21. La chasse - 1


Le draken règne sur le pouvoir, entre l'ordre et la mort.

À cet endroit, la peur naît dans l'ombre du doute.


Lande, 124 AFS


« Le rôle du groupe alpha est de capter l'attention du draken. Le rôle du groupe bêta est de l'abattre avec les armes lourdes. Ne retenez pas vos tirs. Si des drones sont détruits dans la pagaille, c'est Vigilance qui paiera pour les dégâts.

— Le fait qu'ils nous aient laissé nous débrouiller seuls en dit long.

Bruckner poussa du coude le pan de toile de la tente. L'orage venait d'éclater. Percé comme une outre pleine d'eau, le ciel se déversait maintenant en continu.

— Ça va être difficile pour les drones, mais le but est de désorienter le draken. Par ailleurs, si un éclair ou deux peut le frapper au passage, ce ne sera pas de refus.

— Tu es sûr de toi ? » dit Rhégar.

Les deux chefs du groupe s'affrontèrent silencieusement du regard.

Ils en avaient bavé pour arriver jusqu'ici. Depuis qu'ils avaient quitté la Zone Surveillée, et qu'ils s'étaient enfoncés dans la Lande, les vingt mercenaires avaient affronté les insectes, les chemins effondrés et balayés par les mouvements des saules rampants, les scients qui les observaient silencieusement, et des attaques de bêtes. Jusque-là des chiens sauvages. Ils entendaient rôder les loup-tigres dans l'ombre.

Le paiement que leur promettait Vigilance dépassait tous leurs rêves, et le matériel leur avait été fourni. Parcourir trois cent kilomètres à la poursuite du draken et l'acculer dans son repaire, l'abattre et récupérer ce qui pouvait l'être – échantillons de tissus, photographies de son habitat. Même s'ils ne revenaient qu'avec une écaille et une photo du cadavre, ils pouvaient prendre immédiatement leur retraite.

Mais durant ces longs jours de marche dans la forêt, puis dans les vastes plaines de la Lande, et maintenant ces montagnes de plus en plus abruptes, Rhégar avait commencé à douter. Les chasseurs en avaient vu d'autres. Ils connaissaient bien les espèces dangereuses qui vivaient dans la Zone Surveillée et à ses abords ; Vigilance faisait appel à eux aussi souvent que les habitants eux-mêmes. Mais toute cette expérience était inutile contre un draken. Ils ne savaient rien des drakens. Personne n'en savait rien.

Vigilance elle-même les redoutait.

Le transpondeur de Bruckner se mit à vibrer. Il dégaina son pistolet.

« Mouvement dehors, murmura-t-il. Côté Nord. Sortez discrètement et dispersez-vous. Pas de lumière, pas de bruit. »

Bruckner et Rhégar, indifférents aux trombes d'eau, se dirigèrent vers le garde en imperméable posté sur l'à-pic rocheux, qui les avait prévenus à distance. Il leur désigna d'un doigt ganté la plaine en contrebas, sur laquelle ils avaient une vue imprenable. Insensible à la pluie, quelqu'un grimpait les rochers.

« Un local ? » demanda Bruckner.

Ils n'avaient pas rencontré d'almains, mais les explorateurs affirmaient que la Lande était parsemée de nombreux villages et de villes, dont la plus grande de toutes serait Lowen, une cité tout à l'Est, gardée quasiment intacte après la Chute des Étoiles, prisonnière des neiges pendant la moitié de l'année.

La silhouette progressa habilement, disparut sur le côté, puis après quelques minutes, émergea des arbres. Le mercenaire pointa son fusil dans sa direction. En retour, la personne leva les bras.

« Vous êtes ici pour le tuer, dit-elle.

— Et vous êtes...

— Almira.

Elle marcha jusqu'à eux. Le cuir de son manteau et de ses bottes semblait relativement étanche, mais la pluie détrempait ses cheveux.

— Qu'est-ce que tu fais ici, gamine ?

— Je voyage. Le monde tout entier est mon domaine, pas seulement la Zone Surveillée.

— Il y a un problème avec le fait de tuer des bêtes sauvages ?

— D'une, j'ai besoin de lui parler. De deux... vous n'avez jamais vu de draken, n'est-ce pas ? Sinon, vous ne seriez pas venus ici.

— C'est la prophétesse, remarqua Rhégar.

— Je crois que j'ai compris, dit Bruckner. On n'a pas le temps de te laisser le temps de discuter. Si tu es ici, soit tu nous aides, soit tu ne fais rien et tu te contentes de regarder, soit tu t'en vas dès maintenant.

— Si je m'en vais, vous allez tous mourir.

— Qu'est-ce que nous aurions avec toi de plus ? ricana Bruckner. J'admets que tu es agile et tu sais sans doute te battre contre les bêtes sauvages. Pour sûr, tu connais mieux les drakens que nous. Mais tu es une gamine avec un arc. Je te casserais le bras en te serrant la main.

— Aussi arbitraire que soit la force, elle ne sert à rien face aux drakens.

— Les drakens sont des bêtes un peu plus blindées que les autres » dit Bruckner.

Le garde les avait quittés, pas la pluie. Mais Almira ne semblait en avoir cure. Elle était belle, indomptable, à l'image de Mondor elle-même. Malgré tout ce qu'avait vu Rhégar dans sa vie, il savait que la force qui émanait de cette jeune fille était similaire à celle des scients. Elle n'avait qu'un arc et quelques lames inoxydables, mais elle les dominait.

— Les drakens sont de très anciens gardiens chargés de préserver l'équilibre du pouvoir entre le monde des scients et le monde des almains. Les drakens règnent entre l'Ordre et la Mort. Ils sont le pouvoir. Personne ne peut rien contre eux.

— Vigilance a déjà tué un draken dans le passé, non ?

— C'est vrai. Il était jeune, ils l'ont pris par surprise, acculé et détruit. Avant de voler un œuf. Mais ils ne sont pas pour autant capable de vaincre les drakens. Si cela arrive un jour, l'équilibre du monde en sera brisé.

— Bon, je suis fatigué de ces histoires prophétiques d'équilibre du monde, dit Bruckner. Nous allons tuer notre draken dans une heure et toi... eh ! Qu'est-ce que tu fais ?

Almira les avait dépassé, elle regardait en direction du flanc de montagne qui leur faisait face.

— Je vais lui parler, dit-elle.

— On a traversé des centaines de kilomètres, une forêt bordélique, une plaine boueuse, un marais putride, pour venir jusqu'ici ! tempêta Bruckner. Tu parleras à ton draken une fois qu'il sera mort. J'en ai plein le dos des gens qui se prennent pour des dieux vivants et s'estiment plus importants que le reste. Tu n'as pas le droit de te mettre en travers de notre chemin, et n'essaie pas, sinon on te met un bon coup derrière la tête et tu attendras sagement que tout se passe.

— Essayez, dit Almira sans tourner la tête vers lui.

— Écoute, commença Rhégar, on peut peut-être retarder...

— Elle va le faire partir, rétorqua Bruckner.

— Il ne partira pas, dit Almira. Je sais qu'il est là-bas, qu'il ne bougera pas avant un moment, et il ne vous craint pas de toute façon.

— Qu'est-ce que tu veux lui dire ?

— Cela ne regarde que nous deux. Mais je peux aussi lui demander de vous épargner.

— On attaque dans une heure, dit Bruckner. Si tu n'es pas revenue d'ici là, tu finiras vraisemblablement en petits morceaux sous un vol de missiles, à moins que le draken ne t'aie pas rôtie avant.

— Connaissez-vous son nom ?

— Hein ?

— Le nom du draken.

— Personne ne lui a donné de nom.

— Tous les scients ont des noms. Celui-ci se nomme Adriel. Et il est aussi vieux que ce monde. »

Elle poursuivit son chemin entre les deux tentes, disparaissant progressivement derrière les volutes de brouillard.

« On prépare les drones, dit Bruckner. La visibilité sera mauvaise, mais la pluie est une chance. Il ne nous verra sans doute pas arriver, et le bruit camouflera notre approche.

— Je sens que ça va mal se passer, dit Rhégar.

— Tu peux toujours repartir en arrière, vieux frère. Je ne dirai à personne que le discours mystique de la gamine t'a foutu les jetons.

— Il y a une part de vrai dans tout ce qu'elle dit.

— Je me fous des histoires de pouvoir et des élucubrations mystiques. Je n'ai pas le temps de penser à ça. Nous sommes des hommes normaux, Rhégar : nous travaillons, nous nous faisons payer. Quand vient la retraite, nous essayons de nous caser dans une vie tranquille. »

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