28. Tyell - 3
Terres Orientales, 136 AFS
Il ne restait plus beaucoup de temps à vivre à la bougie en sève. Rhégar traçait un semblant de carte sur le sol en s'aidant de la poussière.
« Demain à l'aube, tu partiras du côté Est, puis tu marcheras le long du chemin. Il commencera à monter, tu continueras jusqu'à rencontrer un rocher de métal complètement envahi par les lierres. Là, tu continueras à droite, et normalement, après quelques centaines de mètres dans la forêt, tu trouveras un autre chemin, que tu suivras vers le Nord jusqu'à rencontrer la maison sur pilotis. Arrivé là, tu attendras. Si tu ne reviens pas demain à midi, je repars seul. Je te retrouverai à Parlis dans quelques mois, dès que leur balise sera réactivée.
— Vous ne venez pas avec moi ?
— Je ne pense pas être le bienvenu. Sur ce chemin, tu ne crains rien.
— Vous êtes sûr que vous pourrez gérer la situation avec mon père ?
— Ton père a de l'autorité, ce qu'il faut pour un gouverneur de Donoma, crois-moi. Mais il sait que tout son pouvoir n'a pas de prise sur tes aspirations.
— Merci pour tout, Rhégar.
— Je t'apprécie, jeune homme. Tu me rappelles l'insouciance de la jeunesse, la stupidité en moins, ce qui est une chance à saisir. Tu mérites d'obtenir le savoir et la sagesse que tu désires. »
***
Pas de Tito à l'horizon lorsque Tyell quitta le village. Il passa sous le regard des hommes assurant la sécurité, qui jouaient avec des jetons de bois. L'air était frais, la surface du lac calme. Il suivit le chemin que lui avait indiqué Rhégar.
Tu mérites d'obtenir le savoir.
N'eût-il été le fil du gouverneur, Tyell n'aurait pas connu Rhégar et obtenir de partir pour le village, de rencontrer « quelqu'un ».
Il aperçut la maison sur pilotis derrière les arbres.
Il avait exploré plusieurs pistes sans aboutir. Seule certitude, il n'y avait rien pour lui à la ville. Il était facile d'y trouver des personnes se réclamant d'une ancestrale tradition chamanique, voire être la dylnia, ou son fils caché. Mais la supercherie ne tenait que grâce à la crédulité consentie de l'auditoire.
Pour apprendre, il fallait accepter de partir. Celle que connaissait Rhégar vivait loin de tout, entre quelques villages minuscules, au milieu de la forêt Orientale. Une jeune mystique sans attache qui disait entendre les voix des scients.
Tyell écarta des branches.
À quelques mètres de l'échelle de corde qui menait au plancher de la maisonnette, une jeune femme était assise dans une posture méditative. Sa tunique de voyage et son pantalon de toile avaient une allure monastique. Sa respiration était aussi discrète que les mouvements des saules.
Tyell décrocha l'étui du sabre dans son dos, posa celui-ci devant lui, et s'assit en face d'elle. Puis il attendit.
Elle avait une cicatrice sur le haut du front, une tache de Harper totalement guérie, par-dessus laquelle tombait une de ses tresses noires.
« Êtes-vous la chamane ?
— Es-tu Tyell Maklar ?
— Quel est votre nom ?
— Malina Vrinda.
— Vous êtes celle que je suis venu chercher.
— Je t'attends depuis plusieurs jours.
— Comment pouvez-vous savoir que j'allais venir ?
— Les scients ont suivi ton chemin. Rhégar n'est pas passé dire bonjour ? Il a peur de moi ? Il m'en veut encore pour cette fois ?
— Quelle fois ?
— Il se pourrait que je l'aie cogné pour le sauver.
— Tyell Maklar ?
Une autre émergea entre les saules, portant arc et flèches.
— Je vous connais ? demanda-t-il.
— Nous nous sommes déjà rencontrés, mais c'était dans une autre vie.
— Vous êtes la dylnia.
— Tu es un hybride.
— Comment est-ce que vous saviez ça ?
— De la même manière que tu as du t'en rendre compte quelques années plus tard : les spores qui vivent dans ta peau.
Tyell joignit les mains et baissa la tête.
— Almira-sen, Malina-sen, je vous en prie, aidez-moi. J'ai peur de ce que je deviens. Je ne comprends pas les voix des scients. Je n'arrive plus à dormir. Je deviens fou.
— Je t'aiderai à une seule condition, dit Malina.
— Laquelle ? »
Il était le fils du gouverneur, l'un des hommes les plus puissants du continent. Malgré son jeune âge, la lignée des Maklar descendait sur lui. Mais ce pouvoir s'arrêtait aux frontières du monde des almains. Les scients et leurs messagers n'en avaient que faire.
« En fait, deux, se reprit-elle. Il faut que tu arrêtes de donner du « sen », sinon tout est perdu. Et il faut que tu nous accompagnes.
— Où partez-vous ?
— Au-delà des frontières de ton monde. Pour la Lande. Là s'étiole le pouvoir de Vigilance ; seuls y règnent les scients.
— Vous allez m'aider, alors ?
— Je verrai ce que je peux faire pour toi.
— Il est moins antipathique que son père, jugea Almira, mais tu penses vraiment qu'il faut le ramener avec nous ?
— C'est ce que veulent les scients » répondit la chamane.
***
Donoma, 136 AFS
Chyselm Maklar vieillissait, mais la médecine donomane le mettait encore à l'abri de la maladie de Long. De temps à autre, effet du virus qui tentait de s'insinuer dans son corps, sa respiration lui échappait et une quinte de toux le prenait. Cela ne diminuait aucunement son autorité, bien au contraire ; un homme capable d'une si grande maîtrise de son propre corps, d'une si grande force contre les affections courantes de Mondor, imposait le respect.
Ses sourcils grisâtres broussailleux, à l'instar de sa moustache et de son bouc, semblaient être des plantes ayant poussé sur un terrain aride jusqu'à le dessécher complètement, ce qui aurait expliqué l'aspect parcheminé de sa peau, à moins que ce ne soit un parasite traité trop tard.
Il avait maintenant soixante-dix ans, sa femme quarante-cinq. Comme souvent à Donoma, leur mariage avait été une affaire purement politique ; qu'il en naisse un jeune homme bien sous tous rapports était un miracle et une fierté.
« Répétez, Rhégar-sen.
— J'ai agi sur les ordres de votre fils, gouverneur. Je l'ai mené jusqu'à la chamane pour qu'il puisse s'entretenir avec elle. Je ne l'ai pas forcé à retourner à Donoma. Je savais qu'il voudrait rester plus longtemps avec elle.
— Pour quelle raison, Rhégar-sen ?
— Je l'ignore. Mais mon avis est que votre fils a décidé de voir et de rencontrer des personnes qui voient le monde différemment de nous.
— Je ne vois pas ce que Tyell aurait à apprendre d'ermites vivant dans des forêts pleines de scients.
— Sauf votre respect, gouverneur, elle est loin d'être déraisonnable.
— Ne vous moquez pas de moi, Rhégar-sen. Vous aviez rencontré la dylnia, il me semble ? Sont-elles de la même espèce ?
— Cela dépend de ce que vous entendez par là.
— Pas de lumières magiques ? Pas de discours mystique ?
— Gouverneur, s'il est un fait certain, c'est que la chamane ne représente aucun danger pour votre fils. Quand bien même ce serait simplement une folle, il en apprendra tout autant et vous reviendra plus sage.
— Ou fou. »
Maklar agita nerveusement les mains.
Il portait une ample robe de velours, et faisait très attention à ne pas se prendre les pieds dedans quand il marchait, ou plutôt, se traînait. Oui, l'âge avait eu des effets dévastateurs sur lui.
Sa femme Florelia entra dans un déluge de parfums. Contrairement à son mari, elle semblait plutôt épargnée par les maladies. L'écart entre leurs santés respectives n'avait cessé de se creuser avec le temps.
« Rhégar, je suis heureuse de vous savoir rentré sain et sauf.
— Dites-lui, dit vigoureusement Chyselm.
— Florelia-sen, votre fils est resté là-bas.
Elle feignit un air surpris, puis éclata de rire.
— Vous avez l'air si penaud, Rhégar, je ne savais pas que c'était possible. Je savais déjà que Tyell partirait pour plus longtemps. Il arrive un temps où les enfants doivent apprendre eux-mêmes, et il était l'heure pour lui de quitter les paisibles murailles de Donoma et les frontières du pays.
— Avez-vous songé à ce qui arrivait, si demain, une des maladies qui s'accroche à moi l'emporte ?
Chyselm tourna son regard vers les rues en contrebas du palais du gouverneur.
— Lorsque je rencontre un de mes adversaires politiques, intérieurement, il se demande combien de temps il me reste à vivre. Les meilleurs médecins sont de mon côté, il est vrai. Mais l'absence de mon fils me rend plus faible que vous ne le pensez.
— Il ne sera pas parti bien longtemps, dit Florelia. Quelques mois tout au plus. Le temps de voir du monde, de faire des rencontres peut-être.
Rhégar acquiesça, rassuré de voir que la femme prenait sa défense.
— Je suis le plus à même de décider quelles rencontres mon fils doit faire et ce qu'il doit apprendre, grommela Chyselm.
— Non, chéri. Tyell est un grand garçon désormais. S'il veut devenir un vrai gouverneur et régner sur un million d'almains, il y a des choses qu'il doit apprendre seul.
— Je ne vois toujours pas ce qu'il pourra bien faire. Rhégar aurait au moins dû rester avec lui.
Le garde du corps et Florelia se jaugèrent, cherchant tous les deux à savoir s'ils étaient dans la confidence.
— Je sais que Tyell ne craint rien » dit-il.
Il avait rencontré Malina Vrinda un an plus tôt, par hasard, et il savait qu'elle était la meilleure personne pour faire entrer Tyell dans le monde des scients.
Il aurait fallu lui faire rencontrer Almira, mais la dylnia était reportée perdue à la frontière avec les Terres Occidentales.
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Trois personnages = une équipe. Il va peut-être enfin se passer quelque chose.
(* vérifie le script *)
Ah, non, excusez-moi, il reste mille kilomètres à pied.
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