27. Tyell - 2


Terres Orientales, 136 AFS


Tyell.

Tyell Maklar. Dont le père lui-même ignorait qu'il était hybride de par sa mère – de troisième génération.

Almira avait senti la présence des spores symbiotiques en sommeil dans sa peau. Tyell était un hybride, et un scient qui n'attendait que de s'éveiller. Sa mère n'avait pas eu ces mêmes dons. Ce cas de transmission génétique aurait intéressé l'Académie de très près. Mais s'il y avait bien une personne indiquée pour enfermer dans un placard de tels secrets de famille, c'était Florelia Maklar. Elle maîtrisait à perfection l'envers du décor politique.

Le fait qu'Almira connaisse ce secret avait scellé un pacte tacite entre elles.

« Pourquoi Tyell ? demanda-t-elle à haute voix.

— Tu l'as deviné toi-même, répondit Malina. Il cherche des réponses, des gens proches des scients, peut-être des hybrides. Dans la Zone Surveillée, la plupart vivent en cachette et se méprennent sur leurs dons. Il se trouve que dans la région, à cent kilomètres à peine de Donoma, vit une mystique recluse dont les réseaux informels de la ville ont forcément fini par entendre parler. Une fois, un villageois m'a amené une femme qui voulait que je lui concocte un philtre d'amour... Ce n'est pas que je suis la seule hybride ou la seule folle dans les environs, mais Tyell est quelqu'un de perspicace.

— Est-ce lui que tu as attendu ?

— Je n'ai pas attendu Tyell. Je n'ai pas attendu deux ans que tu réapparaisses. Je suivais ma voie, et il se trouve qu'elle croise maintenant les vôtres.

— Ce sont les scients qui t'ont menée ici.

— Toi et moi sommes un peu semblables, Almira. Nous avons des voix dans nos têtes et des échos dans nos cœurs. Du pouvoir nous a été donné et nous parcourons un chemin. Tu veux, tu dois te rendre dans la Lande et retrouver Adriel. Je dois te suivre sur ce chemin et t'aider. Tyell doit marcher vers la vérité. Pour les scients, cela relève de l'évidence. Pour eux, nécessité et vérité sont le même concept. »


***


La nuit précédente, une bête les avait attaqués dans l'obscurité. Ils ne l'avaient pas vue. Vraisemblablement un jeune loup-tigre solitaire ; pas assez pour les tuer, malgré l'effet de surprise, mais assez pour faire fuir leurs montures. Le chemin devait donc se finir à pied.

Tyell admirait la capacité de Rhégar à s'orienter. Lorsque les chemins de forêt disparaissaient sous la marche des saules, que les bornes de la guilde des cartographes ou les balises de Vigilance manquaient à l'appel, son instinct prenait le dessus.

Le visage de Rhégar avait gardé les traces de ces années de mercenaire et de chasseur, avant son service dans la garde de Donoma. On racontait même que le demi-sourcil droit disparu, remplacé par une marque de brûlure qui se prolongeait jusqu'aux racines de ses cheveux, lui avait été enlevé par le souffle d'un draken.

À l'Est de Donoma, avec la multiplication des saules, le silence s'installait, comme si les arbres scients menaient une conversation inaudible qui ne souffrirait d'être dérangée.

« On dit que les âmes des scients sont les réincarnations de tous les morts de la Chute » souffla Tyell en observant un saule qui devait être particulièrement vieux.

Son tronc noueux se déployait en une brassée de branches épaisses, qui ressemblaient de loin à un amas de ficelle. Les feuilles étaient rares, c'était à peine si on eut pu le croire mort. Mais l'œil attentif le voyait danser. L'espace d'une vie, un saule pouvait parcourir des centaines de kilomètres.

« Je ne sais pas s'il y a assez de scients pour tous les morts qu'a connu ce monde » dit Rhégar.

Au début du chemin, le faire parler relevait du miracle ; maintenant, cela s'était amélioré.

« Alors, maintenant que nous l'avons passée, d'où vient cette montagne ? »

Tyell refit les nœuds qui maintenaient les pans de son manteau de fourrure. Ce n'était pas tant à cause du froid que pour la sécurité de ce cuir épais. Les dents des petits prédateurs – ou les coups de couteau mal portés – déchiraient difficilement la peau de loup-tigre.

« Était-ce un mur ? Un dispositif de défense ?

— Avant la chute, sur Mondor, on pouvait tout voir, tout entendre et tout sentir. Les systèmes d'observation pouvaient repérer la position de chacun des animaux de la planète et les compter. Non, Tyell, personne n'a bâti cette montagne. Personne n'aurait eu une raison.

— Je ne comprends pas.

— Si tu regardais de très haut, ton regard finirait par embrasser l'intégralité de la montagne. Et tu verrais qu'elle forme un cercle un peu allongé. À l'intérieur, la vallée est une cuvette encaissée avec un lac. Il y a un petit village à côté du lac. Je m'y rendais tous les ans avant de rentrer au service de Donoma et de ton père. Les gens vivent de la pêche et de la culture des plantes du cratère.

— Cratère ?

— Tu sais pourquoi on nomme cela la Chute des Étoiles, non ? Un gros rocher tombant de l'espace enfonce la terre sous des kilomètres. Il disperse aux alentours une vague de feu et relâche dans l'azur des monceaux de cendre qui masquent Sven pendant des jours.

— D'après Chyselm, Mondor a fini par gagner la guerre.

— Peut-être que son ego réclame ce détail, mais ça n'a guère d'importance. Gagnée ou pas, la plupart des habitants d'alors sont morts. La vérité est que Mondor n'a rien gagné du tout. Quelqu'un, un monstre, a orchestré tout cela ; et tout s'est déroulé conformément à ses attentes. »

Tyell en savait déjà assez sur la chute des étoiles, mais il voulait que Rhégar le lui confirme. Car le vieux baroudeur, fort de son expérience, avait le don d'attester de la vérité des histoires, même les plus incroyables, dont était tissé le passé de Mondor.

« Comment savez-vous cela ?

— Je le tiens d'une personne qui l'a vécu. »


***


« Rhégar !

— Salut, Tito. »

L'homme avait la même largeur d'épaules que Rhégar et trois fois son épaisseur. La maladie de Harper lui avait avalé toute la surface du cuir chevelu ; sa tête disparaissait sous des plaques rouges, mais il semblait guéri.

Le village était un petit amoncellement de baraques en bois, rivé au lac, dont Tyell avait déjà oublié le nom. S'il était sous la juridiction donomane, ils devaient bien avoir une balise quelque part, mais à première vue, aucune antenne.

« Rhégar, qu'est-ce qui t'amène ici ? Je croyais que tu étais définitivement devenu un citadin.

— Contrairement à ce que beaucoup croient, la vie de citadin n'est pas plus réjouissante que la vie à la campagne.

Tito continua de parler tout en promenant sa formidable corpulence à côté d'eux. Il disait toujours plusieurs choses à la fois.

— J'ai entendu dire que les donomanes avaient inventé de nouvelles armes contre les drakens.

— En ces temps, Tito, nous n'inventons rien. Nous nous contentons de refaire le même chemin que nos ancêtres.

— Il y a bien des choses que les anciens n'avaient pas, et que nous avons.

— Comme ?

— Je ne sais pas, je ne les ai pas connus » se défendit-il.

Il les poussa à l'intérieur d'une habitation pas très différente des autres, à l'intérieur de laquelle régnait un peu plus d'agitation. Un groupe d'hommes et de femmes s'était formé autour d'une table. Les regards scrutateurs convergeaient sur des dés qui roulaient et des cartes qui s'aplatissaient.

« Parlis a toujours son lot de visiteurs, mais crois-le ou non, Rhégar, je ne pensais pas te voir aussitôt.

Il posa bruyamment ses coudes sur une table et tonitrua :

— Fredin ! L'alcool le plus fort qui existe pour le plus grand guerrier que le monde ait jamais porté !

Il sembla aussi se rendre compte de la présence de Tyell.

— Je vois que tu as pris un apprenti.

— En fait, Tito, il s'agit de Tyell Maklar.

— Pas possible. Tyell Maklar a encore sept ans.

— Si les nouvelles sur lesquelles tu te bases ont dix ans, alors tu es proche de la vérité.

Tito fit des grands yeux.

— Tyell-sen, c'est un honneur de vous avoir parmi vous. Quel bon vent vous fait voyager en compagnie de ce rustre ?

Tyell hésita à répondre, et Rhégar fit un geste pour signifier que c'était à lui de gérer la curiosité de Tito.

— Nous venons voir quelqu'un.

— Je vois. Un rendez-vous galant, en somme. À moins que...

Voyant une chope en terre cuite passer sous son nez, il la prit, la vida en quelques gorgées, puis reprit aussitôt :

— À moins qu'il ne s'agisse du « quelqu'un ». Vous êtes venu voir quelqu'un ou voir « quelqu'un » ?

— La question est indiscrète, dit Rhégar. Occupe-toi plutôt de faire réparer votre balise. Il serait bien que Parlis soit de nouveau en contact direct avec Donoma. Ça nous éviterait de te surprendre en arrivant.

— J'aime bien les surprises. Tyell-sen, encore une fois, c'est un honneur de vous voir fouler le sol de notre misérable village...

— Ne dis pas que ton village est misérable, tu insultes tes concitoyens. Et arrête de lécher les bottes de Tyell, il ne sera pas gouverneur de Donoma avant longtemps, et il t'aura oublié d'ici là.

— Je suis sûr que Tyell-sen n'oubliera jamais les moments passés dans ce merveilleux village.

— Nous ne comptons pas nous attarder ici, dit Rhégar. Mais merci d'avance pour ton hospitalité. »

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