeable pour apercevoir les étoiles. Des nuages d'orage s'amoncelaient à l'Ouest.

Elle n'avait pas voulu faire confiance à Tyell lorsqu'il s'était joint à elles. Cela ne faisait qu'un mois de voyage écoulé, mais en passant vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans le même périmètre, un mois représentait bien une année.

Le jeune Maklar ne pouvait rien lui apprendre sur Donoma et les Terres Occidentales. Pire, il pouvait lui rappeler de mauvais souvenirs. Malina avait, au contraire, posé beaucoup de questions.

« C'est faux. Tu ne savais rien sur Tyell lui-même. Comment peux-tu comprendre le monde si tu ne comprends pas les almains ?

— J'ai vécu assez longtemps pour comprendre les almains.

— C'est faux ! À l'heure actuelle, ce ne sont pas les almains que tu comprends le mieux, mais les scients.

— As-tu des conseils pour moi, Mira ?

— Tu sais que tu es sur le bon chemin, pas vrai ? Il suffit d'y rester. »

Le bon chemin.

Il était clair que Malina suivait une voie guidée par Tivalhac. Quant à savoir pourquoi l'esprit avait mené sa chamane sur ce chemin, c'était trop tôt pour le dire. Les scients avaient-ils un plan pour Almira ? Ou était-ce simplement l'envie de l'aider, de réparer sa mémoire le plus vite possible afin qu'elle devienne utile ? Qu'elle retrouve ce qui lui manquait encore ?

Elle ne savait pas ce qui lui manquait.

Elle poursuivait une seule chose, la mémoire d'une seule nuit.

En fermant les yeux, elle pouvait rappeler autour d'elle, à tout moment, le bruit des armes à feu, le crépitement des flammes, et leur odeur. La forte odeur de pétrole des exhalaisons du draken.

Pourquoi, Adriel ?

Vis !

Je ne peux que vivre. Encore, et encore.

« Qu'est-ce que tu penses de Malina ?

— Rien de particulier.

— En réalité, tu l'aimes bien. Elle te ressemble, à toi quand tu étais plus jeune.

— Malina est plus ancrée dans le monde des scients que je ne le suis. Mais je ne comprends pas quelles sont ses motivations et je ne connais pas Tivalhac.

— Pourquoi serais-tu méfiante ? Méfiante de quelque chose qui met en défaut ta compréhension ? Cela ne devrait-il pas te motiver à chercher, aller plus loin, ouvrir plus grands tes yeux ? Tu dois pourtant servir d'exemple aux almains.

— Dit comme ça, tu as raison.

— Et Tyell ?

— Il a beaucoup plus d'idéaux que la proximité avec le monde politique ne devrait lui laisser. Peut-être qu'il ferait un bon successeur à son père.

— Vous trois partagez un point commun.

Almira interrogea l'image de Mira du regard.

— Vous êtes sur ce chemin parce que vous cherchez un but, mais vous ne savez pas lequel.

Tu sais que tu dois retrouver Adriel, mais tu ne sais pas s'il va t'apprendre quelque chose ou te tuer.

Malina sait qu'elle doit suivre Tivalhac, mais ignore quel est le plan des scients.

Tyell a longtemps cherché le moyen de « devenir » normal, et a compris que c'était impossible. Maintenant il veut vivre avec ses dons de scient. Mais il ne sait pas jusqu'où cela doit le mener.

— Et tout cela, sans compter les remous qui agitent la géopolitique mondore.

— Vous trois serez utiles au monde, Almira, une fois que vous aurez retrouvé votre finalité et acquis votre pouvoir.

— Personne n'est vraiment puissant. »

La porte qui donnait sur le salon s'ouvrit sur la silhouette de Malina. Mira fit mine de prendre le chemin inverse et s'effaça dans les volutes de lumière.

« En train de philosopher ? demanda la chamane.

— Comment était Tristan ?

— Il faisait exprès d'être très distant. Il m'a expliqué que les scients m'avaient pris à mes parents et que ma vie serait solitaire. Que l'almanité me rejetterait. Je lui demandais pourquoi il fallait abandonner ma famille, pourquoi je ne la reverrais plus.

Il m'a répondu ce que je n'imaginais pas pouvoir être vrai. Si tu t'éloignes du reste du monde, tu ne dois obliger personne à te suivre sur ce chemin. Ta famille appartient à un monde qui n'est plus le tien.

Tristan était exigeant et il désapprouvait tout ce que je faisais. Je lui ai dit à de multiples reprises que j'allais arrêter, et il m'a simplement répondu qu'en milieu de chemin, ni le monde des hommes ne pouvait me récupérer, ni celui des scients me reconnaître. Je n'avais pas le choix, en quelque sorte.

Mais au final, tu sais comment nous sommes, les almains. Au final, il m'aimait beaucoup. Du début jusqu'au jour où il m'a dit de suivre ma voie. Ce n'était pas quelqu'un à montrer ses émotions. Un peu comme toi. »

Almira lui asséna un regard de reproche.

« Ma vie a été si longue qu'il ne me reste plus assez d'émotions almaines.

— Ce n'est pas vrai, Almira. C'est juste que tu as toujours été séparée de tout ce que tu aimais et de ce en quoi tu croyais, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que toi. Le monde n'a cessé de changer autour de toi et tu es restée... tu es celle qui a le plus perdu.

Mais si tu ne t'efforces pas d'avoir des rêves, la vie que tu mènes finira par perdre son sens, et tu ne sera plus almaine. Ton immortalité te détruira jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une reine de glace sur un trône de pouvoir : tu seras devenue un draken.

C'est ce monstre que tu vas affronter, Almira. Ce monstre que tu t'apprêtes à devenir. Tu dois l'affronter et le détruire, afin de gagner ton pouvoir.

— Et toi, qu'affronteras-tu ?

— Le vide. »

Elle disparut de la même façon que Mira. De l'Ouest, où les éclairs frappaient le sol sans distinction, se levait un vent contraire.

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