Théo, ou l'amour de la littérature. Dernière partie - Amy
Je m'attendais à trouver Théo en pleine crise existentielle, aussi je me préparai mentalement à lancer toute sorte de vœux ayant pour but de le calmer. Mais quand je l'aperçus à la salle de bain, appuyé contre l'évier et fixant son reflet avec une intense concentration, je ne savais plus quoi penser. En même temps, j'étais bien consciente que Théo était l'être le plus imprévisible de la planète. Mais à chaque fois que je l'imaginais réagir d'une telle manière, il faisait toujours le contraire. C'était ennuyant.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandai-je après une minute à l'observer.
— Je réfléchis. Je crois que j'ai trouvé une idée.
— Et c'est quoi ?
Théo leva brièvement les yeux vers moi et reporta son attention à son propre reflet dans la glace. Le silence s'éternisa encore un long moment, jusqu'à la limite de ma patience, avant qu'il dise enfin :
— C'est un plan contre Branda.
— Ne fais pas n'importe quoi, Théo, dis-je d'un ton sévère.
— Nous avons accès au plus pur des n'importes quoi, et tu ne veux pas que j'en profite ? Regarde Peter. Lui, il en profite. Mais clairement, il est le seul à le faire. Xilena a fait qu'un vœu jusqu'à maintenant, contre son père. Moi, j'en ai fait deux, mais je ne suis satisfait ni de l'un ni de l'autre... toi, tu en as fait combien ? Mais c'était toujours le même, de toute façon. Tu ne crois pas qu'il serait temps d'innover, un peu ? Qu'on tourne les choses à notre avantage ?
— À ton avantage, spécifiai-je, mais malgré moi, il me rendait curieuse. Alors c'est quoi, ce plan ?
Théo me fit un sourire en coin, un sourire qui, venant de Théo, voulait signifier « tous aux abris ! » Il s'éclaircit la gorge d'une petite toux pour un effet plus théâtrale, puis s'exclama d'une voix claire et précise :
— Je souhaite être un elfe !
Je pouffai de rire sous l'absurdité de son vœu, mais m'arrêtai rapidement, hypnotisée par la transformation physique. Ses cheveux brun foncé pâlirent jusqu'au blond, presque blancs ; ses yeux noisette étaient devenus jaunes et verticaux comme ceux des chats, et ses oreilles s'allongèrent de plusieurs centimètres.
— Ouah, s'exclama Théo en regardant partout. J'ai une super vision.
— Pourquoi t'as fait ça ?! m'écriai-je une fois la stupéfaction passée.
— Pour me mêler aux habitants de ce monde, évidemment. Branda avait dit qu'ici, les humains n'étaient pas bien vus.
— Elle avait aussi dit qu'elle ne voulait pas qu'on sorte du dôme.
— Et tu crois vraiment que je vais obéir sagement ? dit Théo avec un air d'ennui. Tu me connais mal, Amy.
— Au contraire, je crois que je commence à te connaitre, dis-je dans un grognement.
Théo haussa les épaules et leva les mains — ses doigts semblaient étrangement longs, peut-être était-ce une de ses nouvelles caractéristiques d'elfes — et s'avança pour sortir de la salle de bain. Je me postai devant lui, bloquant l'entrée.
— Je peux pas te laisser faire... ou peu importe ce que tu as l'intention de faire, mais ça va mal finir et ce sera pas du tout à ton avantage.
— Qu'est-ce que t'en sais ? répliqua Théo en soulevant un sourcil pointu.
Parce que si on était dans un livre, on en serait encore aux étapes des innombrables péripéties qui nous font voir la mort de près à chaque fin de chapitres.
— Parce que, dis-je simplement. J'ai un mauvais pressentiment. Et j'ai toujours raison là-dessus.
Théo roula des yeux. Il tenta à nouveau de faufiler et je posai les mains à plat sur sa poitrine pour le repousser. Il resta bien campé sur ses pieds, l'air de plus en plus impatient.
— Amy, soit tu me laisses passer, soit tu viens avec moi. Mais il est hors de question que je reste ici à me tourner les pouces.
— Alors je viens avec toi !
— Très bien ! Mais tu peux pas en ressemblant à ça. Fais un vœu.
J'écarquillai les yeux à la demande avant de pouffer d'un rire nerveux. Devenir une elfe. C'était encore plus cinglé que tout ce que j'avais vu dans le monde d'à côté jusqu'à maintenant. Cinglé, mais étrangement existant.
— Je souhaite...
— Non, attends.
Je m'interrompis, la bouche toujours ouverte. Théo avait eu une idée, et pour la première fois de la journée, il avait un sourire sincère.
— Pas la peine que tu sois une elfe, le répertoire de créatures mythologiques est immense. Je te verrais bien en fée !
— En fée ?! m'exclamai-je, pouffant d'un rire nerveux.
— Bah ouais, tu pourrais voler. Tu n'aurais même plus besoin de tes jambes !
Malgré ma conviction profonde d'être un personnage de roman, j'avais parfois quelques doutes quant à mes idées étranges. Peut-être que je me trompais. Ou peut-être que j'étais près de la réalité, quelque chose comme une alternative de roman. Mais pitié, pitié, faites que ce ne soit pas des bandes dessinées dans le genre Looney Tunes. J'imaginais trop bien mes yeux en formes de cœurs et la vapeur qui me sortait par les oreilles.
La honte.
— Je souhaite être une fée, dis-je à la place de tout le reste qui me passait par la tête.
La sensation fut étrange, contre une chaleur intense, mais brève. En deux secondes, c'était terminé. Je battis des cils à plusieurs reprises pour surmonter les effets, et quand je focalisai à nouveau sur Théo, je crus un instant que j'étais tomber à genoux. Ou bien il avait grandi d'un mètre, ou bien moi, j'avais rétréci.
L'éclat de rire de Théo me confirma la dernière option.
— T'es minuscule, en dirait une Lilliputienne ! Mais c'est très classe, les ailes dans le dos.
— Tu peux bien parler ! Espèce de... géant aux cheveux blancs. Si je suis une Lilliputienne, toi, t'es plutôt Jack Frost.
Théo cacha sa bouche de sa main pour étouffer l'hilarité qu'il réprimait à grand peine.
— Je suis Link, et toi, la petite fée énervante qui arrête jamais de jacasser.
Je tentai de lui donner un coup de pied au genou, mais le genou en question était si haut que j'avais l'impression de viser une épaule. Je m'essayai tout de même, pour bien démontrer ma frustration, et fus heureuse de voir que c'était moins impossible que ça en avait l'air. Mais Théo eut une réaction totalement à l'opposé de mes attentes.
— Génial !
— Quoi, génial ? T'en veux encore ? dis-je en le bombardant de coup de pied qu'il ne semblait même pas remarquer.
— Tu voles, Amy !
Septique, je baissai la tête pour me rendre compte que, effectivement, je n'étais plus rattaché au sol. J'avais l'impression de flotter. Je tentai de regarder derrière mon épaule pour apercevoir une paire d'ailes, mais s'il y en avait vraiment une, elle bougeait si vite que je ne voyais que des lignes floues.
— Génial, répétai-je dans un murmure.
Je ne savais pas trop comment contrôler la chose, mais j'essayais tout de même de me mettre à la hauteur de Théo. Les ailes obéirent à ma volonté, me faisant remonter du mètre que j'avais perdu, et même vingt centimètres de plus. Le sol était si loin que j'en avais presque le vertige.
— Et maintenant, tu veux enfin me suivre ? demanda Théo, le sourire aux lèvres.
Il semblait avoir complètement oublié quelle était la raison initiale de cette expédition. Se mettre sur la piste d'une enquête concernant le meurtre de sa mère ? Me regarder apprivoiser le pouvoir de voler devait être particulièrement captivant. Et étrangement, ce n'était pas désagréable.
— Ouais, allons-y... Et d'ailleurs, on fait comment ?
— De la même façon que la dernière fois.
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