Chapitre 10 : Retour en surface
Puis je sens un liquide poisseux qui me coule sur les doigts, les mains, les bras et mon torse. J'ouvre les yeux n'osant à peine y croire. Et là, je vois la tête de l'ours, empalée sur mon pic. Ce que j'ai senti sur mon visage était son dernier souffle et c'est son sang qui me coule dessus. Je suis couvert de ce liquide visqueux. Les yeux sans vie de l'animal me contemplent depuis la mort et un goût de bile remonte dans ma bouche. Je vomis.
Sylvain, a jeté son arme sur l'ours juste avant qu'il ne m'atteigne et ce dernier s'est tourné et a trébuché, puis il m'est tombé dessus, la tête la première sur ma lance. J'ai eu de la chance. Une chance si grande qu'elle me paraît miraculeuse. Le manche de mon arme s'est planté dans le sol plutôt qu'à travers mon torse et l'ours est mort sur le coup. C'est incroyable. Je n'en reviens pas d'être toujours vivant. Mes camarades soulèvent la carcasse pour que je puisse me dégager. Je n'ai qu'une cheville tordue.
C'est bizarre, c'est la première fois que je prends une vie. Je veux dire, j'ai déjà dépiauter des lapins ou des poulets, mais c'était pour me nourrir... Là, c'est une tuerie. Tuer ou être tué. Il n'y avait pas de choix. Et pourtant, je me dis qu'il y a toujours un moyen de faire autrement. Une autre façon de faire. Je ne la vois pas, mais cette première mort risque de me hanter longuement.
Je dégouline littéralement de sang. Dans ma chance, ce n'est pas le mien, mais ça aurait pu. Je suis encore nauséeux et je m'essuie dans les longues feuilles d'un plante conservée dans cet oasis. Plus loin, là où la montagne ne protège pas du Soleil, tout est désertique et desséché, mais il doit y avoir une source souterraine qui nourrit ce petit coin de verdure.
On abandonne ici le cadavre, la nature se chargera de le faire disparaître. Paul prend le temps de regarder quel montagne on voit et où est le soleil. Il finit par déclarer :
« C'est bon, je sais où on est. Je peux retrouver notre chemin maintenant. »
Alors nous repartons vers les blessés. Lorsque nous arrivons, Fred est réveillée et assis, adossé contre le mur, son petit sourire revenu. Me voyant couvert d'hémoglobine, il murmure :
« Alors, la chasse a été bonne ?
– Et toi alors, tu as quoi ?
– Des côtes fêlées a priori. Rien de grave, mais il va falloir éviter de me faire rire pendant quelques semaines. Quand nous serons à la surface, ton béguin pourra aider à la guérison. Je suis impressionné par cette magie guérisseuse. Curieux aussi.
– S'il faut simplement du Soleil pour pouvoir te guérir plus vite, il suffit de passer par la galerie d'aération par où l'ours est rentré ! »
Je me tourne vers Séraphe et Gabrielle :
« Si nous voulons aller plus vite, pourquoi ne pas amener tout le monde dehors puis reprendre notre chemin demain quand tout le monde sera guérit ? Plutôt que d'être ralentis par des blessés.
– Tu as raison, je suis contre le fait de perdre une demi journée de voyage dès le premier jour, mais les circonstances nous y contraignent. »
Alors nous transportons les blessés dehors. Deux graves en moins d'une journée, voilà un voyage qui commence sous de mauvais hospices. Je me demande ce que la suite va nous réserver. Je demande ensuite à Paul de me guider vers la source la plus proche que je puisse me laver. L'eau glacée m'aide à apaiser mes douleurs aussi bien physiques que psychiques et me permettent d'avoir une pensée plus claire.
Lorsque je rejoins les autres à la surface, un petit camp est installé et je vois Gabrielle penchée sur le bras de Thiphaine, une pâle lumière blanche émanant de ses mains.
« Ça ne va pas être sans douleur, mais je peux accélérer la réparation des tissus.
– Je n'en suis plus à ça prêt aujourd'hui je crois.
– Alors prépare toi. »
Cette dernière phrase, prononcée avec toute la douceur du monde annonce le commencement de la réparation. Je m'approche doucement pour être témoin de ce miracle, sans briser la concentration de l'Elfe. La patiente serre les dents et se crispe, moins que tout à l'heure, mais ses jointures blanchissent quand même.
Une fois l'opération terminée, et la lumière retirée, c'est au tour de Fred de profiter des soins approfondis. Encore une fois la même lumière apparaît des paumes de Gabrielle qui se concentre en fermant les yeux. Seuls ses doigts bougent légèrement mais on sent que la procédure lui coûte. Au bout d'un quart d'heure elle s'arrête, exténuée. Puis elle se tourne vers moi :
« Il paraît qu'un ours t'es passé dessus, laisse-moi t'aider.
– J-Je veux bien oui, c'est surtout ma cheville droite qui est blessée. »
Alors elle approche ses mains de mon pied, et je sens une douce chaleur qui me monte aux joues. Mais aussi là où les doigts de l'Elfe se sont apposés. Petit à petit je sens des picotements dans mon articulation, d'abord un puis deux puis de plus en plus nombreux comme les gouttes d'une pluie naissante. Cette sensation désagréable de se faire piquer de l'intérieur ne dure qu'une trentaine de seconde avant qu'elle ne se retire.
« C'est fini. » M'annonce-t-elle. « Pour toi il n'y avait pas grand chose à faire, mais je crains de ne pouvoir aider nos amis plus en avant sans crainte d'endommager leurs corps. Il faudra qu'il y aillent doucement pour le reste du voyage. »
Pour économiser de la nourriture, Paul et Gustave dépècent un morceau de l'ours que l'on fait cuire longtemps. Mais je sens encore le sang qui me coule dessus malgré ma douche et je suis incapable d'en toucher un bout. C'est toutefois une bonne première soirée où nous échangeons les anecdotes de la journée. J'ai l'impression d'être le seul maussade.
Ma nuit est agité de rêves ou je sens des couleuvres s'enrouler autour de mes mains, mes bras, mon torse. Puis elles se rejoignent en une tête d'ours gigantesque qui m'avale et me réveille. Au petit matin, on démonte le campement et nous reprenons la bonne route à travers le souterrain. Marcher là dedans est toujours autant un calvaire et la mésaventure de la veille nous a refroidi, mais quand nous arrivons sans encombre à la bonne sortie de ce trou que je croyais sans fond, nous pouvons enfin respirer l'air brûlant de l'Extérieur sous la chape de plomb fondu du Soleil.
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