33. Hermès
Le choix du nom du module fut naturel.
Hermès, le messager des dieux de l'Olympe, descendrait sur Mondor. Saeko et Tanak porteraient sur la planète emprisonnée des nouvelles d'outre-espace.
Derrière la vitre virtuelle, un écran doté d'une fausse 3D et d'une précision suffisante pour se confondre avec le réel, cent mètres de vide spatial plus loin, les alephs assemblaient les pièces finales d'Hermès. Son réacteur à effet Hawking et son perturbateur inertiel disparaissaient sous les plaques de métamatériaux céramiques.
Tanak et Saeko avaient été longuement préparés pour la mission Hermès.
Pour commencer, ils avaient effectué une copie de sauvegarde.
Les nanoscopes intégrés à leurs organismes d'almains augmentés avaient tracé la carte de leurs connexions synaptiques, pendant près d'une semaine de coma sans rêve, où leurs corps étaient maintenus en stase. Le résultat, l'empreinte, la précieuse conformation de leur connectome cérébral, avait été compressé et stocké dans des modules informatiques spéciaux.
Cette boîte de Pandore ne pourrait être ouverte qu'en cas de confirmation de la mort de l'augmain correspondant. Alors, son esprit serait émulé sur une architecture informatique compatible. Il s'éveillerait dans un monde virtuel, entouré d'alephs qui lui expliqueraient sa situation présente et lui laisseraient le choix entre trois possibilités.
Transcrire son esprit sous forme d'architecture aleph et, dans cette âme nouvelle et dissemblable de la précédente, rejoindre le royaume invisible du réseau aleph.
Attendre la maturation d'un corps artificiel, clone basé sur son précédent patrimoine génétique, ou conçu sur mesure, et y copier l'empreinte neurale, avec le secours d'un nanoscope.
Ou bien, faire le dernier voyage.
L'existence et le statut des augmains avait déclenché de vifs débats, en sommeil depuis quelques années. Au sein de la Division 1, dix pour cent des agents de terrain tels que Saeko et Tanak rencontraient la mort au cours de leurs années de service. La Division avait eu recours à la technologie d'empreinte, à la demande des concernés, à une cinquantaine de reprises. Le taux d'échec initial de cinquante pour cent avait diminué jusqu'à dix pour cent.
Le processus de construction d'une empreinte cérébrale ne laissait aucune séquelle, mais il y avait des erreurs de copie et de traduction, des états instables, des manquements. De nombreuses altérations potentielles guettaient la copie à son réveil, aussi bien des souvenirs absents que des traits de caractère modifiés, voire des maladies psychologiques. Dans le pire des cas, elle pouvait se révéler non viable.
Les deux almains allaient subir la décélération la plus importante depuis l'histoire spatiale. L'Hermès serait tiré à une distance de cinq cent mille kilomètres de Mondor et il parcourrait celle-ci en moins d'une minute. Il passerait donc de cinq mille kilomètres par seconde à zéro en l'espace de cent kilomètres, ce qui, en dehors d'être impossible physiquement sans l'action du perturbateur inertiel, aurait normalement pour effet notable de vaporiser l'appareil.
Or, il fallait qu'il y ait deux passagers à bord de l'Hermès. C'était une prise de contact avec Mondor. Il ne pouvait y avoir de prise de contact sans ambassadeur.
« Nous ne pouvons pas garantir que vous pourrez revenir de Mondor avant plusieurs années, avait répété l'amiral. Vous pourriez bien être bloqués ici. Nous ne pouvons pas non plus garantir votre sécurité. Nous ignorons tout des changements politiques qui ont eu lieu depuis la coupure des communications. Nous ignorons, enfin, s'il existe encore des almains sur cette planète. »
Les nanoscopes leur donnaient accès à des banques de langage extensives. Panterrien, anglais, mandarin, swahili, okrane. Qui que soient les mondores encore en vie, s'il y en avait, ils sauraient leur parler.
On avait approfondi leur entraînement de survie. C devait avoir introduit des espèces nouvelles sur Mondor, comme il se promettait de le faire autrefois sur Terre. Impossible de savoir quels monstres les attendraient au sol.
On les avait vaccinés contre de nombreuses maladies, le virus Alcyon notamment, autrefois lâché sur Terre par C. Mais contre les agents pathogènes certainement nouveaux qui s'étaient développés dans l'écosystème, rien ne les aiderait mieux que les nanoscopes, aptes à accélérer et doper la réaction du système immunitaire.
Enfin, détail de la plus haute importance, si les mondores existaient encore, leur espèce était inconnue. Humains et okranes pouvaient s'être éteints ou hybridés. Aussi Tanak et Saeko représentaient-ils un compromis ; Tanak aux « trois quarts » humains, répondant parfaitement aux marqueurs usuels, Saeko « totalement » okrane.
« Pas de question ? demanda 123. Vous avez réussi à recontacter votre frère, Saeko-sen ?
— Oui, dit-elle.
— Est-ce qu'il le prend bien ?
— Il s'est résigné. »
L'aleph ne fit pas de remarque.
D'après les dossiers de la Division 1, il savait que la famille de Saeko était à demi originaire de Mondor. Il savait que les parents de Saeko, explorateurs spatiaux, étaient morts dans l'explosion d'un croiseur Nautile qui avait tenté de traverser un ponts d'Arcs instable. Que son frère émette de l'appréhension face à une mission sans retour n'en était que plus compréhensible.
« J'ai pu confirmer à l'amiral Bertram que nous devrions capter une trace gravitationnelle si votre décélération se passe comme prévu. Nous serons donc presque sûr que votre amerrissage aura bien eu lieu et que vous serez vivants.
— Malgré cela, dit Saeko, personne ne saura si nous avons réussi ou pas.
— La « réussite » de votre mission ne pourra s'évaluer que sur le long terme. »
Ils n'avaient pas peur, ni face au danger que représentait Égide, les 7 % de chance d'être désintégré dans la rentrée atmosphérique, ni face à l'inconnu que représentait Mondor – car les deux faisaient partie de leur nature, de leur manière d'être. Ils n'étaient pas particulièrement téméraires, mais leur résolution était sans faille, et leur préparation parfaite.
123 ne doutait pas que leur mission serait un succès. Un jour, Égide serait désactivé ; Saeko et Tanak deviendraient deux héros dans l'histoire de la Division.
***
« Plus que trente secondes avant lancement. »
Saeko pensa à 444, l'aleph qui commandait le vaisseau. Les spécifications d'Hermès indiquaient qu'ol devrait se désactiver et détruire sa mémoire après l'amerrissage et le détachage de la capsule de survie. Ol n'avait pas vécu longtemps et mourrait deux minutes après le début de sa première mission. Ol était bien plus à plaindre qu'eux deux.
Pourtant, lui aussi avait accepté, et lui aussi était sur la liste de départ. Ils étaient trois explorateurs, pas deux, et l'un avait choisi de se sacrifier pour la mission.
La mort pour les alephs n'était pas vraiment une mort – la partie « consciente » de 444 était un noyau dont différentes copies et différentes « âmes-sœurs » existaient dans le réseau aleph. Mais le point de vue « factuel » prôné par la législation de la Conférence indiquait qu'à partir du moment où il était stocké sur un support informatique indépendant, l'aleph était une entité indépendante, et même si des copies de sa conscience existaient, ol allait mourir. Sa conscience informatique, celle-ci, allait s'éteindre.
« Plus que vingt secondes avant lancement » dit 444.
Un gel compact les engluait pour les protéger, rendant tout mouvement impossible. Respirateur et parois de plastique occupaient leurs champs de vision respectifs.
« Je t'aime, Saeko.
— Moi aussi, répondit-elle.
— Plus que dix secondes avant lancement, dit 444. Saeko, Tanak, je vous souhaite bonne chance. »
Ce fut la dernière fois qu'ils entendirent la voix de l'aleph.
Les dernières secondes s'égrenèrent dans leur VA, des chiffres superposés à la réalité par l'action des nanomachines qui interagissaient avec leur cortex visuel. Puis le lancement eut lieu.
Onde électromagnétique, perturbation gravitationnelle, rayonnements gamma, jets de protons relativistes. Hermès fut tiré comme un boulet de canon. Les capteur s'affolèrent ; l'œil vit une intense traînée de lumière se disperser aussitôt comme un miracle secret.
Il ne fallait pas qu'Égide repère sa course à temps.
À l'intérieur du vaisseau, les deux passagers ne ressentirent qu'une légère accélération. Pas plus de 1 ou 2g.
Sur la VA, Saeko et Tanak recevaient les informations de 444 relatives à leur plan de vol. Un bouclier électromagnétique les cachait, Égide se rendit compte de leur présence trop tard. Ils avaient déjà traversé la barrière.
444 indiqua les secondes avant impact.
Le vaisseau avait ralenti dans l'atmosphère. La coque externe avait été vaporisée. Rien de tout cela n'était perceptible de l'intérieur. En revanche, l'impact avec l'océan réduirait Hermès en miettes. Seule la capsule de survie devait résister.
Le gel qui les entourait se cristallisa. Ils étaient comme deux insectes pris dans de l'ambre. Même à l'intérieur de leur corps, les nanomachines formaient des filaments, des toiles internes pour protéger leurs organes du choc.
Puis ils rencontrèrent l'océan.
***
Saeko ne perdit pas connaissance, mais les nanomachines l'informèrent de dommages internes mineurs dans son organisme.
Recommandation. Pas de mouvement brusque.
Le gel qui les avait maintenu pendant l'amerrissage s'était maintenant liquéfié et ils pouvaient y nager. 444 semblait mort. Si elle et Tanak étaient bien vivants, ils ne pouvaient être que sur la surface de Mondor.
Saeko jeta son pied dans la vitre pour la briser, se dégagea du respirateur et des sangles. Le système lui indiqua que Tanak avait perdu connaissance, mais que son état était stable. Une tentative de réveil était prévue dans les prochaines minutes.
Il faut maintenant ouvrir la capsule.
Oui, pensa-t-elle pour le nanoscope.
La distance aux côtes est de deux cent kilomètres. Les courants marins sont défavorables. Tu dois donc activer le radeau pneumatique. Aucune tempête ne semble s'approcher dans la zone.
Elle chercha les commandes et activa les leviers, mais le système ne répondit pas.
Pourquoi le système est-il éteint ?
Une impulsion électromagnétique a endommagé une partie des systèmes automatiques. Il faut prévoir maintenant une sortie manuelle.
Affiche le diagnostic des systèmes.
Je vois.
La capsule flotte toujours, dit le nanoscope. C'est stable. Tu peux attendre que Tanak se réveille pour l'ouverture manuelle.
Attendre.
Elle était sur Mondor.
La mission commençait.
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