Chapitre 18

Les gardes derrière le chevalier nous conduisent dans le nouvel escalier en colimaçon en joignant nos poignets pour mieux nous retenir. Ils nous poussent quand nous n'avançons pas assez vite à leur goût. Aaron en pâtit, s'écroulant à genoux à la fin de l'ascension, son bandage imbibé de sang. Il peine à respirer.

- Laissez-le ! crache Rachel à l'intention du Chevalier Noir.

Ce dernier n'y fait pas attention et va s'asseoir sur son sinistre trône. Le velours noir du siège est de la plus haute qualité et les branches tordues de l'arbre qui le soutienne créent la silhouette d'un monstre cauchemardesque. Soit à l'image du Chevalier Noir.

- Que nous voulez-vous ?! fulmine Elisabeth, bien qu'apeurée.

- C'est plutôt à moi de poser la question.

Au lieu de se tenir bien droit, les épaules carrées - comme un monarque se doit de le faire -, il est légèrement bossu, un coude sur l'accoudoir et la joue sur son poing. Le poids sur ses épaules se fait sentir.

- C'est vous qui entrez par effraction dans mon château. Vous auriez pu toquer à ma porte, affirme-t-il sur un ton tranquille.

- Pour nous jeter dans la gueule du loup ? Non, merci, rétorque Joyce dont les traits se sont crispés.

- Malheureusement, ce genre d'infractions a des conséquences, continue-t-il en l'ignorant. Et il se trouve que je suis obligé de me tenir à une réclamation qu'on m'a faite.

Il se lève et sort son épée au métal d'ébène de son fourreau.

- Le Chef des Destructeurs vous tient en laisse, c'est ça ? le consulté-je en le fusillant du regard.

- La provocation ne marche pas avec moi, Evelyn.

Qu'il prononce mon prénom comme s'il était un de mes proches me donne des frissons.

- Vous ne voulez pas vous battre contre nous, deviné-je.

Sa main s'allonge vers un des gardes, qui lui fournit une seconde épée en argent, bien plus réceptive au peu de lumière qui traverse les grandes vitres opaques. Il le remercie d'un signe de tête avant de se diriger vers moi.

- Lâchez-la, s'il vous plaît.

- Ne l'approchez p...

Le serviteur le plus proche de Rafael le fait taire, posant une main sur sa bouche. Il le plaque au sol et mon ami se débat sauvagement. Des collègues du garde viennent l'aider à le maintenir.

Presque hypnotisée, j'ai un mouvement de recul quand les doigts gantés du Chevalier me caressent la joue, mais ne bronche pas. Puis il baisse la main et récupère la lame argentée pour me la donner. Peu habituée au poids du métal, elle m'échappe des mains et heurte le sol dans un tintement. Je l'empoigne par le manche et resserre ma prise.

- Voyons vos compétences en combat, dit-il en se retournant. Vos amis affronteront mon armée ; vous me ferez face.

Le temps d'un claquement de doigts, des centaines de soldats se pressent dans le palais, armés jusqu'aux dents.

- Vous êtes trop nombreux, argumenté-je. Et mes camarades n'ont aucune...

Deux sentinelles débarquent dans la salle du trône et laissent tomber un tonneau près de mon groupe.

- Qu'ils prennent ce qu'ils veulent, invite le Chevalier Noir.

Mes compagnons sont libérés de manière rude, et ne se font pas prier pour s'approprier certaines armes médiévales : des lances, des dagues, des glaives, des sabres... Les seules épées sont celle de mon adversaire et la mienne.

- En garde...

Il me fait brusquement face, son arme bien en main. Je me mets en position d'attaque, comme on m'a appris à le faire. Tout le monde semble retenir son souffle.

- Combattez !

Il me rejoint lentement alors que la bataille fait rage autour de nous. Mon stress augmente à vue d'œil...

J'ai simplement le temps de voir mes équipiers esquiver quelques offensives et attaquer à leur tour en protégeant Aaron du mieux qu'ils le peuvent. Des soldats empêchent quiconque de m'approcher, à part leur maître.

Assez proche de moi, le Chevalier Noir attend une réaction de ma part. Mais je n'ai aucune intention de l'embrocher avec mon épée...

- J'ai de bons réflexes, lance-t-il comme pour me rassurer.

Mes camarades se battent corps et âmes pour survivre. Mon devoir est d'honorer ce dévouement.

Alors j'arrête d'hésiter et charge l'ennemi. Il évite l'attaque avec une facilité déconcertante, puis passe à l'offensive. Nous croisons le fer, qui tinte à chaque coup d'épée. Mauvaise nouvelle : je n'ai pas l'habitude de me servir d'une telle arme, alors que lui se déplace avec aisance, tient fermement l'épée et frappe toujours un peu plus fort - ainsi que dans mes angles morts. Je commence à fatiguer.

Le Chevalier Noir trouve le bon moment pour me désarmer : mon épée trace des cercles dans l'air avant de percuter le sol et de se stabiliser.

- Le Chef pensait que vous ne tiendriez pas une seule seconde avec une épée à la main...

Je recule dans l'intention de récupérer mon arme. Le chevalier avance vers moi, et je trébuche par mégarde. Je tends le bras vers la longue lame. Un pied botté l'envoie loin de moi.

L'épée de mon ennemi se colle à ma gorge et m'égratigne au passage.

- J'étais sûr que tu serais bien plus tenace que ça. Pourtant, il m'a dit te connaître...

Je m'immobilise. Je connais donc la personne responsable de ce plan diabolique...

Mais qui de mon entourage oserait faire ça ?

L'arme du Chevalier Noir s'élève au-dessus de ma poitrine, la pointe en avant.

- N'aie pas peur, dit-il d'une voix presque apaisante.

Je ferme les yeux quand l'épée commence à plonger dans ma direction.

Mais au moment où la lame devrait me transpercer, rien ne se passe. Mes paupières se relèvent. Une corde pourpre retient le chevalier et le tire en arrière, lui faisant lâcher son épée.

À l'autre bout, Rafael attrape son prisonnier par l'épaule quand celui-ci arrive à sa hauteur et le jette à terre. Vu qu'il semble maîtriser la situation, j'accours auprès de mon entraîneur. Un filet de sang glisse le long de son bras pour s'étaler sur le sol, laissant des traînées écarlates.

- Maître ! m'écrié-je.

Il titube en continuant de se battre. Je me poste devant lui pour attaquer l'assaillant à sa place.

- Je m'en charge ! s'exclame Rachel avant de massacrer quelques soldats. Occupe-toi de ton Mentor !

J'aide mon entraîneur à s'asseoir. Tout ce que je peux faire, c'est presser mes mains contre la plaie pour arrêter le saignement. Le sang gicle et tache mes doigts.

- Tenez bon, Maître. Ça va aller.

Comme pour me contredire, son torse bascule en arrière. Je parviens à le rattraper pour le poser délicatement.

Ses yeux se ferment. Faites qu'il ne soit qu'évanoui...

- Cessez.

Le mot ricoche dans la pièce, simple et ferme. Les sentinelles se stoppent immédiatement.

Le Chevalier Noir lève la tête vers Rafael, qui le fixe en serrant les dents.

- Nous avons eu ce que nous souhaitions. L'affrontement n'a plus lieu d'être.

Mon ami d'enfance retire la corde qui enserre le chevalier et la laisse tomber à ses pieds. Le propriétaire des lieux se met debout et croise le regard de Rafael. Il s'éloigne de lui pour rejoindre son trône.

Ma professeure se précipite vers Aaron. Elle jure en apercevant la quantité de sang qu'il a perdue.

Nous nous rassemblons autour de lui.

- Qu'est-ce que vous vouliez ? sonde Kayla en entourant un bras autour des épaules de son fils.

Les regards du chevalier et de Rafael s'ancrent l'un dans l'autre, comme à la recherche d'une vérité.

- Il sait, répond le noble aux allures sombres.

Rafael détourne le regard, l'air préoccupé, et range ses mains dans ses poches. Je me promets de l'interroger en temps et en heure.

J'avance d'un pas pour me démarquer des autres.

- J'ai une requête pour vous.

- Laquelle ?

- Enlevez votre casque.

Il secoue la tête.

- Plus tard, Evelyn. Je t'en donne ma parole. (Il claque des doigts.) Restez groupés.

Une lumière familière perce sous mon T-shirt et emplit la salle.

- Bon voyage...

***

Le portail nous lâche au-dessus d'une immense toile. Nous y atterrissons en heurtant douloureusement le sol. Les simples clôtures de bois qui nous entourent forment une maison plutôt modeste.

- Tiens, tiens... Il semblerait que j'aie de nouveaux invités.

Je croise le regard de notre hôte, assis sur une chaise, nonchalant. Son siège est recouvert par le tissu - comme tous les autres meubles -, mais sa rapidité lui a permis d'éviter d'être piégé et de revenir s'installer sans gêne.

- Insaisissable... dis-je en guise de salutation.

- Evelyn Meyer... Vous voici donc.

Avec une agilité sans pareille, il se lève et parvient jusqu'à moi en quelques bonds. Il me tend la main et je vois un sourire dans ses prunelles, le reste de son visage caché par son masque.

- Enchanté de vous rencontrer enfin. Vous avez été longue...

Je réponds à son geste et il me serre la main.

- Je suis sûr que vos amis et vous serez heureux de revoir votre compagnon.

- Qui ?

- Quand vous serez debout, je vous emmènerai peut-être le voir...

J'aperçois Joyce se faufiler derrière le voleur. Il esquive sa tentative d'étranglement arrière en la fauchant d'une rotation de la jambe, lâchant mes doigts. Elle grommelle avant de se relever.

- Pourquoi toute cette barbarie ? demande-t-il, visiblement amusé. Ma proposition n'est-elle pas convenable ?

- Evelyn, y a-t-il des chances pour qu'il soit de mèche avec le Chef des Destructeurs ? interroge Kayla en gardant un œil sur l'Insaisissable tout en se tournant vers moi.

- Moi ? Il a beau m'avoir parlé de ses envies de conquête du monde, je n'ai pas accepté.

- Et comment peut-on vous croire ?

- Au lieu de perdre du temps, aidez-le !

Rachel et Rafael se tiennent toujours aux côtés d'Aaron, ma Mentor nous fusillant du regard.

- Est-ce qu'il existe un remède ou je ne sais quoi qui puisse le guérir ? me questionne-t-elle en serrant les dents.

J'ai beau chercher dans ma mémoire, rien de ce qu'il y a ici ne peut soigner la blessure de mon entraîneur.

- Il doit y avoir quelque chose. Cherchez !

Elle se remet sur pieds, soulève une partie de la toile, puis dévisage l'Insaisissable.

- Vous avez de l'eau ?

- Bien s...

- Alors donnez-en !

- Rachel, je ne suis pas certaine que de l'eau change quoi que ce... commence la mère de Rafael.

- Chut !

Le voleur apporte un seau d'eau et un linge qu'il dépose près du blessé. Ma professeure s'en empare et défait le bandage d'Aaron.

- Son épaule est bien mal en point...

- Taisez-vous.

Elle tente de nettoyer la plaie avec le matériel donné. Le linge ne fait qu'absorber un peu plus de sang. Elle inspire profondément, toute tremblante.

Rafael se redresse.

- Je propose que nous scindions notre groupe en deux : certains restent avec Maître, les autres vont chercher le compagnon dont...

- L'Insaisissable, interviens-je.

- ... dont l'Insaisissable a parlé.

Il évite soigneusement de croiser le regard des autres. Ce doit être dû à l'information que le Chevalier Noir et lui partagent sans que nous sachions de quoi il retourne...

- Je reste avec Mlle Ferry, prévient Zarah.

Elle échange un regard avec Rafael, et tous deux me jettent un œil avant d'acquiescer. Ils communiquent sans parler, maintenant ?

- Moi aussi, indique Angelo, le regard chagriné.

- De même, suit Elisabeth. Maître m'a aidée, je dois lui rendre la pareille.

Je cache mon étonnement. Elisabeth Bouvier, reconnaissante ? Elle doit vraiment être secouée...

Rafael hoche la tête.

- Maman, Nathalie, Joyce, Evelyn... allons-y.

Ses paroles sont fermes, mais ses yeux reflètent l'anxiété qui l'habite. Je lui prends la main sans faire attention à sa surprise.

- Insaisissable, emmenez-nous voir notre fameux compagnon.

Toujours aussi désinvolte, il sort de sa demeure, nous cinq sur les talons. Nous progressons dans la forêt, zigzaguant entre les arbres, évitant les tas de feuilles qui pourraient cacher un piège. Rafael resserre ses doigts autour des miens.

- Au fait, je ne suis qu'un intermédiaire, dit le voleur sans se retourner.

- Comment ça ?

- Le Chef voulait que vous vous reposiez un peu avant de continuer votre aventure...

Il s'arrête entre deux arbres et lève la tête, mon regard suivant le sien.

Un filet perché au-dessus de nous retient un homme qui se débat sauvagement. Un homme brun, portant des lunettes, qui devrait donner des cours de français au lieu d'être piégé dans le carnet de son ancienne élève...

- Cédric ! s'émeut Kayla en apercevant son visage.

- Kayla !

La main de mon ami d'enfance se crispe, tandis que Joyce attrape le bras du voleur.

- Vous aviez dit que vous n'étiez pas avec le Chef des Destructeurs !

- Non, demoiselle, affirme-t-il en se dégageant. J'ai dit qu'il voulait conquérir le monde et que je n'étais pas pour. En revanche...

Il montre la bourse à sa ceinture.

- Duper est mon second passe-temps. Surtout quand de l'argent est en jeu...

Il prend un couteau caché sous son manteau et l'envoie en direction de l'attache du filet. Elle se fend sans résistance, et M. Forestier chute devant nos yeux. Kayla se précipite près de lui et l'enlace avec force. L'Insaisissable rattrape sa lame en plein vol et la range à sa place habituelle.

- Malheureusement, le Chef a changé d'avis et ne vous laisse plus souffler...

Il claque des doigts, comme l'a fait précédemment le Chevalier Noir. La lumière nous engloutit alors que le portail se matérialise sous nos pieds.

- Nous nous reverrons très bientôt...

***

Cette fois-ci, j'arrive bien sur mes pieds, même si l'Insaisissable nous a pris par surprise. Reconnaissant le vallon dans lequel nous sommes, je devine l'histoire où il nous a envoyés.

C'est silencieux. Trop silencieux.

Un cri perçant jaillit dans notre groupe et je crois reconnaître celui de Nathalie. Je n'en suis pas sûre car l'arrivée de grandes créatures poilues, aux pattes fines et aux multiples yeux, retient toute mon attention. Pétrifiée d'horreur, je fais face à une mygale terrifiante. Quelqu'un me plaque au sol quand un liquide verdâtre, semblable à de la morve, s'échappe de sa gueule pour atterrir derrière nous.

- Ne bouge pas, m'ordonne Rafael en me lâchant.

- Nelson !

Joyce lance une épaisse branche à mon ami, qui l'attrape sans mal. Il s'éloigne de moi et donne de grands coups à la créature.

- Crève-lui les yeux ! lui conseillé-je.

Il s'exécute. La Gardienne/Créatrice me soulève par les aisselles et me traîne derrière un arbre.

- Je sais me battre, certifié-je. Ne me traite pas comme...

... une enfant.

Elle me considère l'espace de quelques secondes alors que le combat continue. Puis elle fouille frénétiquement le sol, à la recherche de quelque chose.

- J'ai besoin que tu détournes l'attention de la majorité des araignées vers toi pour qu'elles se regroupent. Je m'occupe de les abattre avant qu'elles ne t'approchent de trop près. Compris ?

J'acquiesce et récupère les pierres qu'elle me tend.

- Bonne chance, Meyer, me dit-elle.

Elle va se dissimuler entre les végétaux. Une inspiration plus tard, je cours, lance les pierres sur les mygales, leur crie dessus pour qu'elles s'intéressent à moi. La stratégie de Joyce fonctionne : elles se dirigent vers moi et l'hybride blesse, puis achève les arachnides. Kayla se bat comme une diablesse, frappant à mains nues les créatures avec M. Forestier comme assistance.

Une Nathalie effrayée apparaît devant moi et s'effondre dans mes bras. Rafael pose une main sur son épaule avant de me dévisager.

- Allez à l'écart. Evelyn, ne tente pas d'agir. Nathalie a besoin de toi comme soutien.

Avant qu'il ne rejoigne les autres, la petite amie de Zarah se tourne vers lui.

- Je suis désolée. Je ne peux pas. Les araignées...

- Ne t'inquiète pas, Nat. On te protège.

Il repart à l'attaque. Je profite du fait qu'aucune autre mygale ne nous ait repérées pour me retirer à la lisière de la forêt.

- Tu dois me trouver pathétique... gémit Nathalie, frissonnante.

Je la dépose en douceur contre un arbre. Elle se recroqueville et pose sa tête sur ses genoux, tandis que je m'accroupis près d'elle.

- Tout le monde a ses peurs, Nathalie. Ne te sens pas si "pathétique".

Nous gardons ensuite le silence, les bruits du combat atteignant nos oreilles.

- De quoi as-tu peur, Evelyn ?

Surprise, je ne réponds pas tout de suite. Puis je me mets à réfléchir. Qu'est-ce que je crains tant ?

- J'ai peur que mes parents souffrent en ce moment même, voire qu'ils ne soient plus de ce monde. J'ai peur de ne plus jamais retrouver Aaron, Rachel, Angelo et même Elisabeth. Si je revois Zarah, j'ai peur qu'elle ne me pardonne pas de me comporter comme une enfant. J'ai peur du sort de Kayla, M. Forestier, Joyce, Rafael, du tien, des Anciens, des autres Créateurs et Gardiens quand toute cette mascarade sera terminée.

Je baisse la tête pour qu'elle ne voit pas les larmes affluer sur mes joues.

- J'ai peur de ne pas être assez courageuse pour affronter tout ça et vous protéger.

Ça me soulage d'un poids d'en parler. Mais cette vérité pose sur mes épaules un fardeau bien plus lourd...

Les bras de Nathalie m'enlacent contre elle. Elle aussi pleure sur mon épaule.

- Tu n'es pas seule non plus, Evelyn. On se battra côte à côte. Je t'en fais la promesse.

Des bruissements s'élèvent. Je me sépare de la sœur d'Éric et me mets en position d'attaque et sèche mes larmes, prête à en découdre.

- Nous ne sssommes pas le danger, imbécccile ! On vient vous aider.

Un cobra serpente jusqu'à nous, traversant les buissons. J'ai un mouvement de recul avant d'avoir compris de qui il s'agit. Il - ou plutôt elle - disparaît en un clin d'œil, glissant sur l'herbe à la vitesse de l'éclair.

Comme aucun animal ne se montre après elle, j'observe l'affrontement. Mes équipiers sont peut-être bien entraînés, mais les araignées ont l'avantage du nombre...

Soudain, un rugissement s'élève. Deux grandes pattes brunes enserrent une mygale et ses griffes déchiquettent son corps sans pitié. Un écureuil grimpe à un arbre, se retrouve sur une large branche et débute sa séance de grignotage. Une paire d'ailes blanches vole jusqu'à lui. L'aigle royal picore l'endroit perpendiculaire de la branche pour accélérer le processus et cette dernière se brise, touchant deux mygales. Le serpent mord les créatures à plusieurs reprises, pestant contre le liquide verdâtre.

Je sens alors quelque chose de visqueux ramper sur ma jambe et baisse les yeux. Un petit escargot progresse lentement. Quand il s'aperçoit que je l'ai vu, il s'empresse de rentrer la tête dans sa coquille. De l'index, je la caresse pour lui montrer que je ne suis pas contre lui. Ses tentacules oculaires ressortent pour m'observer et je lui souris.

- Maintenant, à votre tour !

Je tourne la tête du côté de la voix, qui appartient à l'aigle royal. Je grogne avant de présenter ma main au mollusque. Il s'y installe timidement et j'enjoins Nathalie à me suivre. J'accours auprès de mes camarades au moment où l'écureuil se met sur la route de l'oiseau. Des dizaines de cadavres de mygales gisent autour de nous, et l'odeur putride me donne la nausée.

- Stop, Kilian ! Tu ne sais même pas s'ils sont nos ennemis !

- Même si ça me coûte de dire ça... Myriam a raison, renchérit le cobra au timbre féminin.

L'ours balaie le vallon du regard, paniqué.

- Où est Eliot ?

- Ici, dis-je simplement.

Je leur montre le petit escargot dans ma main, la seconde recouvrant mon nez. Le mammifère me remercie et invite le gastéropode à aller sur sa patte, ce que ce dernier fait sans tarder.

- Tu remercies nos ennemis potentiellement dangereux, Marwan ? demande l'aigle royal. Mais où as-tu la tête ?!

- Tu les trouves menaçants, toi ?

M. Forestier se racle la gorge.

- Pourrions-nous expliquer notre venue ?

- Mais je vous en prie, on attend que ça ! s'écrie le serpent.

- Le mieux serait de se retransformer en humains...

L'écureuil grandit pour se transformer en une adolescente à la chevelure rousse et aux taches de rousseur ; l'ours brun se métamorphose en un garçon aux yeux en amandes ; le cobra devient une fille à la peau sombre ; quand le jeune Asiatique dépose l'escargot au sol, un enfant blond aux yeux bleus fait son apparition. Seul l'aigle royal refuse de se montrer sous sa forme humaine.

- Qu'est-ce que vous fichez ? Ils connaissent votre physique, maintenant !

- Kilian, suis notre exemple ou je t'y force, déclare l'ancien cobra en plissant les yeux dans sa direction.

Avec un grognement, le majestueux oiseau se transforme en un grand jeune homme aux yeux perçants.

- Voilà, vous êtes contents ?

- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? interroge l'ancien serpent.

La dénommée Myriam - qui était transformée en écureuil - s'avance d'un pas vers nous.

- Je m'appelle Myriam. (Elle pose une main sur l'épaule du "chef" de la bande.) Voici Killian, Olivia, Marwan et Eliot.

Elle désigne tour à tour les humains représentant l'aigle royal, le cobra, l'ours brun et l'escargot.

- Nous représentons une équipe de sécurité appelée les Animals, explique Marwan. Les touristes ont tendance à venir ici, et nous tentons de garder l'équilibre entre l'espèce humaine et l'espèce animale.

- Clairement, vous n'avez pas l'air de touristes, lance Olivia en les considérant. Ni d'exterminateurs d'animaux. Les humains n'ont pas l'habitude d'arriver par un passage lumineux qui semble sortir de nulle part... Alors vous allez vous expliquer ?

- C'est une longue histoire, dit Kayla.

- Ça tombe bien. On a tout notre temps...

- Dirigeons-nous vers notre campement, décrète Killian dans un grognement.

Il prend la tête du cortège, tandis que la mère de Rafael débute son récit. Les autres ajoutent quelques détails, font part de leur opinion, et je peux enfin respirer sans avoir envie de vomir. Nathalie se remet encore de notre mésaventure, sa peau pâle reprenant tout de même des couleurs.

Quelques heures plus tard, quand le soleil se couche, nous parvenons enfin dans une clairière où nous attendent cinq tentes aménagées en cercle autour d'un bois déjà calciné.

- Votre histoire est des plus intéressantes, commente Marwan, tenant Eliot par la main.

Ayant seulement six ans, le petit garçon ne comprend pas la moitié de ce que nous avons raconté. Marwan doit tout lui réexpliquer avec des mots plus simples, ce qu'il fait en gardant une patience sans faille et une tendresse presque fraternelle.

- Des plus improbables... ajoute Olivia.

- Des plus idiotes, oui ! s'exclame Killian. Non, mais franchement ! Vous avez cru que vous me feriez marcher aussi facilement ?

- Tu peux bien te transformer en animal, Killian, interféré-je. Tu trouves ça moins fou que notre soi-disant mensonge ?

Le jeune homme préfère me tourner le dos et partir.

- Je vais chercher du bois pour le feu. Trouvez une version moins falsifiée.

- Excusez-le, intervient Myriam. Il est un peu...

- Grincheux ?

- Malpoli ?

- Asocial ?

Tout le monde se tourne vers Joyce.

- Quoi ? Je fais qu'exposer la vérité.

- Asseyez-vous, exige Olivia en jetant un regard noir à l'hybride.

- Si vous le souhaitez, ajoute Myriam, car c'est plus pratique pour manger.

Les autres Animals étant moins sceptiques que Killian, ils partagent leur dîner avec nous - sans oublier d'être vigilants pour autant -, constitué de brochettes de viande. Le jeune homme aux airs de leader revient avec des bûches sous le bras, balance les bouts de bois déjà utilisés entre les arbres et jette les nouveaux au milieu du cercle de pierres. Eliot s'emploie à les placer en tipi, alors que Marwan s'occupe d'allumer le feu.

Nous nous présentons chacun notre tour, le temps de terminer le repas.

- Quel est donc votre but, maintenant ? lance Olivia entre deux bouchées de viande.

- Pour une inexplicable raison, le Chef veut que nous combattions le ou les méchant(s) de chaque histoire, dit Nathalie avant de pincer les lèvres.

- Ah oui ? Bonne chance avec les Morts-Vivants sur la Colline ! nous souhaite Olivia. Ce sont les pires créatures que j'ai jamais vues. Les mygales, c'était de la rigolade !

Mes compagnons me lancent un regard qui semble dire : « T'abuses, Evelyn... ».

- Je sais exactement comment les battre. Me regardez pas comme ça.

Croisant le regard de Rafael, la question que j'avais refoulée s'impose à mon esprit. Mon ancien professeur de français intervient avant moi :

- L'un de vous sait ce que le Chevalier Noir voulait dire par "Nous avons eu ce que nous souhaitions" ? Rafael, par exemple... Puisque tu sais.

- Cédric... interpelle Kayla en le réprimandant d'un regard.

Le ton de M. Forestier doit irriter Rafael, car mon ami se lève subitement.

- Tu peux aller dans n'importe quelle tente pour dormir, l'informe Myriam, se mordant la lèvre inférieure.

- Merci, Myriam.

Le ton de Rafael est si froid et distant que j'en ai la chair de poule. Il se rend sans préambule dans la tente la plus proche de lui. Je me mets debout avant que Kayla ne le fasse à son tour.

- J'y vais, murmuré-je.

Je pose une main sur son épaule, puis me baisse pour passer sous la toile.

- Raf ?

- J'ai besoin d'être seul un moment, Evelyn.

- Au contraire, je pense que tu as besoin de quelqu'un auprès de toi.

Je m'assis en tailleur à côté de lui, couché vers le côté gauche de la tente. Ses yeux posés sur le toit de la tente dévient vers moi.

- Tu ne lâcheras pas l'affaire, hein ?

- Tu me connais, Rafael Nelson.

Il soupire.

- J'ai quelque chose à avouer, mais... c'est dur.

D'abord hésitante, j'approche ma main de la sienne et la prends délicatement.

- Je suis ton amie, Rafael. Je t'écouterai quand tu seras prêt.

Je m'apprête à me mettre à quatre pattes pour sortir de la tente, mais il resserre sa prise sur mes doigts.

- Je suis prêt. Je me lance si ma meilleure amie l'est aussi...

- Ta meilleure amie ?

- Ma meilleure amie d'enfance, oui.

Pour ponctuer ses propos, il porte ma main à ses lèvres et déposa un baiser sur le dos. Je détourne le regard, priant pour que la lumière du feu soit trop faible pour qu'il puisse percevoir la rougeur de mes joues.

- Passons, reprend-il.

Quand je le regarde de nouveau, un air sérieux prend possession de son visage.

- Je dois te montrer quelque chose. Tu comprendras bien assez tôt.

De sa poche, il sort un tout petit carnet. Il le feuillette jusqu'à s'arrêter à un dessin précis, représentant le coucher de soleil vu de l'extérieur de la maison de Loïc. Je fronce les sourcils.

- C'est très beau et très réaliste, Rafael, mais je ne vois pas ce que...

Soudain, je vois l'oiseau, ses mouvements si gracieux qui paraissent irréels. Les feuilles des arbres qui s'agitent sous la brise. Le soleil qui semble s'enfoncer un peu plus dans la terre chaque seconde.

Je dévisage Rafael, comme si c'était la première fois que je le voyais.

Rafael Nelson est un Illustrateur.

**************************************

Hello, everyone !

Un petit combat des familles contre le Chevalier Noir... Que cherchait-il à faire, à votre avis ?
On retrouve M. Forestier (ou Cédric) pris au piège ! Heureusement, il revoit sa chère et tendre Kayla
Voici les Animals (non, ce n'est pas une grosse faute de français, il faut le dire avec un accent anglophone 😂). Evelyn a une imagination débordante, non ? 😉
Et une petite révélation pour finir le chapitre (qui confirme ce que certain.e.s auront peut-être compris dans le chapitre 16). Pourquoi la mère de Rafael lui a-t-elle caché ça ?

Stella

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