Chapitre 19
Sans un mot, je me couche près de Rafael, sa main toujours dans la mienne. Je ferme les yeux, reportant mes réflexions à demain...
Demain arrive vite. Je me réveille dans les bras de mon ami, la tête posée contre son torse. Pendant l'espace d'une seconde, je me demande comment nous sommes arrivés à cette position. L'instant d'après, la révélation de la veille me revient en mémoire.
Rafael Nelson est un Illustrateur.
Comment ne l'a-t-on pas su plus tôt ? Kayla a-t-elle caché ce détail plus qu'important ? Si oui, pourquoi ? Mais est-elle vraiment au courant ? Qui l'est, à part Rafael lui-même ?
Le Chevalier Noir. Donc le Chef des Destructeurs. Bien sûr. Mais pourquoi veut-il faire éclater la vérité au grand jour ? Quelle surprise nous réserve-t-il encore ?
- Déjà réveillée ?
Il me suffit de tourner la tête pour croiser le regard de Rafael.
- Depuis peu. Bien dormi ?
- Oui, merci.
Il ment, à coup sûr. Il a l'air de quelqu'un qui a fait une nuit blanche...
Il remet une mèche de cheveux rebelle derrière mon oreille.
- Puis-je me lever ?
Moi qui suis déjà mal à l'aise, je me redresse, de plus en plus tendue. Il se met à genoux, me fixant avec insistance.
- Pourrais-tu éviter de parler de ce que je t'ai dit hier soir ? Je ne suis pas sûr que ce soit le bon moment pour informer les autres.
J'acquiesce en esquivant son regard.
- Merci, Ève.
En l'observant du coin de l'œil, j'aperçois son sourire et détourne les yeux. Il s'éloigne à quatre pattes et j'attends qu'il soit sorti pour y aller à mon tour.
À l'air grave de mes compagnons, je m'arrête net.
- Qu'y a-t-il ?
Rafael, qui lit une nouvelle note, me le tend quand il a fini de ses mains raides.
« Félicitations à vous, chers Gardiens et Créateurs. Je vois que vous tenez le coup...
Comment voyez-vous la révélation sur notre petit Rafael ? Croyez-moi, il est capable de bien plus encore... Je ne dis rien de plus pour ne pas gâcher la surprise !
Pour ce qui est de la suite du programme... Vous savez quoi faire.
C. D. »
Dès que je lève la tête, je constate que les regards sont tous tournés vers mon ami, qui semble les soutenir avec difficulté.
- De quoi parle-t-il, Nelson ? demande Joyce.
Rafael pose les yeux sur Kayla, ignorant la question. Ne rien révéler est mission impossible...
- Tu le savais ? (Il observe le visage blême de sa mère.) Tu le savais.
- Rafael, je... j'ai pensé...
- Qu'il fallait enterrer ça ? Enterrer tout ce qu'il reste de Carl Nelson, c'est ce que tu veux ? Mon père, qui est aussi ton mari, mérite plus de respect.
Les traits de Kayla se crispent, prenant une teinte écarlate. Le reste de son corps se raidit tandis qu'elle serre les dents.
- Rafael ! Avant de réprimander ta mère, pense à ton attitude ! réagit M. Forestier, une main posée sur l'épaule de Kayla.
- Ton père est parti, Rafael ! Il ne reviendra pas ! Vois la réalité en face, bon sang !
Je vois les Animals sortir de leur tente du coin de l'œil, dissipant mon étonnement dû à la réaction de Kayla. Je reviens à Rafael et sa mère.
Ébahi, mon ami fixe Kayla, muée par une colère et une tristesse qu'elle doit avoir enfouies jusque là. Ses mots... elle ne les adresse qu'à elle-même. Des gouttes salées roulent le long de ses joues pour s'écraser sur la terre ferme.
- Maman... Je suis désolé...
Kayla essuie ses larmes du dos de la main, les lèvres pincées.
- Nous devons y aller, énonce Joyce, presque impassible.
Je vois bien qu'elle est aussi bouleversée que nous par le message du Chef, même si elle tente de le cacher.
Nous nous dirigeons vers la Colline aux Morts-Vivants dans le silence le plus total. À la fin de l'ascension, je ne me sens même pas essoufflée, mais je n'ai pas le temps de m'en réjouir que nous entendons déjà des cris mi-humains, mi-bestiaux.
Des têtes au teint verdâtre, grisâtre, et à moitié décomposées apparaissent progressivement de l'autre côté de la colline. Puis leurs corps, enveloppés de lambeaux de vêtements. Sans crier gare, ils s'élancent vers nous.
- Ne vous faites pas mordre, vous tomberiez gravement malade ! avertis-je.
La bataille commence. Je découvre sans surprise que nos attaques ralentissent seulement les revenants, et nous nous retrouvons bientôt à bout de force.
Comment les battre ? Souviens-toi, Evelyn, souviens-toi...
Mon esprit me livre la réponse après un instant de réflexion.
Je me débarrasse grossièrement d'un des Morts-Vivants, puis mets mes mains en coupe devant ma bouche pour me faire entendre de tous mes camarades.
- Qui est doué en chant, ici ?
Sans préambule, Rafael désigne Nathalie en donnant un coup de pied au ventre à un Mort-Vivant. Je me rapproche d'elle.
- Ne commence pas à faire ta modeste et écoute Meyer ! s'exclame Joyce en s'occupant des ennemis qui veulent nous atteindre, Nathalie et moi.
Je chuchote à l'oreille de celle-ci ce que je veux qu'elle chante.
- Depuis quand on chante sur un champ de bataille ? lance-t-elle en me dévisageant comme si j'étais cinglée.
- Fais-moi confiance.
Elle prend une grande inspiration, se reconcentre et entame la mélodie. Les Morts-Vivants réagissent tout de suite : ils se mettent en ligne et la chorégraphie débute. Bras tendus vers la droite, puis quatre pas dans cette direction. Bras à gauche, à droite, à gauche, à droite. Bras tendus vers la gauche, quatre pas. Bras à droite, à gauche, à droite, à gauche. On écarte la jambe à gauche, on se trémousse pendant trois temps, on tape des mains au-dessus de la tête et on ramène la jambe droite. Même chose de l'autre côté. Quelques uns exécutent des moonwalk - backslide, comme me corrigeait Zarah à l'époque où tout était normal -, les autres recommencent l'enchaînement de pas.
Il n'y a que sur Thriller de Michael Jackson que l'on danse comme des zombies, et nos adversaires le font à merveille.
- C'est quoi, ce délire ?! s'abasourdit Killian.
Dans une autre situation, je m'esclafferais, mais le moment n'est pas aux rires. Kayla nous fait signe de nous diriger vers l'autre versant de la colline pour inspecter les environs et voir si aucun Créateur ou Gardien familier n'est dans les parages. Malheureusement, la ligne de Morts-Vivants se placent juste devant nous, toujours en dansant, entraînés par la sublime voix de Nathalie. Le revenant du milieu, le chef, s'arrête alors de danser.
- Oh non, lâché-je en reculant.
- Que se passe-t-il ? s'alarme Myriam en regardant de gauche à droite nos ennemis.
Le chef des zombies sort alors une casquette de sa poche et la met à l'envers sur sa tête.
Puis il commence à faire de la beat-box.
- Qui sait rapper ?
Joyce s'avance, ainsi que - à ma plus grande surprise - M. Forestier. Nathalie fait durer une note pour nous donner plus de temps et reprend son souffle, ce qui brise l'emprise qu'elle avait sur les Morts-Vivants.
- Recommence, Nathalie, la prie Kayla.
La petite amie de Zarah s'exécute, et met même au point une petite chorégraphie pour mieux entraîner les revenants.
Le flot de paroles qui s'échappe de la bouche de Joyce, en rimes, ne m'étonne pas ; mais la participation de mon ancien professeur de français me laisse pantoise. Le duo ne perd pas de conviction quand le chef des Morts-Vivants et un de ses comparses rappent à leur tour.
Nous gagnons la manche. Je regarde M. Forestier avec de grands yeux.
- Eh oui. Avoir une connaissance en vers permet beaucoup de choses.
Les zombies s'écartent de notre passage, la tête basse, retournant s'enfermer dans leur antre.
- Plus besoin de t'époumoner, Carpentier, dit l'hybride aux yeux gris.
- Retrouvons la personne enlevée, proclame Rafael en me prenant la main.
Je serre ses doigts tandis que nous allons à grands pas vers l'autre coteau et le descendons rapidement. Nous nous enfonçons une fois de plus dans la forêt et je fais attention à ne pas trébucher sur une plante ou un caillou. Nous atteignons un petit ruisseau que nous passons sans difficulté - il suffit de faire une grande enjambée - et c'est là que je le vois.
Le frère de Nathalie est dans un sale état : crasseux, les cheveux en bataille, une lèvre fendue et une main recouvrant une plaie à l'avant-bras, il gît sur l'herbe, comme s'il était endormi.
- Éric ! s'écrie sa sœur en accourant auprès de lui.
Elle a beau hurler, lui tapoter les joues, il n'ouvre pas les yeux. Elle le prend dans ses bras.
- Réveille-toi. Réveille-toi, réveille-toi...
Kayla s'empresse de s'accroupir pour poser une main sur son épaule et vérifie l'état d'Éric de plus près...
- Il a laissé un mot.
Nul besoin de demander qui est celui dont elle parle. Elle se met à lire :
« Mes amis,
Constatez par vous-mêmes l'état de votre camarade. N'est-ce pas attristant ?
Malheureusement, cela arrivera à tout le reste de votre communauté si vous ne convainquez pas les autres de rester tranquilles.
Eh oui, vous allez rentrer chez vous. Pour combien de temps ? Peu. Très peu. Profitez-en, car le dernier voyage ne sera pas de tout repos...
Votre guide vous mènera à un portail que j'ai placé à quelques mètres de là. Bon retour aux sources...
C. D. »
Nathalie se lance dans une énumération d'insultes plus grossières les unes que les autres, attrapant le bout de papier des mains de Kayla pour le déchirer. Quelques secondes plus tard, il n'en reste plus que des confettis qu'elle jette sans préambule.
Le morpho bleu choisit ce moment-là pour se montrer, volant dans notre direction. La copine de Zarah faillit l'attraper - sans doute dans l'intention de l'écraser dans sa main -, mais Rafael l'en empêche en retenant son poignet.
- Nat, du calme.
Elle renifle, puis se dégage de lui pour aller porter son frère. Rafael me jette un regard avant de lâcher ma main pour aider Nathalie. Le papillon reste sur place, dans l'attente que nous fassions un pas vers lui.
Marwan, le garçon qui s'est transformé en ours durant la bataille, se racle la gorge, rappelant sa présence et celle des autres Animals.
- Nos chemins se séparent. Bonne chance pour retrouver votre monde.
Je les salue à la place de tous mes autres compagnons, qui gardent le silence. Puis les Animals font demi-tour. Notre marche se fait sans un bruit, si ce ne sont ceux de nos pas, suivant "notre guide".
Je devrais être soulagée de revenir à l'État, mais tout ce que je ressens n'est qu'une immense angoisse. Que mijote le Chef contre les Créateurs et les Gardiens ? Et qu'ont-ils fait pour attirer ses foudres ? Je me demande aussi ce qui est arrivé à Éric pour qu'il soit si amoché... Malgré le fait que nous ne nous soyons jamais bien entendus, je suis peinée pour lui. Personne ne mérite d'être victime d'une quelconque violence. Mais aussi... Retrouverons-nous le reste de notre équipe à l'État ?
Le papillon s'arrête, et nous faisons de même. Il vole encore sur un mètre, puis disparaît dans un flash de lumière : il a traversé un portail, à n'en pas douter. Joyce passe en première, puis M. Forestier, Kayla, Nathalie et Rafael avec Éric dans les bras, et enfin moi.
Dès que mes yeux s'habituent à la seule lumière de la Lune, je reconnais la silhouette des Centres d'Entraînement, des établissements scolaires, des maisons du village...
Puis mon regard se pose sur le Palais des Anciens, ce majestueux bâtiment, avec ses cinq tours, son lierre, ses fleurs multicolores, ses saules pleureurs, son jardin, sa fontaine...
Il n'en reste plus que des ruines. Les fragments de pierre blanche ont envahi le jardin, écrasant les arbres, autres plantes et la fontaine, dont la statue n'est plus qu'un tas de débris d'albâtre. Le visage de cette dernière n'est plus reconnaissable.
- Eh, vous !
Je me tourne vers la direction de l'appel. Un homme, en tenue militaire, court pour nous rejoindre. Quand il arrive à notre hauteur, je me rends compte que c'est Marc, le second prétendant de Rachel.
- E-... Evelyn ? fait-il en m'apercevant. Cédric, Kayla, les enfants... (Son regard s'attarde légèrement sur Éric.) Qu'est-ce que... Comment vous... Vous aviez disparu !
Il semble si ahuri que j'en fronce les sourcils.
- Venez avec moi. Vite !
- Que se passe-t-il ? demande Kayla, anxieuse.
- Rendons-nous dans un endroit tranquille, ou je n'aurai pas le temps de tout vous expliquer.
Il nous fait passer par la forêt pour atteindre le village encore saccagé par le brasier. Marc ne veut pas que nous nous fassions remarquer par les troupes de Gardiens - et nous ne savons même pas pourquoi. L'odeur de bois calciné m'emplit les narines et, fronçant le nez, je le recouvre de ma main.
- Comment se fait-il que le village soit encore dans cet état ? interroge Rafael, portant toujours le frère de Nathalie avec cette dernière.
Il tient bon malgré le fumet fantôme de brûlé.
- Chut, ordonne Marc quand plusieurs vociférations se font entendre loin de notre groupe. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire repérer.
Toutes ces cachotteries me mettent à bout de nerfs, comme en début d'année, quand mes parents, mon ancien professeur de français et mes amis me cachaient tout ce qui fait partie de ce monde. Néanmoins, je prends sur moi et attends de parvenir à une maison qui n'a pas été trop ravagée par le feu.
Marc ferme la porte du bâtiment sans un bruit avant d'y coller son oreille.
- C'est bon. La voie est libre.
- Pouvez-vous enfin nous expliquer ce qui se passe ? questionné-je, agacée par tant de précaution.
- Oui, nous sommes seuls. Pour le moment...
Il nous réclame tout de même de prendre place derrière l'escalier de bois qui tient encore debout, et nous nous asseyons donc, malgré l'étroitesse de l'endroit. Il trouve un paquet d'allumettes dans le tiroir du plan de travail et en allume une en revenant auprès de nous.
- Tout a commencé lors de l'arrivée du premier message du Chef des Destructeurs, raconte Marc en retirant son couvre-chef kaki. Quelques Gardiens étaient excédés que quelqu'un ait osé nous menacer, et c'est compréhensible.
» Les Anciens ont été enlevés, il y a deux semaines de cela. (Tout le monde devient abattu.) C'est là que les vrais problèmes sont arrivés. Certains disaient qu'il nous fallait un leader, une personne qui puisse s'occuper de toutes les décisions. Des Créateurs se sont présentés, bien évidemment, ce qui n'a pas ravi les Gardiens.
» Tu dois savoir, Evelyn, que les Créateurs et les Gardiens se sont toujours distingués, malgré le fait que deux Gardiens soient associés à un Créateur. Dans notre société, beaucoup de Créateurs se sentent supérieurs aux Gardiens, et cela irrite beaucoup mes collègues.
» La rancœur n'a fait qu'éclater. Les Gardiens ont profité de l'absence de nos gouverneurs - qui sont tous deux Créateurs - pour s'emparer du pouvoir. Étant un Gardien, je dois porter cet uniforme et diriger l'autorité.
» Voilà pourquoi vous verrez les Créateurs vivre dans des circonstances assez précaires. Si vous vous faites attraper, Evelyn, Cédric... vous devrez suivre l'exemple. Et pour toi, Joyce, je n'en ai aucune idée, mais ça ne risque pas d'être facile...
La Gardienne/Créatrice se renfrogne.
- Pour ce qui est du village, achève Marc, il n'a pas été reconstruit pour une raison : les Gardiens ne veulent pas que les Créateurs utilisent leur don pour avoir l'ascendant sur eux. Et ce sont eux qui ont détruit le Palais des Anciens.
Il a l'air si navré que M. Forestier pose une main sur son épaule.
- Je suppose que tu as fait de ton mieux pour empêcher ça. N'est-ce pas, Marc ?
- Tous ceux qui sont contre l'idée ou mitigés ont moins de pouvoirs que les plus impliqués. Je dois jouer la comédie. (Il renifle.) À vous.
Je suis surprise quand Rafael prend la parole pour relater nos aventures, à partir du moment où j'ai découvert un mot du Chef dans la Grotte Enchantée, après avoir aperçu le morpho bleu. Son récit en lui-même est neutre, mais on sent quelques pointes d'émotion dans sa voix. Il omet la découverte de son don - sans doute par prudence.
Assise à côté de Rafael, je me colle à lui, tant pour le soutenir que pour me réchauffer. Ce n'est que maintenant que je me rends compte de la température de l'État, qui a clairement chuté...
- Vous n'avez voyagé que trois jours, d'après ce que tu racontes, Rafael... remarque Marc.
- Quoi ? Ça ne fait même pas une semaine ? lance Joyce. Ça en faisait une que vous aviez disparu quand j'ai été enlevée, alors...
- Un mois.
Tout le monde se tait.
Après un long silence, je réagis de nouveau :
- Quoi ?
- Ça fait presque un mois que vous avez disparu.
- Je sais que le temps qui s'écoule dans une histoire et ici n'est pas le même, mais... Un mois ? Vraiment ?
Marc acquiesce en soupirant.
- C'est bon, vous avez fini ?! s'agace Nathalie. Vous voyez pas que mon frère a besoin de soins ?!
Toute la fatigue accumulée par le temps écoulé et ce qu'on a traversé se manifeste alors, affaissant mes épaules, et mon dos se voûte de lui-même. La tension perd de sa teneur, laissant mes muscles mis à l'épreuve se relâcher, et mon corps entier s'appuie sur Rafael. Précipitamment, il m'entoure de ses bras et me ramène contre lui. Je n'ai même pas la force d'encourager Nathalie.
- Du calme, Nathalie, dit Kayla en lui caressant la tête. Ne nous fais pas repérer.
- Depuis combien de temps est-il dans cet état ? se renseigne Marc en examinant Éric.
- Nous l'avons trouvé il y a une heure environ. Enfin, de notre point de vue... répond Joyce.
- À part sa plaie à l'avant-bras, il n'a rien de grave, garantit la mère de Rafael.
- Comment pouvez-vous rester aussi calmes ?
Je ne peux suivre la suite de la conversation. C'est comme si je passais ma tête sous l'eau ; leurs voix ne sont plus que des bruits de fond.
Ma vue est plus aiguisée que jamais, me permettant de voir tous les détails que je n'avais pas remarqués chez mes compagnons de voyage : leurs cernes, leurs yeux mi-ouverts, leurs habits sales et parfois déchirés, leurs lèvres gercées... Voilà dans quel état nous sommes. Et nous ne sentons pas la rose...
Soudain, quelqu'un élève la voix et je sors de ma bulle. Des poings frappent à la porte.
- Sortez de là ou je défonce la porte ! rugit une femme.
Comment nous ont-ils découverts ?
Marc souffle sur l'allumette, se lève d'un bond et chuchote :
- Nous n'avons pas le temps de nous enfuir. Je dois jouer mon rôle de Gardien. Vous, vous obéissez, ou les conséquences seront désastreuses. Bonne chance.
- Vous ne me laissez pas le choix ! s'exclame la Gardienne au dehors.
Je l'entends enfoncer la porte. Marc est déjà parti par la porte de derrière, nous laissant seuls, dans notre triste état. Plusieurs paires de pas foulent le plancher. Ils ne prennent qu'une dizaine de secondes pour nous trouver dissimulés derrière l'escalier.
Je prends Rafael dans mes bras et le serre le plus fort possible. Il me rend mon étreinte, sa joue contre mes cheveux. Qui sait quand on se retrouvera ?
Il m'est arraché après un baiser sur ma tempe. Un à un, ils nous empoignent et nous trient en deux groupes - Créateurs d'un côté, Gardiens de l'autre. Deux adultes s'occupent de soulever Éric et de le placer sur leurs épaules sans ménagement ; Nathalie proteste, mais l'un de ses aînés la fait taire d'un regard.
- Choisis ton camp, Chapel, dit un Gardien militaire à Joyce en resserrant sa prise sur ses poignets. Soit tu vas chez les Créat', sachant qu'on leur fait pas de cadeaux, soit tu restes avec nous.
Une foule d'émotions se présente sur son visage, passant de l'une à l'autre, puis elle redevient stoïque.
- Je reste avec vous... bande de pourritures, murmure-t-elle dernièrement.
L'homme lui lâche un seul poignet, et fait signe à ses collègues de sortir.
- Les Gardiens, avec nous. Les autres, emmenez les minables à leur Centre d'Entraînement.
Tristement, Kayla me jette un œil, puis échange un regard désespéré avec son amant. Elle finit par se détourner en se faisant reprendre par l'un de ses pairs.
On nous emmène de force jusqu'au Centre d'Entraînement des Créateurs, sans aucune liberté de mouvements, à part pour marcher tout droit vers la bâtisse.
- Pourquoi nous n'allons pas au Camp ? s'enquiert M. Forestier.
- Parce qu'il est maintenant réservé aux Gardiens. Pigé ?
- Mais je ne vois pas l'intérêt de...
La femme lui donne un coup de genou dans l'estomac. Mon ex-professeur se plie en deux en se tenant le ventre, et j'ai l'intention de l'aider, mais le collègue de la Gardienne me retient de manière ferme.
- Mais ça va pas chez vous ?!
- Bien sûr que ça ne va pas, petite Créat'.
Elle me regarde droit dans les yeux.
- C'est la guerre, t'as pas remarqué ?
Elle oblige M. Forestier à se relever et le pousse pour qu'il reprenne sa route. Il s'exécute avec un grognement.
- Quelle guerre ?
- Ne fais pas ta naïve.
- Si vous étiez plus observatrice, vous noteriez que mon visage vous était inconnu jusqu'à présent.
Elle échange d'otage avec son confrère, toujours en marchant, m'ayant ainsi à l'usure. Les autres Gardiens aux vêtements camouflage nous dévisagent avec un mépris considérable.
- Écoute-moi bien, chérie, car je ne me répèterai pas. (Le surnom a pour effet de me faire trembler, me remémorant les petits noms que me donne ma mère.) Nous n'allons pas rester là sans rien faire alors que l'ennemi nous enferme dans notre État et veut qu'on se prosterne à ses pieds.
Elle serre mes poignets jusqu'à planter ses ongles dans ma chair. Je réprime un cri de douleur, mon cœur tambourinant dans ma poitrine.
- Nous allons riposter, susurre-t-elle à mon oreille. Nous allons nous battre, quoi qu'il en coûte. Et après, nous nous occuperons des Créateurs. Une chose à la fois, pas vrai ?
Je hoche la tête. Cette femme possède un physique si commun avec sa taille moyenne, ses courts cheveux blonds et ses yeux bruns que je ne saisis pas comment elle peut être si terrifiante.
Le chemin se termine en silence. Ils nous jettent presque dans le Centre plongé dans l'obscurité, et je trébuche sur ce qui me semble être le corps de quelqu'un.
- Bonne nuit, minables.
La porte claque et nous voilà livrés à nous-mêmes.
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Bonjour/Bonsoir ! Ça va ?
J'ai beaucoup aimé écrire cette petite "bataille" entre Créateurs, Gardiens contre Morts-Vivants 😆 Parfois, je me demande ce qui me passe par la tête... Vous avez aimé ?
Retour à l'État pour Evelyn et ses compagnons ! Et un joli comité d'accueil en plus... Surpris•e•s ? Vont-ils s'en sortir et comment ?
À plus au chapitre 20
Stella
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