Diktat 7 - La Femme, moins forte que la Solitude?
~ La dominante... ~
- Caïma... En vois-tu le bout?
- Non, Rian-rian. Mon instinct est en alerte. Il nous intime d'avancer.
Et ils avancèrent.
Déterminés.
- Les sables de Noucreex sont d'une lourdeur...
- Nous foulons le désespoir. Et cette route est la bonne.
Rian-rian prit bien soin de humer la chaleur de Noucreex, l'étoile désertique, jusqu'à s'en brûler les bronches. Cette douleur lui plaisait. Une espèce, normalement constituée, n'aurait pas dépassé la dizaine de pas sur cette planète. Lui, par contre, en était déjà à des milliers. Son corps de super-humanoïdes en était pour quelque chose, oui, mais il fallait surtout remercier le Lucky-Lucky-Cube, l'artefact de la chance, la pierre tabou qui a fait d'eux les tous premiers immortels de Merménicia.
Au diable la causalité et ces multiples lois du multivers.
De par leur condition de privilégiés, ils les contournaient aisément.
- Popolin ne te manque pas? questionna Caïma en sortant l'artefact de sa cape et s'en servit boussole.
Rian-rian gardait de vagues souvenirs de Popolin, la planète qui l'a vu grandir, lui et son ami. Là-bas, ils furent d'abord de respectables ramasseurs de crottes puis, entraînés dans une bataille stellaire pour La crotte parfumée de Sylphia, la resplendissante princesse qui, disait-on, pouvait dormir quasiment un siècle et, quand elle émergeait enfin, décrottait et sa merde aurait des vertus thérapeutiques insoupçonnés, pouvant guérir même l'équivalent du cancer chez les Tyrianos, les quadripèdes guerriers les plus craints de la galaxie. Ou alors, certes moins prestigieux et moins utile, on s'en servait comme encens lors de soirées élitistes.
- Caïma... Sylphia est étrange quand elle décrotte. Je l'ai vu de mes propres yeux.
- Etait-elle belle quand elle démoulait?
- Je ne saurais dire. Mais...
■▪▪▪■
Il se remémora de la scène quand, dissimulé derrière le feuillage intense de la forêt verte, il observait Sylphia, en attendant que celle-ci se réveille.
La princesse était gigantesque, comme le berceau qui l'abritait. En étirant ses premiers muscles pour renouer quelques liens avec le monde qu'elle ne côtoyait que par intermittence, Sylphia sourit en ouvrant les yeux. Ses cheveux se redressèrent et formèrent une magnifique rose sur le moment de son crâne.
Rian-rian était déjà sous le charme.
Il la regarda se tenir le ventre.
Le moment approchait.
Sylphia gémit en plaquant face contre terre et souleva jambes et fessiers comme pour les donner en offrande au ciel. Elle gémit une seconde fois, sentant la chose pressée de sortir.
À son troisième gémissement, des Sylphillons, papillons de Sylpheros, volèrent vers la princesse, attirés par le signal, et plongèrent dans son anus, par dizaine.
Sylphia lâcha alors un cri : de plaisir ou de douleur?
Rian-rian n'en eut aucune idée. Du moins pour la première partie...
Il regardait la princesse qui semblait gigoter. Les Sylphillons étaient à l'oeuvre. L'étrange travail qu'ils se donnaient à coeur d'accomplir faisait vibrer les jambes de cette dernière, qui se retenait pour ne pas flancher.
Elle gémit à nouveau...
Cette fois-là... Ce fut de plaisir.
Rian-rian, profondément ébranlé, ressassa les vérités de ces mille trois cent et quelques années d'existence. Il en avait vu des choses, étranges, très étranges. Mais cette princesse battait tout.
Devant ces yeux, souillés d'un horrible blanc, il la regardait démouler, une dizaine à la seconde.
Les Sylphillons, une fois leur travail achevé, transportèrent les Sylphicrottes en lieu sûr.
Sylphia, illuminée par un sourire fort et une rougeur accablante, tentait de reprendre son souffle. Elle s'allongea horizontalement sur le berceau et, prenant bien le soin de refermer ses jambes, repartit pour un autre centenaire.
■▪▪▪■
- Nous y sommes....
Ils y étaient. À la crevasse des silences intemporelles.
Ils venaient y chercher un désespoir plus grand, quelque chose que leur chance ne saurait contrer. Et Merménia devait être cette chose.
Ils s'agénouillèrent et se livrèrent à la prière, pour soixante-dix années durant.
Merménia finit par apparaître...
Elle était faite de lumière. Les yeux de Caïma qui, pourtant aptes à voir à travers, ne l'épargnèrent pas des larmes et des émotions.
- Rian-rian...
- Oui Caïma...
Ils en sourirent, comme des enfants, quand la déesse approcha sa main droite pour les caresser, à tour de rôle.
Elle finit par se saisir des deux et les avala.
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- Elle nous a encore dévoré, dit Severian fatigué.
Il se réveilla une nouvelle fois du même cauchemar, et en compagnie de Caïn. Voilà une semaine déjà qu'ils ne quittaient plus l'appartement du binoclard. La femme du cadre les retenait fermement.
- La salope ! pesta Caïn en tapant le sol du poing. Elle nous mange à chaque fois. Et sans raisons valables.
- Et nous, comme des cons, nous nous dirigeons inlassablement vers elle. Même en sachant que c'est une salope.
- Oui. Une vraie salope !
- D'ailleurs, c'est quoi une salope?
- Aucune idée, répondit Caïn en affichant un air désolé.
C'était bien lui qui avait placé ce terme dans la discussion.
Il reprit :
- Tout ce que je sais à ce propos est assez flou. Les vraies femmes sont peut-être toutes des salopes. Avec des seins comme ça ! Et des fesses comme ça !
- Hum, répliqua Severian, interpellé. Donc, il y a des femmes qui n'en sont pas. Par exemple les plates. Et dire que je doutais de leur existence. Brocéliande, par exemple, n'est pas éligible à cette qualification. Et elle doit bien le regretter.
Caïn, de son côté, reporta son attention vers la photo, bien cadrée et bien disposée sur la table contre le mur du fond. Il ressentit une grande solitude en la contemplant, comme s'il lui manquait quelque chose, comme s'il n'était pas, en quelque sorte, complet.
Cette dernière réflexion, combinée à la science qu'il avait étudié ces derniers jours l'amenèrent à la bonne conclusion :
- Severian... Je crois que... Nous sommes malades.
- Quoi?
- Le Mal Incomplétaire... Ce profond manque dans nos coeurs. Cette solitude. Ce rêve que nous faisons depuis déjà une semaine. Elle en est la cause. (Il montra l'image du doigt.)
Severian en déglutit. Il ne cherchait pas à contester. Il regarda l'image et ne put à nouveau en détacher le regard. Il avait pourtant mémorisé tous les détails de celle-ci et aurait pu la reproduire à l'identique tellement il l'avait regardée. Et pourtant...
Ça ne le lassait pas.
- Qu'allons-nous devenir?
- Je ne sais pas. Nous allons probablement devenir fous, puis en mourir. Auparavant, quand il y avait encore des femmes, ce n'était pas un soucis d'être atteint. D'ailleurs le Mal Incomplétaire portait un autre nom : l'amour.
- L'amour?
- Oui. Les gens n'en mourraient pas comme aujourd'hui. Notre monde ne comporte plus de femme, d'après les archives. Pour combler ce manque, nous fantasmons et ces fantasmes prônent un idéal qui n'est pas forcément vrai. Et ces fantasmes créent de la solitude. Et les hommes, aujourd'hui, meurent de la solitude.
- Il suffit juste de combattre cette solitude. Ce n'est pas si grave que ça, tenta de positiver Severian.
Il sentait son cœur battre la chamade en donnant ses pensées à la femme du cadre. Caïn disait vrai, sur toute la ligne.
- Nous allons retrouver Brocéliande, continua-t-il, et elle nous mènera à celle que nous aimons. Ce sera notre façon à nous de combattre la solitude. Nous sommes des battants, Caïma. Nous l'avons toujours été.
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