Un nouveau monde... encore. Dernière partie - Xilena

Après nous être séparés de Théo et Amy, Peter et moi avions pris la chose comme des vacances. On se promenait simplement sur les trottoirs d'une ville inconnue, tels des touristes sous couvertures. Pour un peu, je me serais crue dans un film d'espionnage.

Peter était un peu devant moi, lui-même suivant Branda, parfaitement reconnaissable au loin par sa peau bleue. Mais nous deux, on ne risquait pas de se faire repérer. Moi, au moins, j'étais totalement invisible. J'avançai dans le sillage de Peter pour éviter de me faire entrer dedans, mais c'était difficile ; je devais constamment regarder autour de moi, comme une paranoïaque. Peut-être que j'aurais mieux fait de faire comme les autres et de me changer en je ne sais quelle créature de ce monde. Ç'aurait été moins compliqué.

Par contre, je n'enviais pas Peter, en ce moment. Malgré ses muscles et sa mâchoire parfaitement carrée de top-modèle, il avait la grandeur, la barbe et le nez empoté des nains comme on en voit dans le Seigneur des Anneaux. C'était un mélange des deux qui, après réflexion, lui allait étrangement bien — surtout si le but était de rire de lui.

Les femmes naines qui croisaient notre chemin semblaient le trouver à leur gout aussi. Peter, lui, rougissait sévèrement en évitant leur regard. Elles étaient pour la plupart petites et rondelettes, avec des poils assez imposants au menton.

Pauvre Peter !

Soudain, il s'arrêta de marcher. Je le percutai avant de me rendre compte de ce qui se passait, puis posai mes mains sur ses épaules, à hauteur de mon ventre. Je me sentais un peu comme une maman et son enfant.

— Pourquoi tu t'arrêtes ? murmurai-je à son oreille.

Je ne voulais pas éveiller les soupçons des piétons avec une voix sortie de nulle part. Peter, suivant ma logique, se couvrit la bouche avant de répondre :

— Branda vient d'entrer dans cet immeuble. Qu'est-ce qu'on doit faire, tu croire ? On va quand même pas la suivre là-dedans. Elle nous verrait tout de suite.

Peter leva les yeux vers moi, ou plutôt où il estimait que je sois. Il fronça les sourcils.

— C'est une mauvaise idée. On va pas se mettre en danger pour les caprices de Théo !

— C'est vrai...

Mais je pris tout de même le temps de réfléchir à cette idée. Pas pour le simple plaisir — façon de parler — d'obéir à Théo, mais plutôt... dans une envie de sentir le danger. Tant qu'à être dans un nouveau monde, pourquoi ne pas en profiter ? Aucun parent pour me frapper si je fais un truc de travers, aucune mauvaise note à récolter. Tout ce qu'il peut m'arriver de pire est plus ou moins impossible ici.

Et en plus, j'étais invisible. À quelques lettres près, on pouvait dire que j'étais aussi invincible.

— C'est vrai, tu as raison, dis-je avec plus de conviction. On devrait peut-être retourner au point de rendez-vous et y attendre Théo et Amy. On leur dira qu'on a perdu sa trace.

— Oui, tiens. On va faire ça.

— Passe devant, je te suis.

Peter hocha la tête et s'engagea sur le sens inverse, fendant difficilement la foule de piétons. Et moi, je restais bien campée sur mes pieds, le regardant s'éloigner avec une petite pointe de regret. Vraiment, une toute petite pointe minuscule. Et rapidement, Peter s'éclipsa de ma vue.

Sans la contrainte de mes parents, je découvrais une nouvelle facette de ma personnalité. Comme le disait si bien Austin Power : J'aime vivre dangereusement. Il était temps de profiter de ma liberté.

Slalomant entre les passants, réussissant miraculeusement à ne toucher personne, j'arrivai devant la porte du bâtiment derrière lequel Branda avait disparu. Elle était noire et brillante, comme si elle avait été extraite d'un énorme bloc d'obsidienne. Le reste de l'édifice était un peu plus classique, une simple tour de verre comme il y en avait plein en arrière-plan. Elle devait bien faire entre dix et quinze étages. En dehors de sa porte d'obsidienne, elle n'avait aucun signe distinctif.

Quelqu'un passa devant moi, un troll à en juger de sa peau verte, et ouvrit la porte pour entrer. Je me faufilai dans son sillage pour pénétrer dans un grand hall lumineux, avec une réceptionniste dans un coin, des fauteuils pour patienter dans un autre, et une petite foule au milieu. Il y avait quelques rares trolls, elfes ou nains, mais la majorité semblait composée de fée qui voletait à différentes hauteurs, et quelques djinns à la peau bleue.

J'eus peur pendant un instant de ne savoir trouver Branda parmi ses semblables, mais par chance, je réussis à repérer sa longue queue de cheval noire, au loin, se dirigeant vers un ascenseur. Je courus pour la rattraper, ralentis par les autres occupants du hall. Des têtes se retournaient, se demandant pourquoi ils avaient senti quelque chose passer près d'eux, mais je ne perdais pas de vue mon objectif. C'était mon premier jour dans la vie d'une super espionne, je ne voulais pas manquer à ma tâche !

J'arrivai une seconde avant que les portes de l'ascenseur ne se referment. Sur la panique, j'avais foncé tellement vite que je m'engouffrai dans la cage et m'aplatis contre le mur du fond, produisant un bang qui étonna les quelques passagers autour de moi, dont Branda. Tous se lancèrent des regards intrigués, l'air de s'accuser l'un l'autre du bruit, puis abandonnèrent la cause. Je me fis discrète dans mon coin, les observant un après l'autre. Deux djinns, une fée et un lutin. Et moi, la petite humaine invisible.

Pourquoi je fais ça, déjà ?

L'ascenseur se mit en branle, monta quelques étages et s'ouvrit sur un couloir qui s'étendait de gauche à droite. Droit devant, il y avait une salle fermée par des portes de verre qui laissaient facilement voir tout ce qu'il y avait à l'intérieur, soit un grand bureau de conférence. Sur la dizaine de présents, tous étaient des djinns.

Branda s'engagea dans cette direction et je me précipitai à sa suite, aussi silencieuse qu'une ninja. Elle entra dans la pièce et s'avança jusqu'au-devant pour faire face à tout le monde, l'air sérieuse comme si elle allait annoncer l'apocalypse. Moi, j'allai dans le coin opposé, tout au fond. Alors seulement, je me rendis compte qu'il n'y avait pas seulement des djinns ; le long d'un des murs, quatre chiens étaient assis ou couchés. C'était tous des bergers allemands, mais leurs yeux semblaient étrangement rouges, comme ceux des rats. L'un leva la tête vers moi et renifla dans l'air à plusieurs reprises, puis émit un petit jappement plaintif. Le djinn qui était le plus près lui lança un simple regard et il se calma.

Ils me rendaient nerveuse. Branda n'avait pas dit quelque chose à propos de chiens, tout à l'heure ? Et s'ils allaient nous repérer et nous mordre ? Ou nous tuer ? On sait jamais ! Ceux-là avaient l'air bien élevés et dociles, mais à quel ordre savent-ils obéir ?

Et il y avait celui qui me cherchait encore de ses yeux rouges et menaçants. Qu'est-ce que j'étais venue faire ici, au juste ?

Je lançai un regard angoissé vers la porte de verre, tout juste à côté de moi. Elle était fermée, et si je l'ouvrais, tous ses djinns allaient se rendre compte que j'étais là. Et les chiens aussi, ils vont s'en rendre compte. Et je ne donnais pas chère de ma peau.

— Vas-y, Branda, fit un homme – ou, du moins, un djinn mâle. Raconte-nous ce qu'il s'est passé !

Branda prit une grande inspiration avant de commencer son discours. Elle dévisagea tous les présents, puis baissa la tête d'un air coupable.

— Mes protégés sont sortis de leur dôme et ils se promènent dans la ville. Ils doivent être bien cachés, puisqu'aucun humain n'a été aperçu...

— Ne détourne pas le sujet ! s'exclama un autre. C'est très grave, ce qu'ils ont fait, et il faut les punir.

Le djinn, un personnage bedonnant dans un costume trois-pièces et une épaisse moustache sous son nez bleu, frappa du poing sur la table, ce qui ne réussit qu'à énerver les chiens qui lancèrent quelques jappements. Branda porta une main à ses tempes, avant de reprendre :

— Il n'est pas nécessaire de tous les punir. Je sais qu'ils ne sont pas tous responsables ; c'est Théodore qui leur a partagé ses idées étranges.

— Ah, le punk, fit encore le gros. J'arrive pas à comprendre pourquoi tu l'as choisi, celui-là. Il ne le mérite clairement pas.

— Il a vécu une tragédie, c'est suffisant ! D'autres ont eu leur chance pour moins que ça !

Le djinn ne répliqua rien immédiatement, il croisa les bras d'un air renfrogné. Ce fut une femme qui prit la parole dans le silence qui se prolongeait. Elle ressemblait à Branda en plusieurs points, mais la pointe de ses cheveux noirs était teintée de vert et un maquillage pas très discret embellissait son visage. Même ses lèvres brillantes étaient peinturé en vert.

— Tu as raison sur ce point, Branda, mais tu oublies qu'il y a des antécédents dans sa famille. Et qu'habituellement, on ne laisse pas passer ça ! Ça occasionne toujours des problèmes. Ce Théodore n'avait pas sa place sous le dôme. Il faut l'extraire. Qui est d'accord avec moi ?

La femme dressa une main en l'air et tous les autres djinns assis à la table l'imitèrent sans hésiter une seule seconde. Branda sembla vouloir dire quelque chose pour sa cause, puis secoua la tête et baissa les yeux.

— Très bien. On les retrouve, on extrait Théodore. Pour les autres, juste un avertissement, d'accord ? On ne leur fait aucun mal.

— Bien sûr, dit un homme d'une voix profonde. (Il se leva de sa chaise, lissa son costume et se tourna vers les chiens.) À vous de passer à l'action, mes toutous !

Branda se mit à se ronger les ongles alors qu'il donnait un objet à renifler pour chaque berger allemand. Pour l'un d'entre eux, une brosse sur laquelle pendaient de longs poils noirs. Mon cœur s'arrêta de battre quand j'y reconnus mes propres cheveux, et le chien pencha la tête vers moi. Il plissa ses yeux rouges et s'exclama :

— Y'en a un ici ! Il est contre la vitre !

Il ne m'en fallut de peu pour tomber dans les pommes. J'en reviens pas, le cleb vient de parler! Le temps que je m'en remette, plusieurs djinns s'étaient déjà précipités vers moi. En criant de panique, je me ruai vers la porte, mais l'un arriva avant moi et je le percutai de plein fouet. Ses mains bleues se refermèrent sur mes épaules et il me secoua sans ménagement.

— T'es lequel, toi ? Ce fichu Théodore ?

— Non ! fis-je d'une voix excessivement aigüe.

Il continua de me balloter comme un prunier, et je claquai des doigts pour redevenir visible.

— Arrête, Gus ! s'exclama aussitôt Branda. C'est Xilena.

Le dénommé Gus s'arrêta enfin, mais ne me lâcha pas pour autant. Il me fit pivoter pour me mettre face à Branda. Elle ne semblait pas en colère, pas heureuse non plus. Juste... résignée.

— Qu'est-ce que tu fais ici, Xilena ? demanda-t-elle doucement.

Tout le courage que j'avais accumulé pour entrer dans cette tour s'était envolé comme par magie. Je sentais les larmes me monter aux yeux alors que je découvrais la dure réalité : je ne serais jamais une bonne espionne, j'étais beaucoup trop pleurnicharde. J'étais venue à cause de Théo, c'est ce que lui-même nous avait dit de dire en cas de problème. Mais c'était aussi celui qui risquait le plus. Je ne devrais pas le balancer. Mais quoi inventer d'autre ?

— C'est Théo, dis-je dans un murmure coupable.

— Vous voyez, dit la femme de toute à l'heure.

— Ça va, Krishen ! hurla presque Branda, soudain de mauvaise humeur.

La dénommée Krishen leva les mains en l'air en signe de soumission, un petit sourire sadique au coin des lèvres. Elle recula de quelque pas pour laisser la place à Branda, qui avança devant moi. Elle mit ses paumes sur mon front et plissa les yeux par la concentration.

— Qu'est-ce que vous allez faire à Théo ? demandai-je nerveusement.

— En quoi ça t'intéresse ? Personne ne l'aime, fit Branda d'un air désolé.

Une étrange chaleur sembla se dégager de ses mains. Qu'est-ce que ça signifiait ? Le temps que je me pose la question, tout avait disparu.

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