Théo, ou l'amour de la littérature. Troisième partie - Peter

J'avoue avoir réfléchi pendant près d'une heure entière avant de prononcer le vœu. Mais maintenant que c'était fait, j'avais le sentiment d'avoir agi sur un coup de tête.

Tout ce que je voulais, c'était d'impressionner Xilena... en un sens, c'était réussi. Mais je ne m'étais pas attendu à ce qu'elle éclate de rire à ce point. C'était limite insultant.

Les jambes tremblantes, je me relevai du tapis et allai m'étendre dans le fauteuil. Je me tâtai la lèvre ; ça saignait encore.

— Je souhaite que la plaie se referme.

Je posai à nouveau un doigt au-dessus de la blessure. Plus de sang.

— Il se passe quoi, alors, avec Théo ?

— Pour l'instant, ce qui m'intrigue le plus, c'est pourquoi tu as fait ça, dit Xilena d'un air presque menaçant.

— Ouais, j'aimerais bien savoir aussi, renchérit Amy.

Pour t'impressionner, ça se voit pas ?! Non... ce serait un peu la honte.

— Ne me faites pas croire que vous n'auriez pas fait pareil, à ma place, dis-je en croisant mes bras musclés autour de mon ventre tout autant musclé. Xi, t'as jamais songé à ce que serait la vie si tu étais Blanche ?

— Non.

Trop de dureté dans son ton. Il valait mieux ne pas continuer sur ce sujet.

— Amy ! Et toi, tu n'as jamais voulu avoir de plus gros...

Je fis des mouvements explicites autour de mes tout nouveaux pectoraux et Amy me balança un coussin en pleine figure.

— Tu t'enfonces de plus en plus, grogna Xilena.

Ça devient vraiment n'importe quoi. Peut-être que, si elle m'apprécie, ça n'avait rien à voir avec mon corps.

Je repoussai cette idée absurde en secouant la tête. Ces deux-là ne se seraient pas offusquées de mes questions si elles croyaient que l'apparence n'était pas importante.

— Bon, expliquez-moi le problème de Théo, maintenant ! J'ai besoin de focaliser sur la merde de quelqu'un d'autre.

Amy garda le silence quelques secondes avant de répondre. En ce court laps de temps, je pus songer à mon existence entière, particulièrement à l'existence de peut-être quelques petits, minuscules sentiments que j'éprouvais — vraiment peut-être — à l'égard de la Chinoise. Pourquoi ne me regardait-elle pas ? Elle avait la bave au menton, tout à l'heure, jusqu'à ce qu'elle se rende compte de qui j'étais. J'en suis sûr, elle me trouve de son goût, en ce moment.

Ou peut-être qu'elle aime mon corps, mais pas l'esprit qui se cache dessous.

— Théo a fait une découverte... sa mère est venue ici. Elle faisait partie du dernier groupe avant nous. Donc, maintenant, Théo est convaincu que... (Amy porta une main à sa bouche, regardant nerveusement tout autour d'elle.) Je souhaite que Branda n'entende pas ce que je vais dire. (Elle fit une petite pause, avant de reprendre :) il est convaincu que c'est Branda qui a tué sa mère.

— Quoi ?! m'exclamai-je, incrédule. Mais c'est stupide ! Et elle a pas été frappée par un camion, d'abord ? Enfin, c'est ce que j'ai compris.

— Mais Branda, elle contrôle tout, dit Xilena. Elle aurait facilement pu trafiquer un camion... il reste que j'aimerais bien savoir pourquoi il croit ça. Elle a l'air gentille !

— Sa mère a souhaité avoir un enfant... Théo.

— Branda avait dit que les souhaits concernant la vie et la mort étaient interdits.

Amy fit un petit sourire bancal, signifiant « exactement ». Le regard de Xilena s'éclaira quand elle comprit enfin, mais s'assombrit aussitôt.

— Oh, c'est affreux, dis-je, étonné de ressentir de la compassion pour mon pire ennemi. Mais ça reste une théorie, on peut pas crier au meurtre pour si peu.

— C'est pourtant ce qu'il fait... Je vais aller voir ce qu'il trafique. J'ai pas confiance en son esprit tordu, en ce moment.

Amy se leva du canapé et s'élança en direction de l'escalier. J'attendis qu'elle fût disparue avant de me redresser sur le fauteuil, faisant face à Xilena.

— Tu n'aimes vraiment pas ma nouvelle apparence ?

Étrangement, ma question sembla la mettre dans un état de nervosité beaucoup plus élevé que l'idée que notre « chef » soit une meurtrière. Elle avait baissé les yeux, entortillant une mèche de cheveux noirs et raides autour de son index. Sa jambe droite tressautait, exactement comme à la rencontre parent-élève d'hier. C'était plutôt vexant.

Il passa une bonne trentaine de secondes avant qu'elle ne trouve le courage d'ouvrir la bouche.

— Oui. J'aime bien. Seulement, j'ai pas l'impression que c'est toi.

— C'est le but, dis-je en étouffant un rire.

Xilena secoua la tête avant de se reprendre, le ton un peu plus dur :

— Ce n'est pas toi, Peter. Je comprends que tu n'étais peut-être pas bien dans ta peau, mais tu n'as pas à changer pour plaire aux autres. L'important, c'est ce que toi, tu penses. Reste ainsi si ça te chante, mais moi, je t'aime d'abord en fonction de ta personnalité.

— Tu m'aimes ? répétai-je dans un murmure.

— Je t'apprécie.

Je poussai un long soupir en m'enfonçant à nouveau dans le fauteuil. C'était du grand n'importe quoi. Elle peut dire ce qu'elle veut, ce n'est pas elle qui souffre du jugement des autres. Et même maintenant que j'étais beau gosse, elle réussissait à me faire culpabiliser de mon vœu.

— Je veux pas être méchant, mais tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles.

— Pense ce que tu veux, dit-elle en levant les mains en signe de soumission.

Je croisai les bras et détournai le regard. J'avais un peu envie de bouder, mais je me sentais aussi ridicule. Je serais ridicule, peu importe ce que je ferais. Et Xilena restait là, à me fixer...

— Sinon, il faut encore que je me prépare pour les cours, dit-elle au bout d'un moment étrangement long. Je me fais un petit déjeuner rapide et je file...

Elle se leva pour aller vers la cuisine et je la suivis aussitôt, un peu malgré moi. C'était un endroit bourré de gadget qui pouvait faire n'importe quoi à notre place, en passant par un malaxeur, une machine à smoothie, une autre pour pétrir la pâte et une sorte de bol à double fond servant à nettoyer les légumes, pour ne nommer que ceux-là. Xilena était à quatre pattes et fouillait dans les armoires, cherchant des outils plus conventionnels.

— Tu sais que tu pourrais simplement souhaiter avoir un bon petit déjeuné et qu'il apparaitrait juste là ? dis-je en démontrant la table où quatre couverts étaient déjà installés.

— Et il serait composé de quoi ? Tu voudrais manger de la magie, peut-être ?

— Pourquoi pas ? C'est excellent pour la graisse, dis-je en tapotant mon ventre plat.

Xilena me lança un regard noir, presque menaçant. Je décidai audacieusement de l'ignorer et de formuler le vœu adéquat, et à peine une seconde plus tard, un buffet se matérialisa à la table. Dans plusieurs assiettes, il y avait des montagnes d'œufs, de bacons, de pain doré, de patate en cube et de fruits divers, ainsi qu'un pichet de jus d'orange et une bouteille de sirop d'érable.

Même Xilena ne pouvait cacher sa faim. Bien malgré elle, elle tira une chaise et s'installa en face du plat de bacon.

— J'espèce que ça goute ce que ça sent.

Xilena croqua dans un morceau de bacon, lentement, du bout des dents, avant de grogner et de l'engloutir tout entier.

— C'est le meilleur bacon que j'ai jamais mangé...

Je souris de satisfaction, fier de mon coup. Qui avait dit que conquérir les femmes par leur estomac ne fonctionnait pas ?

J'allai m'assoir en face d'elle et mis un peu de tout dans mon assiette.

— Tu vas aller en cours comme ça ? demanda Xilena. Tu ne penses pas aux réactions que tu vas occasionner ? Si la seule explication possible est la magie, je crois pas que Branda serait très contente de nous, à semer des indices du monde d'à côté dans le mauvais monde. Et si en plus c'est une meurtrière, tu devrais peut-être faire preuve d'un peu plus de prudence... je dis ça comme ça.

J'avais eu l'intention d'aller en cours, effectivement. Mais avec son petit discours teinté d'indifférence feinte, j'en avais beaucoup moins envie. Parce qu'elle avait raison.

— Toi, tu ne m'avais pas reconnu. Alors les autres ne me reconnaitront pas non plus. Je pourrais aller n'importe où, sauf en cours. On pourrait sécher !

— J'ai déjà sauté deux cours hier, c'est assez pour tout le reste de ma scolarité. Tu sècheras seul.

J'avais l'impression de faire un pas en avant et deux pas en arrière, avec elle. J'en étais sûr, c'était vraiment mon apparence qui la rendait si réticente ! Qui l'eût cru ! Xilena préfère les petits gros.

Si je peux pas la conquérir avec des muscles d'acier, je pourrais toujours essayer avec du bacon magique.

Et d'ailleurs, pourquoi je pense tout ça ? Je ne suis pas amoureux de Xilena. Nous sommes à peine amis, bon sang...

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