1. La marque



Entends ma voix, monde.
Des cendres de la Chute, se sont levés les scients.
Mais nous errons encore dans les ténèbres.
Nous sommes encore inconscients.
Nous sommes des nouveaux-nés.
Il faut qu'un ordre règne sur le monde.
Il faut que nous entendions sa voix.
Parle-nous.


Livre de L'Éveil, second verset


Haven, 130 AFS


La petite fille attendait sur un banc de pierre, telle une statue soudée à son assise. La fenêtre derrière elle s'ouvrait dans une vaine tentative de nettoyer l'odeur acide de la vieille pierre. Des feuilles mortes visitaient la cour paisible, voletant entre les arbres rabougris. L'attention des élèves agonisait dans les classes du matin ; dans une heure, ils s'égailleraient comme une nuée de pinsons.

Un vieillard grincheux balayait dans la petite pièce. Celle-ci ressemblait à une cellule, faite d'austère granite et de barreaux en fer forgé. Et elle en avait été une, dans le temps, avant d'être reconvertie en petit bureau, puis en placard à balais.

L'homme qui rassemblait la poussière dans un coin, avec son balai de paille, était, comme cet orphelinat, vieux et rafistolé. Il avait un œil de verre et des lunettes, la moitié de ses cheveux était tombée suite à l'âge, et son dos se voûtait quand il travaillait.

La porte s'ouvrit en grand sur un déluge de laque et d'amidon. La petite reconnut le directeur, un homme très imbus de lui-même, soucieux du mérite de son dispensaire, de sa réputation, et éventuellement du bien-être de ses élèves. Qu'il se rabaisse à ouvrir la porte à son invité témoignait d'une supériorité écrasante, une aura de majesté qui ne tarda pas à diffuser dans la pièce.

Le vieux gardien se raidit, gagna plusieurs centimètres et posa le balai contre le mur.

« Je ne vous avais pas entendu arriver, monsieur le directeur » bafouilla-t-il.

Le directeur endimanché, tout perclus de manières, retira ses gants et les fourra dans la poche de sa veste. Il parut prêter beaucoup d'attention à la présence du concierge, qu'il désigna d'un geste superbe de la main en indiquant :

« Al Dunvel, le gardien du bâtiment. »

Puis il s'effaça devant l'arrivant, comprimant son ego au maximum.

« Encore une fois, c'est un honneur, Partel-sen. »

Le conseiller Partel retira lui aussi ses gants. Il était vêtu sans grande sophistication, assez toutefois pour deviner son rang. À l'agencement de sa tenue ; à la montre dont la chaîne en or dépassait de sa poche ; aux boutons de manchette en platine sur sa veste en feutre. Et, surtout, aux gardes du corps dont les ombres félines se déliaient dans l'étroit couloir derrière eux.

« C'est elle ? » demanda-t-il.

Il était d'âge avancé pour un okrane, plus de cinquante ans. Mais pattes d'oie et rides sur son front ne contribuaient qu'à lui donner plus de majesté. Les okranes avaient cette réputation d'originalité dans leurs teintes de cheveux, de pupilles, mais il faisait éclater tous les compteurs, avec cette étrange couleur de peau, rouge foncé, comme une brûlure de Sven.

« Assurément, dit le directeur. Al, je vous prie. »

Le concierge fit signe à la petite, qui sauta de son banc. Elle leur tourna le dos ; Al leur montra du doigt. Ses cheveux avaient été coupés quand elle était arrivée, par crainte de parasites. La ville prenait facilement peur de tout ce qui provenait de l'extérieur, ces petits villages où s'éparpillaient des communautés disparates. À la base de sa nuque apparaissait une marque en forme d'étoile, profonde, d'origine indubitablement naturelle, aussi troublante que l'aurait été un nombril placé dans le dos.

« Intéressant, dit Partel.

— Je... comme vous dites, Partel-sen.

— Comment s'appelle cette enfant ?

— À vrai dire, on n'en a aucune idée. Elle n'a pas été capable de nous dire quoi que ce soit quand elle est arrivée ici. Je sais à peu près ce qui est arrivé mais... ce doit être le choc, vous comprenez.

— Almira » dit la gamine.

Ses cheveux blancs cachaient un regard d'adulte, des perles orangées brillant comme un double soleil. Mentait-elle ? Était-elle humaine ou okrane ? Tant de soucis potentiels pour l'orphelinat. Dans ses conditions, Partel comprenait le déluge de courbettes occasionné par sa visite impromptue.

« Dis-moi, Almira, depuis combien de temps es-tu ici ?

Elle compta sur ses doigts.

— Deux mois.

— Est-ce que tu t'es fait des amis ? Comment est la vie ici ? »

De grosses gouttes de sueur perlaient sur le front du directeur. Il voyait sans doute sa carrière sur un fil, suspendue à l'avis d'une enfant de passage.

« Les autres ont peur de moi.

— Pourquoi ?

— À cause de la marque.

— Quel âge a-t-elle ? demanda Partel au directeur.

— Aucune idée. Je dirais, deux ans si on compte comme une okrane. »

Malgré leur différence de taille, Partel et Almira échangèrent un regard. La petite fille ne le craignait pas, contrairement au directeur de l'orphelinat, un parfait exemple de dévotion arriviste. Pure innocence ? Se souvenait-elle de lui ? Savait-elle déjà tout ? Mentait-elle ?

Non, ce n'était qu'une enfant, Partel s'inventait des histoires. Il n'y avait aucune preuve physique, aucun début d'explication ; rien d'autre que cette marque.

Il se tourna vers le directeur.

« Vous avez les papiers que je dois signer ?

— C'est bon, alors ? Vous l'adoptez ?

— Cela y ressemble, non ? »

Le directeur bafouilla quelques excuses et somma Al de lui apporter papiers, encre, chaises et boissons fraîches.

Partel et Almira furent seuls. L'ombre des agents de protection troublait à peine la quiétude des lieux ; ils ne semblaient même pas respirer.

Le conseiller hésita quelques instants.

« Tu ne te souviens de rien avant d'être arrivée ici ?

Almira hocha la tête.

— Mais je fais beaucoup de rêves. Les docteurs me demandent tout le temps de les leur raconter.

— Quel genre de rêve ? Un cauchemar ? Si tu ne veux pas en parler, tu n'es pas obligée.

— Non. Juste des rêves.

Elle étendit les bras, inspirée.

— Je rêve que je suis un draken. »

Ce fut à ce moment que Partel arrêta son opinion. C'était bien elle.


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Dans ces premiers chapitres, je tente du "show, don't tell", mais il faut me dire si ça ne marche pas, etc, etc, etc.

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