Chapitre 24

- J'arrive pas à croire qu'ils nous aient enfermés ici...

Je me tourne vers Rafael en poussant un soupir. Ce matin, nos compagnons ont insisté pour que nous soyons enfermés tous les deux dans une pièce du Palais des Fées. Deux gardes ont été postés devant la porte. Nos geôliers, en quelque sorte...

- C'est pour votre bien... a répété Kayla avant de nous abandonner.

Puis elle et les autres sont partis afin de se préparer pour l'Épreuve Annuelle. Même s'ils savent que nous n'aurons aucun contact durant leur escapade, les Fées ont refusé de nous dire quelle est cette Épreuve. Elle ne nous sera révélée qu'à leur retour.

Je m'adosse contre le chambranle de la porte et m'assieds par terre, regardant encore et éternellement le canapé, les fauteuils, la cheminée et les fenêtres fermées à clé du petit salon - j'ai vérifié. Tant de somptuosité. Ça aurait pu être pire...

- Tu crois qu'ils vont nous laisser ici jusqu'à ce qu'ils reviennent ? continue mon ami en se rapprochant.

Il s'assied à mes côtés, son bras frôlant le mien. Les battements de mon cœur accélèrent, le drôle de picotement revient hanter ma peau.

- J'ai peur, Evelyn, avoue-t-il d'une voix grave. J'ai peur pour eux.

- Il ne va rien leur arriver, Raf. Ils sont protégés par des dizaines et des dizaines de gardes Fées, Sirènes et Elfes.

Mais qui est à l'abri du Chef des Destructeurs, hein ?

Ils vont bien. Ils vont bien. Ils vont bien. Ils reviendront dans quelques heures, on fêtera ça avec du champagne féerique, et le lendemain, on essaiera de trouver une solution pour sortir de ce monde et vaincre celui qui tient les ficelles des pantins que nous sommes. Simple. Efficace.

- Toujours aussi confiante, à ce que je vois. Super-Ève.

Je lui lance un regard. Son petit sourire, terni par l'inquiétude, provoque un vol de papillons dans mon ventre.

- C'est qu'une façade, Rafael. J'ai peur aussi.

Et c'est bien la première fois que j'ose le dire à voix haute.

Ses yeux restent fixés aux miens. Comme si je l'hypnotisais. Alors que c'est lui qui m'hypnotise, avec ses iris émeraude plus beaux que tout.

- Bon, changeons de sujet, dis-je en me détournant à regret. Je me sens vraiment pas d'humeur à me lamenter, là. Même si c'est l'endroit idéal.

Un petit silence. Puis sa main douce prend la mienne et la presse doucement. Ma tête pivote brusquement vers lui.

- Donc...

Je déglutis.

- Donc ?

- Est-ce qu'on va parler de ce qui s'est passé hier ou on va faire comme si de rien n'était ?

- 'Vois pas de quoi tu parles.

Je fuis son regard. Je sais très bien de quoi il parle. Mes lèvres ont bien mémorisé la sensation que leur procurent les siennes, apparemment.

- Ève...

- Raf.

Il m'oblige à le regarder, ses doigts s'emparant délicatement de mon menton.

- On va éviter cette conversation encore longtemps ?

- Peut-être. Tu crois que c'est le moment de mettre ça sur le tapis ?

En vérité, j'ai tout autant envie de comprendre ce qui nous arrive, à nous deux. Rafael est mon meilleur ami d'enfance. On a fait les quatre cents coups ensemble. On se connaît mieux que personne, et en même temps, j'ignore la partie de lui qui a changé. Mais je veux la connaître.

Et de l'autre côté, je flippe. C'est quoi, ce sentiment qui gonfle dans mon cœur, hein ? Je n'ai pas assez de soucis comme ça ?

- Tu me plais, Ève. Et je crois que... que c'était déjà un peu le cas le premier jour.

Le premier jour. Le jour de notre rencontre.

Je m'en souviens très bien. Un petit garçon était recroquevillé dans un coin de la cour de la maternelle, tête sur les genoux, bras entourant ses jambes comme un bouclier. Et ils étaient là, les trois enfants qui se moquaient de lui. Petit Chou-Fleur Bigleux, qu'ils chantonnaient.

Ses yeux verts, entourés de lunettes, parcouraient les alentours. Pleins de larmes. Comme s'il cherchait quelqu'un.

Un appel à l'aide.

Alors je me suis postée devant lui, tandis qu'il me regardait d'un air médusé.

- Ça suffit !

Les trois bambins m'ont dévisagée, hésitants. J'étais un peu crainte par les autres, parce que j'osais élever la voix. J'étais une enfant quelque peu... virulente.

Ils sont partis. Retournés jouer à je ne sais quel jeu stupide alors que le petit garçon était toujours là, brisé par leurs mots.

- Fais attention, la prochaine fois. Je serai pas toujours là pour te sauver.

C'est ce que je lui ai dit en me retournant. Pourtant, j'avais l'impression que ce n'était qu'un mensonge. Que cet instant-là a décrété un pacte entre nous deux.

Je ne l'ai plus lâché d'une semelle. On faisait tout ensemble. J'étais son ombre - à moins que ce ne soit le contraire. Je persistais à essayer de lui rendre le sourire. Même avec un truc ridicule. Je ne voulais pas voir ce visage démuni que j'ai vu dans la cour de récréation.

Et voilà que ce même garçon se tient près de moi, et me déclare ses sentiments. Non, pas ce même garçon. Ce jeune homme. Que je connais si bien et que je connais si mal.

Moi qui pensais que ce lien ne resterait qu'amical... Tout le monde sous-entendait que cela deviendrait plus que de l'amitié à un moment ou un autre, mais je ne l'ai jamais cru. Jusqu'à maintenant.

- Ève, je...

Je dépose un baiser sur ses lèvres. Il me caresse la joue avec un soupir - de soulagement, je suppose.

- Je crois que c'est réciproque. Non. C'est réciproque.

Son sourire illumine son visage. Il est si beau quand il a l'air heureux...

- J'ai eu peur que tu me mettes un râteau, Meyer.

- Hum... maintenant que tu m'en parles...

Son bras entoure ma taille, tandis que son front se colle au mien. On se regarde, les yeux dans les yeux.

- Ah non, hein. Laisse-moi être avec toi, Evelyn. Je te quitterai plus.

Son regard brille de sincérité, de conviction et... d'amour ?

Oh. C'est donc ça qui me met dans tous mes états.

- Je te crois. De toute façon, tu n'as pas intérêt à t'en aller, Rafael Nelson.

Ne me brise pas le cœur encore une fois.

***

Le soleil commence à décliner quand les gardes Fées déverrouillent la porte de notre "prison journalière". Rafael et moi démêlons l'enchevêtrement de doigts et de bras que nous formons. Je sens mes joues rougir...

- Ses Majestés le Roi et la Reine souhaitent que vous vous prépariez pour la fête de ce soir, annonce l'une de nos deux geôliers. Vos femmes de chambre sont dans chacune de vos demeures.

Je me lève, imitée de près par Rafael, l'adrénaline courant dans mes veines.

- Ils reviennent bientôt ?

L'impatience imprègne ma voix, mais je n'en ai que faire. La garde hoche la tête ; je n'ai pas besoin de préciser de qui je parle. Instantanément, un grand sourire se pose sur mes lèvres, et je remarque que celles de Rafael aussi se sont retroussées...

J'offre un regard rassurant à Rafael avant que la garde ne m'escorte jusqu'à ma chambre et que son congénère guide mon ami... ou petit ami... Notre statut n'est pas encore officiel, car nous avons décidé de prendre notre temps.

La soldate referme la porte derrière moi. Adélaïde, ma femme de chambre, est déjà là, assise sur le banc qui borde les pieds du lit, mais elle se relève brusquement, comme si c'était interdit.

- Excusez mon relâchement, Mademoiselle Evelyn. C'est juste que je suis là depuis une bonne demi-heure et...

- Tout va bien, Adélaïde. Merci de m'avoir attendue.

Elle m'adresse un signe de tête poli, un remerciement silencieux. Je me demande si je ne devrais pas réécrire encore mon histoire de fantasy pour donner plus de liberté aux pauvres domestiques...

- Si l'envie vous prend de vous asseoir alors que je vous fais attendre, plus tard, ne vous embarrassez pas, mettez-vous à l'aise.

Je lui souris. Elle pousse un petit soupir.

- Merci, Mademoiselle. Mais je crains que cela n'aura plus lieu.

J'ouvre la bouche. La referme. Elle a raison... C'est sans doute la dernière soirée et la dernière nuit que je passerai ici, dans le monde des Êtres Magiques. Mes compagnons veulent sans doute partir le plus tôt possible - ce qui est compréhensible, car qui ferait durer le jeu malsain d'un mégalomane ? - après avoir trouvé la personne restée captive dans cette histoire. S'il y en a une... Et si le Chef nous jouait un mauvais tour ? Je secoue la tête. Rester positive à tout prix.

- Vous avez trouvé des tenues pour ce soir ?

Aussitôt, elle bondit sur ses pieds et se dirige vers l'armoire pleine à craquer de vêtements de luxe. Elle dépose quelques tenues sur le lit, chaussures assorties sur le tapis crème, et me laisse les examiner.

C'est fou de se dire qu'aujourd'hui, ma seule préoccupation est de choisir une tenue de soirée. Alors qu'hier, nous nous échappions de notre propre État, et que demain, nous y retournerons. Ferons face aux dégâts.

- Celle-là.

Une robe à volants bleu marine. Avec des petites ballerines.

J'espère que je n'aurais pas à me battre, ce soir, pensé-je sarcastiquement.

J'enfile la robe pour qu'elle puisse l'ajuster ; les ballerines sont parfaitement à ma taille.

Dehors, le ciel aussi sombre que ma tenue se paillette d'étoiles, petit à petit, et la lune ronde les rejoint, éclaire les environs. Il commence à faire frais, Adélaïde ferme la fenêtre qu'elle avait ouverte pour aérer la pièce. Ensuite, elle s'empare d'épingles sur ma coiffeuse et s'attaque à mes cheveux bruns et lisses qui ne veulent pas tenir. Mais, miracle, après une dizaine de minutes, deux tresses délicates couronnent ma tête, et j'ai l'impression d'être une princesse.

- C'est magnifique, Adélaïde.

- Je vous remercie, Mademoiselle. Mais votre allure et votre teint jouent aussi.

Je pince les lèvres. Je ne me suis jamais trouvée extraordinaire, ni horrible. Peut-être jolie, mais pas plus.

Pourtant, j'aime cette image dans le miroir.

Le brouhaha des invités me parvient par l'interstice de la porte. D'un côté, je suis excitée, de l'autre, je suis anxieuse. On ne m'a donné aucune nouvelle de mes amis ; je ne sais pas s'ils vont bien, s'ils sont blessés... s'ils vont tous revenir de leur expédition.

- Allez-y. Ils n'attendent que vous.

Un murmure de la part d'Adélaïde. Je me lève et me tourne vers elle. Je la connais peu, mais j'ai apprécié chaque chose qu'elle a faite pour moi - même si c'était plus par devoir que par simple initiative.

- Merci, Adélaïde. Pour tout.

- Merci à vous, Mademoiselle Evelyn.

Son petit sourire me donne le courage d'ouvrir la porte de la chambre et de m'élancer dans la salle principale, d'où s'échappe la mélodie d'instruments magiques typiquement féeriques.

Tout n'est que couleurs éclatantes, allant du blanc aux couleurs chaudes. Des guirlandes lumineuses ornent le haut des murs, des petits papillons qui battent de leurs ailes graciles. Partout, sur les murs, sur les drapeaux tendus, sur les joues maquillées, la nappe du buffet, même une partie de la nourriture, et sur la piste de danse, se trouve le symbole de la Communauté de la Lumière : un soleil ardent aux rayons dorés, qui illumine le monde. Le lustre au centre du plafond, nimbé de cet éclat qui ressemble au soleil, éblouit les alentours, son éclat réverbéré sur les bijoux or et argent des invités.

Les invités. Fées, Elfes et Sirènes confondus. Les Sirènes ont dû boire leur élixir d'humanité pour troquer leur queue écaillée contre des jambes mœlleuses. Je reconnais l'Impératrice Coralie des Elfes avec sa robe en pétales de fleurs jaunes et sa chevelure blonde qui descend dans son dos ; le prince Aurélien et la princesse Elena des Sirènes portent un ensemble jaune soleil pour l'un, une robe rose pastel pour l'autre ; Quentin, le Roi des Fées, arbore le bleu royal avec sa cape et sa toison veloutées et Marion, sa femme, tournoie dans ses jupes beige ; leur fils, Constantin, fait la cour à la princesse Elena - ce qui ne m'étonne pas - ; Sophia, la Sorcière du Soleil - qui nous a introduits au Roi et à la Reine des Fées - discute avec le conseiller de l'impératrice des Elfes. Le reste de la population de la Lumière s'est dépassé pour s'embellir et revêtir des vêtements élégants.

Je reste sans voix. Ce sont mes personnages. Ce sont mes personnages. Ils viennent de mon imagination...

Et pourtant, ils sont là devant moi, et je suis dans leur monde. Cette révélation me prend de plein fouet.

Et là, dans cette mer de tissus colorés, je les vois. Ils se sont regroupés dans un petit coin et observent les environs, comme s'ils guettaient quelque chose. Ils croisent mon regard.

- Evelyn !

Je suis tellement heureuse de les voir que je ne réprimande personne quand je manque de tomber sous les assauts des câlins de Zarah et Angelo.

Ils sont tous là. Aaron, Rachel, Joyce, Nathalie, Elisabeth, Angelo, Zarah, Kayla... Je fronce les sourcils.

- Où est Marc ?

Leurs visages se font plus graves.

- On ne sait pas. On l'a cherché partout, mais...

La voix de Rachel tremble. Elle est plus proche de Marc que nous... Aaron la prend par la taille et la serre contre lui.

- Il y a une patrouille qui le recherche toujours. Ils vont le trouver, assura-t-il.

Mais il a l'air peu convaincu.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- L'Épreuve était une chasse au trésor, dans l'ensemble des trois territoires de la Lumière, explique Kayla en passant une main dans ses cheveux. On devait former des équipes, alors nous sommes restés ensemble... Pour plus d'efficacité, on s'est séparés en duo pour chercher...

- Je l'ai perdu, dit Joyce.

Je n'arrive pas à lire son regard. Sans doute cherche-t-elle à cacher son trouble...

- On était dans une crique. Les Sirènes nous ont créé des bulles qui s'adaptent à notre forme pour pouvoir respirer sous l'eau... J'ai fouillé la crique, je suis retournée dehors pour voir si Marc se trouvait dans les parages... Aucun signe de lui. J'ai appelé les gardes Sirènes qui surveillaient la chasse au trésor pour fouiller à nouveau... Rien. (Elle se tourne vers Rachel.) Je suis désolée.

Sa voix faiblit.

Même si je ne connais pas Marc tant que ça, le poids sur mes épaules s'alourdit. L'un de nous ne rentrera peut-être pas avec nous demain...

Alors, comme si ça pouvait changer quelque chose, j'attrape le premier sujet qui me passe sous la main :

- Vous vous êtes faits beaux et belles, dites donc.

- T'as vu ça ?

Angelo tourbillonne pour montrer sa tenue, mais son sourire fané montre à quel point il est affecté par la situation.

- Promettez-moi que vous allez vous amuser. Oubliez vos soucis. Juste pour ce soir. D'accord ?

- Plus facile à dire qu'à faire... marmonne Aaron, toujours collé à ma professeure.

Je balaie la salle d'un geste continu de la main.

- Suivez l'exemple. C'est pas difficile.

Nathalie prend la main de Zarah. Elles se sourient. Kayla, elle, passe un bras autour des épaules de Joyce, d'Angelo et d'Elisabeth, avec cet instinct maternel qui la caractérise. Rachel s'appuie contre son compagnon - ils pourront dire tout ce qu'ils veulent, ils sont amoureux, ça crève les yeux - ; lui l'étreint comme il ne semble jamais l'avoir étreinte. Je détourne les yeux pour leur laisser de l'intimité...

... et pour trouver Rafael. Je sursaute en même temps que mon cœur quand je croise son regard émeraude, à trente centimètres du mien.

- Comme on se retrouve, plaisante-t-il doucement.

Rapidement, je les détaille, lui et son smoking tout simple, tellement lui, qui retombe parfaitement sur ses épaules carrées. Puis je reviens à ses yeux, souris, et j'ai l'impression qu'une petite rougeur s'empare de ses joues.

- Rafael Nelson, vous allez faire s'évanouir tout le monde devant tant de beauté !

Il se met à tousser pour cacher son rire quand certains invités se tournent vers nous, attirés par mes éclats de voix. Angelo s'approche et me pousse gentiment.

- Eh ! C'est ma réplique, ça ! (Il fait un clin d'œil à son ami.) Rafounet, le beau gosse de la soirée.

- Pfff.

Rafael est gêné, mais ça lui fait plaisir. Je le vois déglutir, je sens mon cœur palpiter.

Il pose sa main sur mon bras.

- T'es belle, Ève.

La sincérité perce dans sa voix. Seul son compliment me touche au plus profond de mon être... Je le remercie d'un regard.

- Une danse ? proposé-je, une main tendue vers lui.

Il l'effleure, entrelace nos doigts.

Et sur la piste de danse, nous sommes seuls au monde. La musique nous berce, nous guide et nous la suivons. C'est si facile d'exécuter les pas, comme si les instruments nous ensorcelaient - ce qui est partiellement le cas.

Je pose mon menton sur son épaule ; il pose ses mains au creux de mes reins, et la chaleur de ses doigts me traverse... Et je me sens bien, là. Plus de soucis. Plus de tristesse. Plus d'anxiété. Juste lui, moi et la musique.

Il y a un petit moment où j'aperçois mes amis danser. Zarah et Nathalie ont assorti leurs tenues bleu marine et dansent l'une contre l'autre ; Elisabeth, parée d'une longue robe vert pâle, s'est trouvé un cavalier Fée ; Angelo et Joyce - l'étonnement me saisit - entame un genre de slow, le rouquin avec des étoiles dans les yeux ; Rachel préfère s'asseoir loin de la piste, sa tête sur l'épaule d'Aaron, qui lui caresse les cheveux ; et Kayla... Kayla me décoche un clin d'œil. Je crois qu'elle sait ce qu'il se passe entre son fils et moi...

Je regarde à nouveau devant moi. Je croise le regard d'une femme dans la foule ; elle fait tourbillonner sa partenaire, mais c'est vers moi qu'elle sourit.

Bizarre.

- On devrait faire ça plus souvent, souffle doucement Rafael dans mon oreille.

Souffle qui m'électrise. Je lui embrasse la joue tout en lui disant :

- Ne t'habitue pas trop. Il n'y a qu'ici pour avoir des fêtes aussi grandioses.

- Je ne parlais pas de ça. (Il colle son front contre le mien.) Je parlais de nous deux. Comme ça.

- Oui. C'est... pas mal.

Un petit rire s'échappe de ses lèvres. Je ne peux m'empêcher de sourire ; je repose ma tête sur son épaule.

Mon sourire se dissipe. Un éclat de métal vient de briller en face de moi, et la femme de tout à l'heure me sourit toujours. D'un rictus qui n'a rien de bienveillant. Son visage s'est transformé...

Yeux élégants. Nez prononcé, mais pas trop. Bouche pulpeuse. Visage symétrique. Chevelure brillante, longue, indomptable. Silhouette mince et musclée. Parfaite.

Enfin, la définition de perfection que j'avais à l'époque. Elle a bien changé depuis.

Je les vois. Les autres femmes au corps et au visage "parfaits", si dénués de défauts qu'on dirait qu'elles ne sont même pas humaines.

Des Enchanteresses. Des femmes qui se créent une image et une voix envoûtantes pour attirer les gens dans leurs filets...

Elles adorent les poignards, aussi.

Les invités semblent les avoir remarquées aussi, parce qu'ils reculent précipitamment. Rafael se retourne.

- Des Enchanteresses !

- Elles sont de retour !

Mouvement de panique. Ils courent, essayent de s'enfuir du château, se cachent derrière leurs congénères. Les Enchanteresses ne bougent pas ; leur Reine embrasse la salle du regard, sourire carnassier sur les lèvres. Son calme tranche avec l'affolement des Êtres Magiques de la Lumière.

- C'est vrai. Nous sommes de retour.

J'attrape Rafael par la manche pour le tourner vers moi.

- Ne les regardez pas dans les yeux ! Elles peuvent vous envoûter ! avertis-je mes compagnons qui ne les connaissent pas encore.

La Reine des Enchanteresses me transperce de son regard doré ; je m'obstine à garder les yeux ailleurs.

- Alors, c'est toi, Evelyn Meyer. Enchantée de te rencontrer... (Elle fait un lent tour sur elle-même pour étudier la situation et toiser les trois familles royales.) Désolée d'interrompre vos retrouvailles, vos Majestés et vos Altesses, lance-t-elle sarcastiquement. Mais, comprenez, on ne pouvait s'empêcher de venir faire coucou. (Elle découvre la Sorcière du Soleil, tapie dans un coin.) Ah, Sophia ! Tu ne dis pas bonjour ? Ta sœur serait ravie que tu l'embrasses.

La Sorcière de la Lune est avec elles ? On est dans la merde...

Je remarque alors que les portes de la salle sont totalement fermées. Les invités tirent dessus sans pitié, mais ça ne veut pas s'ouvrir.

La Sorcière de la Lune y est sans doute pour quelque chose.

- Que...

- Trêve de bavardages. Nous sommes venues pour eux.

Si je pouvais, je la fusillerais du regard droit dans les yeux.

- Le Chef des Destructeurs n'a vraiment pas envie de faire le sale boulot, hein ? dit Elisabeth d'un ton acide.

Ce que mes camarades et moi pensons tous intérieurement.

- De quel droit osez-vous vous introduire chez nous ? s'insurge Quentin en reprenant ses esprits.

L'Impératrice Coralie sort sa canne de combat des tréfonds de sa robe.

- Partez immédiatement. Vous savez comment s'est finie la dernière fois où vous avez voulu nous défier.

- Oh que oui. Mais à présent, nous avons tous les alliés qu'il faut...

Elle balance habilement un couteau à l'autre bout de la salle, atteint un homme à la poitrine. Il s'effondre en fixant le poignard, agonisant ; le sang coule à flots, et je mets une main sur ma bouche pour retenir un cri et le reflux de nourriture.

- Attrapez-les.

Il faut que je surmonte ma peur une nouvelle fois. Elles ne peuvent pas gagner le combat. Parce que si elles nous attrapent...

... nous serons à la merci du Chef des Destructeurs.

Mes compagnons sont déjà en position de combat. Des Elfes, des Fées et des Sirènes se battent déjà contre les Enchanteresses, mais elles sont plus nombreuses qu'au premier abord - sans doute ont-elles usé de leurs pouvoirs pour prendre un visage quelconque afin d'aller incognito à la fête. Mes amis s'élancent dans le champ de bataille.

Je ne peux pas les laisser se battre tout seuls. Alors je les suis.

Coups de couteaux, filets de sang, sourires malveillants, cris, effroi. Emmêlement de voix hurlantes, de tissus de soie, je ne reconnais plus personne. À un moment, je vois une Enchanteresse, esquive son regard ensorcelant, ses murmures doucereux et son couteau filant dans l'air. Je lui donne un coup de pied dans le sternum et pousse de toutes mes forces... Elle doit m'avoir sous-estimée, car elle percute le sol avec un craquement.

La magie est bien présente. Bourrasques violentes de la part des Fées, invocations des forces de la terre par les Elfes, les Sirènes créent ces vagues d'eau qui tentent d'engloutir les Enchanteresses. Sophie la Sorcière tisse la lumière, la fait onduler, la transforme en lasso ou en lame acérée. Mes amis se battent comme des beaux diables, et j'ai peur pour eux.

Un instant de déconcentration et je sens qu'on m'empoigne par la gorge. J'ai du mal à respirer, à bouger. Je suis légèrement soulevée du sol.

Deux pupilles se plantent dans les miennes.

Et à ce moment-là, je sais que j'ai perdu.

La Reine des Enchanteresses révèle à nouveau ses dents blanches et bien formées.

- Dors, petite. Dors.

Et la magie fait que mes paupières se baissent.

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Bonjour/Bonsoir à vous !

Evelyn et Rafael ont donc enfin mis au clair leur relation (ou presque). Content•e•s ?
Vous faites la connaissance des Enchanteresses (quand Evelyn a fait un petit voyage dans son carnet toute seule, elle est tombée sur l'une d'elles, la pauvre) ! Très sympathiques, n'est-ce pas ? 😂
Que va-t-il se passer ensuite ? Des théories ? Vont-ils bientôt découvrir l'identité du Chef des Destructeurs, à votre avis ?

*****

On avance vers la fin, les ami.e.s ! Ceci est l'avant-dernier chapitre. Il restera un épilogue, après le chapitre 25
J'espère que ce tome 1 vous a plu ! N'hésitez pas à donner vos impressions (ça peut toujours servir, même si j'ai fini ma réécriture pour toujours et qu'il n'y aura pas de tome 2. Désolée si vous aviez l'espoir que ça se finisse autrement 🙃).

Merci d'avoir continué jusqu'ici, cher•e lecteur•ice ❤

Stella

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