Un nouveau monde... encore. Deuxième partie - Théo
J'avais l'impression d'avoir acquis un super pouvoir. Les elfes, ça court super vite. J'étais déjà rapide au naturel, mais ça, c'était hallucinant. Malgré la situation, le fait que Branda était peut-être responsable de la mort de ma mère et que j'étais là justement pour tenter de le découvrir, j'étais incapable de refouler l'éclat de rire qui me montait à la gorge.
Trois secondes, ce fut le temps nécessaire pour parcourir la centaine de mètres qui me séparait de l'ouverture du dôme, continuer mon chemin dans un décor urbain et, sous le regard intrigué des piétons, de me cacher au coin d'un immeuble. Les autres arrivèrent ce qui me sembla être une demi-heure plus tard.
— Bon sang, Théo, t'as le feu aux fesses, dit Peter en s'appuyant sur ses genoux pour reprendre son souffle.
Je l'ignorai, passant la tête au coin de ma cachette pour observer notre nouvel environnement. Au loin, je voyais encore le dôme avec notre maison à l'intérieur. Un trou y était toujours découpé et il n'en faudra certainement pas longtemps avant que Branda ne s'en rende compte. Elle allait rappliquer rapidement.
— C'est quoi, ton plan ? demanda Amy.
Elle avait replié ses ailes derrière son dos, les pieds bien au sol. Elle s'appuyait contre ma jambe pour regarder dans la même direction.
— Quand Branda arrivera, on restera caché. Et on la suivra.
Je me retournai pour faire face aux deux autres, Xilena et Peter. Un Peter d'un mètre vingt avec des poils aux mentons me donnait envie d'exploser de rire, mais je n'eus qu'à penser à ma mère pour y résister.
— On va faire deux groupes. Comme ça, on pourra la suivre de deux angles différents. Et si l'un de nous se fait coincer, les autres pourront toujours continuer.
Ce n'était qu'un quart de mon plan, mais je savais qu'ils ne seraient pas d'accord avec moi si je leur expliquais. Je préférai attendre au dernier moment.
— Si on se fait coincer ? répéta Xilena. Et qu'est-ce que tu crois qu'elle va nous faire ? Elle est toute puissante !
— Elle est surtout responsable de nous. Elle ne va pas nous tuer au premier soupçon ! Vous n'aurez qu'à dire que c'est ma faute... je vous ai monté le crâne avec toutes sortes d'idées extrêmes.
— C'est même pas un mensonge, signala Amy.
Je lui lançai un regard torve, avant de reporter mon attention au dôme, loin devant. Toujours aucune trace de Branda.
— Tu viens avec moi, Amy. Et vous deux, dis-je avec un signe de doigt pour Peter et Xilena, restez ensemble. Si on se perd, revenez ici... (Je sortis mon téléphone de ma poche pour vérifier l'écran, avant de le remettre où je l'avais pris.) À seize heures, on va dire. J'ai pas de réseau, alors ça m'étonnerait qu'on puisse communiquer. Tout est clair ?
Personne n'osa répondre, se contentant de signe de tête affirmatif. J'eus un petit sourire en coin, repensant à mes amis — les vrais — que j'avais laissés en plan depuis hier. Avec eux aussi, j'étais le chef, et on ne discutait pas quand je lançais des ordres. C'était inné chez moi.
— Restez discret, dis-je pour dernière consigne.
Je reportai mon attention aux décors urbains devant moi. En dehors des passants avec des apparences quelque peu singulières, il y avait très peu de différence à une grande ville tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Mais encore là, il valait mieux ne pas lever la tête pour conserver cette impression. Les voitures volantes et les feux de circulation encrés à vingt mètres au-dessus du sol donnaient une drôle de sensation.
Il y avait beaucoup de piétons. Si l'heure était la même ici que dans notre monde, ils étaient tous en route pour le boulot ou l'école. Je voyais des gens aux oreilles d'elfes et costume professionnelles avancer d'un pas décidé sur les trottoirs et des petites filles avec des ailes dans le dos planer au-dessus de leurs têtes. Je remarquai qu'aucune ne semblait être des hommes – ou à la limite, des garçons. Peut-être que les fées fonctionnaient de la même façon que les sirènes ; il n'y avait que des femelles. Comment diable se reproduisaient-elles ?
Concentre-toi. Ce n'était pas le moment de songer à l'accouplement des créatures fantastiques, je n'étais là que pour guetter l'arrivée de Branda. Mais c'était difficile de ne pas laisser mes yeux vagabonder un peu partout. Autant pour tous ces petits détails qui me rappelaient que cette ville n'avait rien à voir avec ce que j'avais toujours connu, autant pour ma nouvelle vision d'elfe. En réalité, ma vue était plutôt basse. J'étais à la limite d'avoir besoin de lunette. Mais moi, porter des lunettes, il en était hors de question, et des verres de contact me répugnait. Maintenant, tout était clair et précis. Je pouvais même à faire un zoom en me concentrant. J'apercevais sans problème les minuscules insectes qui volaient à quelques mètres au-dessus du sol, tels les mouches et les papillons. Sur l'épaule d'un passant à plus d'une vingtaine de mètres, un tatouage en forme de trèfle à quatre feuilles.
J'en venais presque à regretter mes soupçons. J'aurais pu laisser tomber, revenir à la maison et dire « je suis parano ; Branda n'y est pour rien », uniquement pour continuer à faire des vœux et, surtout, souhaiter avoir cette vision d'elfe pour toujours. C'était bien plus efficace qu'un traitement au laser.
— Théo, tu fais quoi ?
Je sursautai en me retournant vers Amy. J'en avais presque oublié leurs présences, à elle et aux autres. Je secouai la tête pour reprendre mes esprits puis reportai mon attention au dôme. Je remarquai alors que quelqu'un était tout juste devant l'entrée, les poings serrés. Elle nous tournait le dos, mais c'était facile d'y reconnaitre Branda. Sa peau bleue aux motifs turquoise et ses cheveux noirs ne pouvaient me tromper. Elle porta un appareil près de son visage pour parler, et encore une fois, malgré la distance, j'entendis tout aussi clairement que si elle était à côté de moi :
— Le dôme est vide, ils sont tous sortis... Oui... Je sais... Oui, c'est ce que je fais ! cria-t-elle rageusement au téléphone. Et vous, envoyez les chiens.
Elle appuya sur une touche et l'appel prit fin. Elle grogna, rangea le cellulaire dans une poche de son jean et fit demi-tour pour scruter l'horizon. Je me repliai aussitôt derrière ma cachette, entrainant Amy avec moi. Le regard de Branda passa au-dessus de nous sans nous remarquer. Elle souffla longuement entre ses lèvres en une vaine tentative de se calmer, puis tourna les talons et continua son chemin sur les trottoirs de la ville.
— Peter et Xi, allez-y.
— Quoi ? Pourquoi nous ? s'exclama Peter.
— Parce que toi, y'a aucune chance qu'elle puisse te reconnaitre. Et Xi, tu es invisible !
Peter et Xilena haussèrent les épaules d'un même mouvement, n'ayant aucun argument contre mon idée. S'ils ne voulaient pas participer, au départ, ils n'avaient qu'à ne pas venir.
— Amy et moi, on va faire le tour pour la suivre d'un autre angle. N'oubliez pas ; si on se perd, on se retrouve ici à seize heures.
— Oui, chef ! fit Peter d'un air sarcastique.
Je lui lançai un regard noir et il baissa les yeux en marmonnant un désolé. Je préfère ça.
Enfin, Peter et Xilena sortirent de la cachette, suivant à distance les pas de Branda. Xilena claqua des doigts et devint aussitôt invisible.
— Viens, Amy. On va passer par l'autre côté, dis-je en pointant le fond de la ruelle.
Elle hocha la tête et s'envola pour se mettre à ma hauteur. Je courus la trentaine de mètres en trois secondes, puis observai le nouveau décor. Je me devais de me faire des points de repère pour retrouver mon chemin ensuite, mais j'avais l'impression que ce ne sera pas un problème. L'elfe que j'étais présentement avait, je le sentais, un excellent sens de l'orientation.
J'arrivai facilement à me représenter cette ville comme un quadrillé. Il suffisait de savoir quelle direction nous voulions prendre et de ne pas oublier le nombre de fois qu'on tournait. Amy venait à peine de me rattraper, posant une main sur mon épaule. Je lui fis un sourire, puis continuai à courir. Amy râla avant de me suivre en hauteur, au-dessus de la tête des passants qui ne semblait même pas la remarquer. Eux, ils voyaient des fées partout, tout le temps. J'imaginais en revanche ce que ça donnerait de recréer la scène chez nous ; l'incompréhension, la peur. La police qui se ramène. Le journal télévisé avisant qu'un extraterrestre avait été aperçu dans nos rues.
Ce serait drôle. Il faudrait essayer.
— Théo ! Ralenti, bordel ! hurla Amy, loin derrière.
J'obéis à contrecœur. Ça ne me mènerait nulle part de la semer. Je me tournai pour voir sa progression, telle une fée clochette en jean et t-shirt rose au-dessus des passants elfe — d'apparence très humaine, sauf pour les oreilles et les yeux —, les trolls – très grand, peau verte et défense de sanglier —, les nains — tout droit sortie d'un Tolkien, avec la grosse barbe et le nez bien rond —, et d'autre encore plus petit que les nains, mais plus svelte aussi. Des lutins, peut-être ?
— T'es rapide ! souffla Amy en me rattrapant enfin.
— Je sais, dis-je en souriant. J'adore. Mais il faut continuer.
— Va plus lentement ou je vais te perdre.
Je hochai la tête et repris ma course, ou plutôt mon jogging. J'avais l'impression de trottiner à vitesse d'escargot et je remarquai même d'autres elfes m'observer du coin de l'œil en pouffant. Apparemment, un elfe qui court lentement, c'est mal vu.
Après quelques centaines de mètres parcourues, je m'arrêtai à un nouveau croisement et tournai à gauche. Je tentai de me faire un peu plus petit pour mieux me cacher de Branda qui pourrait surgir n'importe quand. Même si j'étais quelqu'un de grand, j'étais plutôt sous la moyenne selon les critères des elfes. J'osais espérer que je passais inaperçu parmi eux.
— Au sol, Amy, dis-je sans décrocher mon regard de la rue devant moi.
Elle obéit sans rechigner. Sa tête était à la hauteur de mes hanches et j'avais l'impression d'être accompagné d'une enfant de cinq ans. C'était plutôt déstabilisant, surtout en sachant qu'en réalité, Amy était plus vieille que moi de deux mois. (Comment je le sais ? Il faudra éclaircir le mystère plus tard...)
Nous étions face à la rue, au centre du trottoir. Les gens — ou créature, qu'importe — nous contournaient en râlant. Devant nous, les immeubles se succédaient, rappelant étrangement notre propre monde. C'était si ressemblant... moi qui avais toujours cru que, s'il existait un endroit peuplé d'elfes et de fées, c'était forcément dans un genre médiéval... Dans le fond, pourquoi n'auraient-ils pas droit d'évoluer, eux aussi ? Et surtout, pourquoi nos mondes étaient-ils divisés ? Pourquoi avait-il tant d'espèces humanoïdes ici, et une seule chez nous ? C'était un peu injuste, non ?
Peut-être était-ce le même principe que Madagascar. Un lieu isolé créait des espèces particulières... comme le aye-aye.
— Théo ! Elle est là !
Je reportai mon attention au moment présent pour voir Branda sur le trottoir d'en face. J'arrivai d'ici à apercevoir son visage et, avec ma super vision, de zoomer sur celui-ci. Elle semblait avoir une peau étrangement douce et soyeuse... et une envie de meurtre au fond de ses yeux jaunes.
Je serrai les poings. Si elle était vraiment une meurtrière, il y avait un réel danger dans ce que nous faisions. Peut-être qu'elle allait nous tuer, tout autant qu'elle avait tué ma mère.
Je jugeai préférable de ne pas partager mes pensées avec Amy.
Je lui pris la main — uniquement pour éviter qu'on se perde — et l'entrainai avec moi sur les trottoirs. Nous étions un peu devant Branda et je devais continuellement me retourner pour m'assurer de la direction qu'elle prenait. Nous la suivîmes ainsi sur près de cinq-cents mètres pendant lesquelles Amy ne fit que râler et trébucher, jusqu'à ce que Branda disparaisse derrière les portes noires d'un grand immeuble de verre.
Ça, ce n'était pas dans mon plan. J'avais prévu la coincer dans un endroit à découvert... comme une ruelle sombre.
— On fait quoi, maintenant ? demanda Amy.
— Il va falloir improviser...
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