Chapitre 1 : L'éveil de la relique
« Dans un passé lointain, la Grande Guerre des Races opposa les Elfes aux Nains. Ce qui s'y produisit exactement est aujourd'hui inconnu, seules des légendes et histoires peu crédibles en restent. Il n'y en a qu'une dont on peut attester, et cela, malheureusement, jusqu'à nos jours, c'est la manière dont cette tragédie se termina. La Nature, désolée de voir ses enfants s'entre-tuer avec violence et cruauté, décida de mettre fin au conflit. Les tremblements de Terre et les tsunamis qu'Elle engendra nettoyèrent les côtes et rivages. Les tornades et ouragans ravagèrent l'intérieur des continents. Mais tout ceci n'était qu'un déchaînement des éléments, le grondement de Gaïa pour nous faire comprendre son ire. Le pire restait à venir. Le point de non-retour fut atteint lorsqu'Elle laissa le Soleil donner libre cours à sa hargne. Cet astre qui, d'après les textes anciens, était bénéfique et révéré devint le bras armé de Sa colère. Brûlant tout sur son passage, Il transforma cette planète d'abondance et de prospérité en un désert aride, cuisant le jour et gelé la nuit.
Face à l'extinction, les différentes races cessèrent de se battre entre elles pour lutter vers un objectif commun : la survie. Il ne pouvait plus y avoir de compétition, seule la coopération pouvait nous sauver. Les Elfes employèrent leurs magies, et les nains leurs capacités physiques, à préserver les derniers havres de vie qui subsistaient péniblement. C'est dans ce Havre du Vercors que nous vivons aujourd'hui grâce à l'Armistice signée entre ces peuples.
Et nous, les Humains, où étions nous en ce temps là ? Eh bien nous étions des tribus éparpillées sur la Terre alliées tantôt des uns, tantôt des autres selon les relations de chacune des tribus avec les deux autres races. Certaines histoires relatent même des tribus mercenaires qui auraient changé plusieurs fois de camp, selon le plus offrant. »
« Moi j'aurais été pour les Elfes, s'écrie Gina !
– Allons, les choses étaient différentes en ce temps là, tu ne peux pas juger avec tes yeux d'enfant, lui répond son professeur, le vieux François.
– Ils me font peur et ils sentent mauvais les Nains !
– Ils te font peur parce qu'ils parlent fort et si tu passais, comme eux, ton temps à effectuer de durs travaux sous terre, crois-moi qu'à la fin de la journée tu sentirais comme eux. »
J'écoute avec sourire cette histoire que j'ai déjà entendu de nombreuses fois, et comment, à l'époque, certains de mes conscrits avaient eu la même réaction que ma sœur. Les classes se terminent sur cette leçon et déjà, j'entends le brouhaha des affaires qui se rangent et l'excitation de la journée. Gina m'aperçoit et me court dans les bras. Elle reprend son souffle et je sens son cœur battre dans sa petite poitrine. Sans perdre plus de temps, elle me raconte toutes les aventures de sa journée tandis que nous rentrons à la maison. On prépare son goûter ensemble quand, pour la dixième fois ce mois-ci elle m'annonce :
« Le mois prochain, j'aurais neuf ans, je ne serai plus une petite et tu n'auras plus besoin de venir me chercher !
– Et tu n'as pas peur des nomades ? Je lui répartis, taquin.
– Pfff, tu sais bien qu'ils ne peuvent pas pénétrer dans la ville ! Et quand bien même ils y arriveraient, les sentinelles elfes les repéreraient et les chasseraient. »
Une fois le goûter expédié, je file retrouver mes amis. Nous sommes dans notre seizième année et notre vie d'apprentis va bientôt commencer. Assis à notre table habituelle j'aperçois Colline, Sylvain et Fred qui profitent de la douce chaleur des rayons du Soleil filtrés par la barrière elfique sans laquelle nous brûlerions dévoré par sa chaleur avide. Je m'assois avec eux et prends la discussion en cours, il s'agit bien sûr du sujet du moment : une relique de l'Avant-Guerre se serait réveillée non loin d'ici et risquerait de nous affecter. Les marchands nomades avaient amené une rumeur, rumeur que le Conseil des Elfes avait pu confirmer grâce à leurs dons et leurs savoirs. De ce qu'ils avaient dévoilé il s'agirait d'une fraction de soleil que les Anciens avaient capturée et domestiquée pour leur fournir de l'énergie. Mais avec le temps, le petit astre commençait à se libérer de ses chaînes et risquait de laisser exploser sa colère, au sens propre. Bien que beaucoup plus modeste que le Soleil, ce fragment n'en demeure pas moins beaucoup plus proche et risque d'endommager, voire de détruire, la barrière protectrice tout en semant un vent de mort derrière lui.
Aussi, pour cette raison, toute la ville est actuellement dans un état d'excitation et de tension que je ne lui ai jamais connu. Malgré l'assurance des Elfes qu'ils allaient régler la question, tout le monde demeure anxieux. Mais cette nouvelle inquiétante en annonce une bonne ; un groupe mixte comprenant nains, elfes et humains allait être formé. Et si la perspective de sortir de notre voile protecteur effraie les adultes, elle excite notre curiosité et notre désir d'aventure. Ajoutons à cela la possibilité de faire connaissance avec des elfes et des nains et voilà plus de houille qu'il n'en faut pour embraser le foyer de notre imagination ! Cette information est en plus notre exclusivité puisqu'elle émane du représentant des Humains au Conseil, le père de Colline.
Chacun d'entre nous raconte à son tour, extasié, la manière dont il sauverait l'expédition en déroute ainsi qu'un ou une elfe à la beauté inégalée, d'une façon si héroïque qu'ils se marient devant le Conseil, qui, non seulement approuve leur union mais en plus leur remet une médaille de bravoure. Bien évidemment, nous nous moquons des récits des uns et des autres avec, dans la bouche un avant-goût de l'aventure. Nous réglons nos boissons puis avançons vers la ceinture de la cité. De là, le large panorama de l'étendue désertique se déploie sous nos yeux. Il nous semble distinguer, dans le lointain, cette relique sacrée. Je frissonne d'excitation et me vois, à nouveau, en train de parcourir le désert à l'affût des tribus de nomades, prêtes à en découdre et de monstres de légendes que j'abattrais d'une main tandis que l'autre leur prendrait leurs trésors, et quand enfin je me trouverais devant l'autel des Anciens...
Un appel me coupe de mes pensées. C'est Fred qui me tire par l'épaule en m'appelant.
« Ben alors ? T'étais encore perdu dans tes pensées ? Les gendarmes nous ont dit de descendre y a un quart d'heure, faut filer maintenant, ou ils vont encore nous engueuler ! »
On se donne rendez-vous le lendemain pour être sûrs de ne pas manquer le passage des elfes en ville. Des elfes en ville ! C'est tellement rare que tout le monde sera là. Et quel spectacle ! A chaque fois. Non seulement, ils sont d'une beauté surnaturelle, mais leur grâce et leur élégance ont quelque chose de félin. Sans compter leurs habits somptueux et leur apparat inimaginable...
Chacun rentre ensuite chez soi :
« Tu traînais encore avec ta bande ? Me demande de manière rhétorique mon père sitôt le seuil franchit. »
Je le salue ainsi que ma mère et les aide à préparer le repas. Et ma petite sœur à aller se coucher. Nous mangeons dans le silence tendu des grandes nouvelles, uniquement rompu par l'ingénue voix de Gina qui ne se rend pas compte de la gravité de la situation. La nouvelle de l'expédition devait avoir emprunté le chemin officiel, puisque ma mère fini par me demander :
« Avec ton admiration des elfes, tu vas aller les voir demain, n'est-ce pas ? Essaie de ne pas te faire remarquer, comme la dernière fois, d'accord ? »
Je sens la chaleur envahir mes joues et ne doute pas être rouge comme un coquelicot. Je bafouille :
« Mais... Mais enfin Maman ! Je ne suis plus un enfant !
– Tu sais, aux yeux de ta mère, tu resteras toujours le petit garçon qui, hypnotisé par la danseuse sylvestre avait échappé à ma prise et était monté sur scène pour la rejoindre. »
J'ai beau me défendre, à l'évocation de ce souvenir, mon regard se trouble et se tourne vers le passé. Vers ce souvenir si précieux à mes yeux. Vers ce souvenir où, alors que j'étais moitié moins âgé qu'aujourd'hui mais déjà un peu rêveur, les circonstances achevèrent de me faire sombrer dans le monde onirique.
Minuit venait de passer et la fête du Nouvel An atteignait son paroxysme quand furent annoncées les danses elfiques. L'excitation qui gagna la foule était si intense que chacun cessa de bouger pour se concentrer sur la scène qui venait de s'illuminer par enchantement. Le silence qui accueillit la danseuse était quasi religieux. Lorsque ses membres graciles vinrent à mouvoir au rythme d'une musique profonde, tout disparut autour de moi.
Obnubilé par ses gestes, je marchais en rêvant, qui, de sa grâce leste, m'appelaient doucement. Mes jambes cotonneuses m'approchaient de la scène et mon âme amoureuse se transporta sans peine. Arrivé à l'abord mon cœur battait si fort, en rythme avec ma reine, qu'elle me prit souveraine.
Le contact avec la réalité, sa réalité, tout comme l'interruption de sa danse rompirent le charme et je me retrouvais debout, au centre de l'attention de tous. Je devins plus écarlate qu'une tomate de me trouver si petit, si grossier, si égoïste à arrêter pour ma personne un moment si magique. Mes oreilles bourdonnaient et je n'entendais pas distinctement ni les quolibets ni les rires que l'on m'adressait. Pourtant, j'entendis parfaitement le timbre clair comme une source et puissant comme une cascade de la voix de mon enchanteresse. Sans aucune moquerie, ni aucun agacement, elle appela mes parents à venir me récupérer, et ma mère, mortifiée, fendit la foule pour me reprendre. Je lâchais avec difficulté la main de l'elfe pour attraper celle de ma génitrice et nous rentrâmes à la maison. Dès lors, je fus interdit de m'approcher aux rares moments où des sylvains passaient en ville pour que je ne tombe pas amoureux des elfes.
Mais aujourd'hui, je suis presque un adulte. On ne peut plus m'imposer de telles restrictions. De plus l'affaire est officielle et suffisamment importante pour que les Elfes requièrent notre aide, à nous, les Humains. Et peut-être allais-je pouvoir aider, me faire remarquer, et obtenir une reconnaissance !
Dit comme ça, je passe pour un amoureux des Elfes, mais je n'en suis pas à ce point d'obsession. Être un amoureux des elfes est un terrible mal qui touche certaines personnes qui, trop sensibles à leur perfection, deviennent fous. Certains se privent de nourriture pour atteindre leur finesse et meurent de faim si on ne les force pas à manger. D'autres encore deviennent si tourmentés par eux qu'ils ne veulent plus vivre qu'avec eux, les sentir, les toucher, les entendre tout le temps. Alors ils essayent de pénétrer dans la Forêt pour en percer le secret et parvenir à entrer dans ce pays mystérieux. Ils n'en reviennent jamais.
Plus un humain passe de temps au contact de ces anges, plus il a de chances d'attraper ce mal. C'est pour cela que les emplois de transporteurs ou de négociants avec eux sont réservés aux personnes les plus résistantes mentalement. Quant à la chaire de Héraut de l'Humanité, qui siège au Conseil avec les elfes les plus sages, elle relève autant du choix du Conseil des Humains que de la résistance au charme des elfes qu'un de leur shaman, capable de lire dans les cœurs, mesure. Cette précaution permet de s'assurer que l'intérêt des Humains soit toujours défendu et que la sécurité du royaume elfique, la Forêt.
On raconte que jadis un homme tomba si profondément amoureux des Elfes qu'il fit tout pour être élu Héraut des Humains. Une fois arrivé dans la Forêt, il se mit à enlever et tuer des elfes pour conserver près de lui leurs parfums à jamais. Quand il fut démasqué, son statut d'ambassadeur et de représentant propulsa l'affaire au rang de casus belli. Les Humains durent dédommager lourdement les pertes elfiques afin de ne pas faire renaître le conflit et de continuer à profiter de la magie sylvine. Il fut aussi décidé qu'un shaman examinerait les potentiels Hérauts avant de les accepter ou non. Aucun n'avait jamais été rejeté jusqu'à présent, mais la paix était trop importante et la prudence reste de mise.
Pour faire arriver le lendemain plus vite je vais me coucher en même temps que Gina, sitôt le repas fini. Ma nuit est troublée de rêves étranges qui me perturbent et c'est ceux-là autant que l'excitation qui me font quitter mon lit dès potron-minet. J'arrive très en avance à la grand' place pour ne rien rater du spectacle. Mais visiblement, je ne suis pas le seul curieux à avoir eu cette idée. Colline arrive en seconde avec son père qui s'en retourne très vite préparer la venue de nos hôtes. Les deux derniers arrivent quelques minutes seulement avant le début,heureusement pour eux que je leur ai gardé des places.
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