Vactis, 16 AFS

D'un demi-battement d'ailes, le draken propulsa contre le mur un homme qui lui barrait la route. À peine né, c'était déjà une machine de guerre.

Deux soldats de Vigilance pointèrent leurs armes de service sur lui. Il émit un grognement qui ressemblait à un grincement.

« Ne faites rien ! s'exclama Almira, qui le poursuivait. Laissez-le passer ! »

Pourquoi te préoccupes-tu des vies des almains ? Tu n'es pas faite pour être comme eux. Non... mais je comprends, Almira... tu leur ressembles. C'est ton rôle. Te tenir au centre des forces qui gouvernent le monde. Intéressant.

L'un des soldats appuya sur la détente. Le tir ne se déclencha pas. En retour, le draken prit son élan, un peu de fumée émergea de ses naseaux, et les contours du couloir disparurent dans une lumière prodigieuse.

Almira s'était jetée sur l'homme à terre pour le protéger. Son manteau avait pris feu. Elle le retira sans hésiter. Des flammèches repues couraient encore sur le sol. Le draken, couleur charbon, le métal de ses écailles luisant à la lueur des dernières flammes rescapées, reprit sa marche, écrasant un bras carbonisé.

Tu vois que nous nous ressemblons.

La jeune hybride regarda ses mains et les vit intactes. Sa peau avait résisté à la chaleur comme une armure.

À bientôt, Almira.

Le draken se propulsa vers une vitre au plafond et la traversa.

« Les drones sont après lui, dit Elise.

Plusieurs minutes s'étaient écoulées, mais la traînée de spores laissée par le draken portait encore la marque de sa présence.

— Cela ne servira à rien.

— Nous ne pouvons pas laisser cette créature s'enfuir, étant donné sa dangerosité. Ils l'abattront à vue.

— Il sera trop rapide pour vos drones à hélice et trop petit pour les radars de vos drones à réaction. Je suppose qu'il est déjà hors de portée. »

***

Elise afficha les images sur lesquelles le draken disparaissait dans les flammes.

« Mon hypothèse est qu'il fait rentrer de l'air dans sa cavité buccale et le recrache mélangé à un liquide biologique hautement inflammable, qu'il allume à l'aide d'étincelles provoquées par des éléments en métal. Rien d'impossible jusque-là, mais c'est fascinant. En revanche, je n'explique pas comment il a pu produire la chaleur qui a fait fondre la vitre, puisqu'il s'agissait d'un contact. Peut-être que par l'action de muscles sous sa peau, il est capable de produire des frottements et que ses cellules sont protégées derrière des couches minérales isolantes, tandis que le métal sert de conducteur thermique.

— Le feu a toujours été l'arme primordiale, dit Almira, prostrée sur une chaise.

— Avec les fragments de la coquille, nous avons obtenu beaucoup d'ADN, indiqua l'assistant. Il sera peut-être possible de le cloner et de fabriquer in vitro des drakens pour notre étude.

— N'y pensez même pas, dit Almira.

Ils tournèrent la tête vers elle.

— Les drakens sont des scients et se transmettent leur mémoire de vie en vie. Celui-ci avait reçu la « base » de son esprit alors qu'il n'était encore que dans sa coquille, à l'aide des spores. Si vous fabriquez un draken artificiel, il ne sera qu'un animal comme les autres. Il n'aura aucune individualité et aucune mémoire. Il ne saura certainement pas se servir de ses aptitudes. Un corps comme le sien doit requérir beaucoup de pratique, une préparation du cerveau qui doit se transmettre de la même manière que l'expérience sensible.

— De la mémoire héritée biologiquement, dit Elise. Ça aussi, ce peut être l'avenir des almains. C'est comme de l'implantation de connectome, sauf que cela ne requiert pas de nanotechnologie. L'action des spores doit être similaire...

— Les almains sont faits pour apprendre, la coupa Almira. Pas pour hériter leur mémoire. Croyez-moi, Elise-sen, certaines choses valent mieux comme elles sont. »

Ce fut un moment bien choisi pour l'entrée de John Maklar.

Ancien de la Cellule de Vigilance de Mondor, il avait fondé Vigilance et la cité de Donoma, à laquelle il se consacrait désormais à plein temps.

« Gouverneur, balbutia Elise. Je... nous étions en train d'étudier ce draken. Je... cette créature est d'une complexité incroyable. Elle n'est pas née par hasard, n'est-ce pas ? Les recherches qui ont dû aboutir à sa conception ont été certainement d'une complexité et d'une qualité... et elles ont dû s'étaler sur des années...

— Tout à fait » dit John Maklar.

Ses deux mains s'appuyaient sur une canne, comme pour contrarier le mouvement vertical qui semblait diriger tout son être vers le retour à la terre. La maladie de Brends, un des pires virus hérités de la Chute des Étoiles, tentait de détruire son système nerveux. Seuls de sévères médicaments pouvaient maintenir l'agresseur en sommeil.

« S'agit-il de recherches de la CVM ? De services secrets gouvernementaux ? Une agence obscure s'est-elle servi de Mondor comme d'un théâtre d'expérience ?

Maklar souleva un sourcil suspicieux.

— Nous ne pouvons pas en dire plus, capitaine. Il vaut mieux que certaines informations restent entre Almira, moi et le Commandement de Vigilance. Mais effectivement, les drakens, comme beaucoup d'autres créatures, ont été le fruit de la recherche la plus avancée sur la vie artificielle de l'époque, et ils ont été créés spécifiquement dans le but d'établir une nouvelle biosphère sur les ruines de Mondor. Une opération clandestine devenue, semble-t-il, une grande réussite.

Capitaine, je vous recommande de ne pas jouer le jeu des personnes qui ont mis au point ces créatures, et de ne pas poursuivre sur ce chemin dangereux. S'il nous faut comprendre les drakens pour les combattre, il est hors de question de reproduire leurs capacités. Quant à manipuler les spores, laissez cela à Almira. Je ne pense pas que des recherches plus approfondies aillent dans le droit chemin.

— Le dernier mot reviendra au Commandement, dit Elise.

— Le Commandement sait ce qu'il fait, heureusement. »

Mais pour combien de temps ? Combien de temps avant que les générations AFS remplacent définitivement John Maklar et ses semblables ?