Chapitre 11 : Angelo

Dormir. Il faut dormir... Angelo se tourne et se retourne dans sa couchette. Il s'étonne que les autres garçons du Camp, avec qui il partage le dortoir, ne viennent pas se plaindre, alors que le lit n'arrête pas de grincer. Mais, de toute évidence, ils ont d'autres préoccupations... ou sont tout simplement endormis. Ce qui est assez incroyable avec les récents événements survenus dans l'État.

Le jeune homme ne peut résister à l'envie d'appeler son camarade, couché sur le matelas d'à côté : il tourne la tête et...

- Ange, tu dors ?

Apparemment, Rafael a été plus rapide que lui...

- Comme un loire... répond l'Italien en lui adressant un clin d'œil - qui est beaucoup moins malicieux que d'habitude.

- Donc toi non plus, tu ne trouves pas le sommeil.

Rafael se débarrasse des couvertures qui le recouvrent.

- Oh... fait le rouquin en observant son ami. Une escapade nocturne serait-elle au programme ?

- Sauf si tu comptes rester ici...

- Je viens ! le coupe Angelo, continuant à murmurer pour ne pas réveiller les autres.

Rafael se lève agilement, sans un bruit, et l'invite à faire de même d'un geste de la main. Angelo se glisse en dehors de son lit et arrive debout, face à l'adolescent aux cheveux châtains. Ce dernier le scrute de la tête aux pieds.

- Sérieusement, Ange ?

Est-ce vraiment sa faute s'il aime autant les super-héros ?

- Toujours innover, Raf. Après Batman, Spider-Man.

Il réussit à arracher un sourire à Rafael et s'en félicite. Son ami ne mérite pas d'être triste.

Quelques secondes plus tard, Rafael reprend son sérieux et désigne la porte du dortoir du menton. Angelo et lui s'y rendent à pas de loup. Le jeune homme au pyjama Spider-Man ouvre la porte et serre les dents en s'attendant à l'entendre grincer. Mais c'est le silence absolu, et il pousse un soupir de soulagement en se rappelant que le Camp vient à peine d'être construit. Rafael sort en premier, le garçon au regard brun à sa suite. Celui-ci referme la porte derrière lui.

- Bon. C'est bien beau de s'évader du dortoir, mais où va t-on ?

- Au dortoir des filles.

Le léger sourire d'Angelo s'étire du côté droit.

- Tu sais que c'est très mal vu que des garçons aillent dans des lieux réservés aux filles ?

Rafael hausse les épaules.

- On va pas espionner les filles dans des vestiaires, que je sache. Juste rendre une petite visite à nos amies.

- C'est ce qu'ils disent tous !

Son ami secoue la tête, mais Angelo voit bien qu'il est amusé par son commentaire.

Les deux apprentis Gardiens mettent donc le cap sur le dortoir des filles. Quelques heures plus tôt, ils ont appris le plan du Camp par cœur, pouvant ainsi se repérer partout dans le bâtiment.

Ce petit écart de conduite rappelle à Angelo les centaines, voire les milliers de fois où il a fui sa maison pour se réfugier soit chez Rafael, soit à l'État Secret des Créateurs. Il n'a jamais été à l'aise chez lui - même s'il n'appellera jamais ça "ma maison" - et s'est toujours senti un peu orphelin. Sa mère l'a quitté dès la fin de l'accouchement et son père n'a jamais été très proche de lui, trop occupé à flirter avec des femmes et à les mettre dans son lit pour les jeter dehors le lendemain. Certaines nuits, ce dernier réclame à son fils de s'en aller pour pouvoir profiter pleinement de son stratagème sans être dérangé. Mais la plupart du temps, c'est Angelo qui part de son propre chef.

Parfois, le rouquin se demande comment ils peuvent être de la même famille. Il avait même l'espoir que Flavio Casalta n'était peut-être pas son vrai père. Impossible, le coureur de jupons avait déjà fait un test de paternité dès sa naissance. Et il s'était avéré positif. Depuis, son géniteur fait comme s'il était une vraie figure paternelle, clamant à qui l'écoute qu'il a éduqué seul le garçon qui lui sert de descendant. Alors qu'il ne fait pas la moitié des choses qu'un père ferait...

Il sait très bien que Rafael ressent ce vide, cette impression qu'il manque quelqu'un dans sa vie, tout comme lui. Il l'a bien remarqué quand il traînait avec lui, l'accompagnant souvent chez lui. L'adolescent à la carrure athlétique a une mère aimante, mais aucun géniteur depuis ses cinq ans. Angelo se souvient avoir perçu un goût amer dans sa bouche en rencontrant Kayla Nelson. Ce fut bref, mais la jalousie fut si vive qu'il en garde la marque. Il ne déteste pas son ami, mais lui aussi voudrait avoir une figure maternelle qui lui prépare ses repas, le câline sans se préoccuper de son avis...

- Ange ? Ca va ?

L'intéressé sort de ses pensées et croise le regard de Rafael.

- Je vais toujours bien, Raf !

Mensonge. Et son camarade a l'air de l'avoir remarqué, vu la mine suspicieuse qu'il arbore. Rafael a dû apprendre à le sonder pour deviner si facilement ses émotions, alors qu'il tente de les cacher... Mais l'enjouement habituel d'Angelo n'a jamais été une façade. Il est heureux d'appartenir à une communauté - secrète, qui plus est. Il est heureux d'avoir des amis sur qui compter. Et il est heureux d'être en vie...

« Pour l'instant. » souffle une petite voix dans sa tête. Il la chasse en secouant imperceptiblement la tête, se concentrant à nouveau sur son objectif : atteindre le dortoir des filles sans se faire repérer par les surveillants.

Les deux garçons continuent de progresser dans le couloir principal et se dissimulent derrière chaque angle quand ils entendent un bruit suspect. Angelo s'apprête à repartir de plus belle après s'être caché une première fois à l'angle le plus proche de la pièce recherchée, mais Rafael l'attrape par l'épaule pour le garder avec lui dans l'obscurité. Il comprend sa réaction en apercevant plusieurs ombres sur le mur opposé.

- Comment pouvez-vous...

- Je peux tout t'expliquer.

- Expliquer quoi ? Il n'y a rien à expliquer !

Un sourire se pose sur les lèvres d'Angelo en reconnaissant ces trois voix féminines. Il sort à découvert sans prévenir Rafael et se plante près du trio de jeunes filles. Zarah écarquille les yeux, alors que Nathalie et Evelyn ne semblent pas surprises de le voir là et se foudroient du regard une seconde après.

- Alors comme ça, on enfreint le règlement ? taquine Angelo en croisant les bras.

- T'es mal placé pour dire ça, contre Nathalie en tournant ses yeux plissés dans sa direction.

- En fait, on est deux.

Rafael rejoint le groupe et esquisse un sourire.

- Quelqu'un m'explique pourquoi vous êtes là ? interroge Zarah en observant Angelo et Rafael à tour de rôle.

- Quelqu'un m'explique pourquoi Angelo a un pyjama Spider-Man ? ajoute Nathalie en le regardant de la tête aux pieds.

- Quelqu'un m'explique pourquoi je retrouve Zarah et Nathalie en train de se rouler des pelles dans le couloir ?! s'indigne Evelyn en serrant les poings, semblant user de toute sa volonté pour ne pas crier.

Malgré le peu de lumière dont dispose Angelo, il jurerait avoir vu les joues de la brunette s'être empourprées, ne serait-ce qu'une nanoseconde. Il rit intérieurement. A-t-elle rougi car elle est furieuse ou parce que ses yeux se seraient accidentellement baissés vers le buste dénudé de Rafael ? Il se promet de la taquiner à ce sujet plus tard... Si le moment de plaisanter arrive un jour.

- Réponse une : on voulait vous rendre une petite visite, répond Angelo en comptant sur les doigts de sa main. Réponse deux : mon pyjama est tellement classe que les vôtres ne lui vont pas à la cheville. Réponse trois : on n'a plus le droit de se bécoter en secret, maintenant ?

Il comprend alors la perplexité d'Evelyn et sa bouche se met à former un O. Il échange un regard avec les deux Gardiennes.

- Elle est pas au courant ?

- Elle est là et elle attend une réponse !

Zarah croise le regard de la Créatrice.

- Evelyn, je... je...

- Dis-lui, l'enjoint Nathalie d'une voix tendre - elle est toujours plus douce avec Zarah. Enfin, si tu en as envie...

- C'est trop tard, de toute façon, hein ? fait Zarah avec un sourire contrit.

Elle prend une grande inspiration, puis plante ses yeux dans ceux d'Evelyn.

- Evelyn, ça fait longtemps que je veux te le dire, mais je n'ai jamais trouvé le courage de le faire... Mais il faut bien que tu le saches un jour. Alors, voilà : Evelyn, je suis lesbienne.

Silence. Le menton de Zarah se relève, le regard dans ses yeux se fait plus déterminé.

- Et si ça te dérange, eh bien... eh bien, nous deux, on n'est plus faites pour être amies.

Les sourcils d'Evelyn se froncent.

- Oh. Je... je suis désolée de t'avoir obligée à le dire comme ça.

- C'est... c'est tout ? Ça ne te gêne pas ? s'étonne la jeune fille à la peau brune, les yeux écarquillés.

- Non. Ce qui me dérange, c'est que tu ne m'aies rien dit sur votre relation. On est censées tout se dire, non ?

- Je suis désolée. Mais j'avais peur...

- Je suis ton amie, Zarah, déclare Evelyn, adoucie. Bien sûr que je ne vais pas te rejeter pour ça.

Zarah entoure la jeune fille des bras.

- Merci... l'entend murmurer Angelo.

Quand la Congolaise s'écarte d'Evelyn, Angelo peut voir des larmes de soulagement perler au coin de ses yeux et un énorme sourire qui s'étend sur son visage. Evelyn se tourne vers Nathalie.

- Je croyais que tu voulais éloigner Zarah de moi pour l'avoir pour toi toute seule...

- C'est pas vrai ! (Réprimandeur, Rafael lui donne un petit coup de coude.) Enfin, pas totalement. Je suppose que l'amour rend jaloux... Je me suis pas sentie en sécurité avec toutes les fois où Zarah parlait de toi...

Zarah dévisage sa petite amie en clignant des yeux. Puis, remise de sa surprise, elle l'embrasse sur la joue. Angelo sourit.

- Tu es l'unique personne qui a mon cœur, d'accord ?

- D'accord, souffle Nathalie, l'air plus que jamais amoureuse.

Cette dernière et Evelyn finissent par échanger un signe de tête. Ont-elles conclu une trêve, voire signé un pacte de paix silencieux ? Angelo en a bien l'impression. Zarah semble irradier de bonheur, les deux autres adolescentes ont enterré la hache de guerre et le soulagement de Rafael est bien visible.

Soudain, Angelo perçoit des bruits de pas. Étant très légers, ils doivent appartenir à une personne dotée d'une grande agilité.

- Je savais bien que j'avais entendu du bruit.

Le petit groupe se tourne vers le couloir de droite comme un seul homme. Devant eux se tient Rachel Ferry, les bras croisés, qui n'a pas l'air très contente de les voir là...

- Mlle Ferry ! Que faites-vous ici en cette heure si tardive ? interroge Angelo d'un ton révérencieux.

- Je vous retourne la question.

Le rouquin n'a pas besoin d'une ouïe supersonique pour entendre les pas lourds dans son dos. Les adolescents font encore volte-face et doivent lever la tête pour croiser le regard de leur Maître.

- Je vous re-retourne la question, fanfaronne Angelo.

- Nous avons le droit d'être dans les couloirs à cette heure-ci, signale Rachel. Pas vous. (Elle jette un œil à Aaron.) Je m'en occupe.

Aaron se redresse, comme pour mieux dominer les apprentis Créateurs et Gardiens.

- N... non, je m'en occupe.

L'hésitation est si faible que même les oreilles d'Angelo ont du mal à la percevoir. Il dévisage son Mentor et sourit en découvrant la direction de ses yeux. Rachel portant des habits plutôt légers, l'entraîneur peut facilement détailler les parties dénudées du corps de la jeune femme, particulièrement ses jambes... Angelo hausse un sourcil taquin. On reluque, Maître ?

- Allez, retournez dans vos dortoirs, enchaîne Aaron, sorti de sa contemplation maladroite. (Rachel, qui n'a rien remarqué, lève les yeux au ciel.) Et quand je dis "dans vos dortoirs", c'est "dans vos dortoirs respectifs".

Il lance un regard appuyé à Angelo. Celui-ci prend un faux air indigné.

- Pourquoi c'est toujours moi qu'on regarde dans ces cas-là ?!

- Parce que c'est toujours toi qui as tendance à faire des bêtises, rétorque Nathalie en levant les yeux au ciel.

- Et qu'ça saute ! siffle Mlle Ferry en désignant la porte du dortoir des filles.

Evelyn, Zarah et Nathalie s'y dirigent à la queue leu leu, Angelo juste derrière elles. Alors que la troisième jeune fille passe le battant, Rachel le foudroie du regard.

- Tu es une fille ? C'est nouveau.

- Viens, Ange, dit Rafael en attrapant le bras de son ami. On va dormir.

Le rouquin se laisse faire et tourne le dos aux deux Mentors en se mettant en route, son camarade à ses côtés. Il jette un œil au-dessus de son épaule et voit les adultes se toiser avec dédain. Il regarde à nouveau devant lui et se penche à l'oreille de Rafael.

- Tu penses qu'ils vont se jeter l'un sur l'autre ?

- Sans doute. Pour la raison, j'ai ma petite idée.

Angelo lui donne une bourrade dans le dos.

- Je ne te savais pas aussi obsédé, Rafounet !

- C'est toi qui as commencé, je te signale !

Ils échangent un sourire avant de pénétrer dans leur dortoir. Chacun rejoint sa couchette en silence et se glisse sous les couvertures.

- Bonne nuit, Ange.

Le sourire d'Angelo s'étire jusqu'aux oreilles. Peut-être arrivera-t-il à mieux dormir, ce soir.

- Bonne nuit, Raf.

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Et voici un petit chapitre avec le point de vue d'Angelo ! J'aime bien quand on en apprend plus sur les personnages secondaires 😊 Vous l'aimez bien ? ❤

On se voit au prochain chapitre !

Stella

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