Quelques explications confuses pour un peu de suspense. Dernière partie - Théo

- Alors ? Toi et Amy, hein ?

Je donnai un petit coup de poing dans l'épaule de Batiste pour qu'il arrête, et il comprit enfin le message. Ça faisait dix minutes qu'il me torturait les oreilles avec ça, juste parce qu'elle et moi avions un peu échangé quelques mots. Je le lui avais répété plusieurs fois, je n'étais pas fait pour Amy, et elle était encore moins faite pour moi. J'étais morose, elle était gaie. Rien que là, il y avait un gros problème, et ce n'était que le début d'une longue liste. Et pire encore : elle ne m'intéressait tout simplement pas.

- Allez, Théo... insista cette fois Mike, qui s'amusait à tournoyer ses baguettes de batterie entre ses doigts. Une fille te ferait du bien. Ça te changerait les idées.

- Tu crois vraiment que n'importe quelle fille pourrait me faire oublier ?! dis-je en me retournant pour lui faire face.

Mike n'osa rien répondre, figé et les yeux écarquillés. Si j'avais la réputation d'être un mec violent, je ne l'étais pas avec eux... d'habitude. Mais aujourd'hui, j'avais lutté de toutes mes forces contre mes envies de meurtre.

En même temps, je ne pouvais pas leur en vouloir. Ils essayaient de m'aider, c'était bien la preuve qu'ils étaient de vrais bons amis. D'autres auraient pu avoir peur de la situation et me laisser me débrouiller par moi-même, mais pas eux. Ils ne m'avaient pas abandonné une seule seconde. À peine sortis de la maison, ce matin, qu'ils étaient là tous les trois, Baptiste, Mike et Sam, à m'attendre près du balcon.

Sam avait un peu plus de difficulté que les deux autres à s'exprimer, aujourd'hui. Il restait muet, clairement intimidé par moi. Il ne faisait que nous suivre comme un petit chien, alors qu'habituellement, il était celui qui balançait toujours des blagues pourries. Ma mauvaise humeur était contagieuse, et il l'avait attrapée comme une maladie.

- Je voulais pas te vexer, dit enfin Mike après un long moment de silence.

Je répondis d'un grognement et mon ami comprit le message. Il n'insista pas, laissant le blanc s'infiltrer entre nous quatre.

Même à eux, je ne leur avais pas raconté toute l'histoire. Ils ignoraient que ma mère était morte par ma faute. Pour eux, ce n'était qu'un horrible coup de malchance. Un jour, peut-être que je m'ouvrirais un peu plus, mais pour l'instant, l'idée me semblait particulièrement stupide. Je n'étais pas doué pour m'exprimer et ils ne pourraient pas comprendre. Je ne saurais pas trouver le bon mot pour expliquer ce que je ressentais. C'était pire que de la culpabilité, ou de la honte. Bien, bien pire.

Au moins, j'avais encore mon père. Je l'avais bien remarqué dans le monde d'à côté - ainsi nommé par Amy - ce que c'était que d'être totalement seul, et je n'avais pas aimé. Vraiment, pas du tout. Quand j'étais entré chez moi, hier soir, et que je l'avais vu à la table de la salle à manger, les yeux dans le vide à piquer mollement de sa fourchette un morceau de lasagne réchauffé aux microondes, mon cœur avait fait un bond énorme dans ma poitrine, à un point que je ne pus que m'enfermer dans ma chambre avant que les larmes ne se repointent. Mais cette fois, c'étaient des larmes de soulagement... jusqu'à ce que la honte revienne en force, le temps que je me souvienne qu'il en était rendu là par ma faute.

- Eh, Théo, fit Baptiste en posant sa main sur mon épaule. Déprime pas. On trouvera bien quelqu'un pour faire passer ta frustration à coup de pied.

Je ne sais même pas pourquoi je ne lui avais pas enfoncé mon poing dans le nez. Parce qu'il était mon ami, peut-être, mais pendant une seconde, j'en avais presque oublié ce détail. Je me contentais de lui lancer un regard en coin, les yeux plissés et débordants de haine, alors que lui, sans me remarquer, continuait de parler.

- On t'as même pas dit ! Mais hier, on a presque eu Péteur. Ç'aurait été tellement mieux si t'avais été avec nous. Je sais comment t'aimes lui donner des coups de pied dans le bide !

Les trois punks se mirent à rire en se tenant les côtes au souvenir. Je restais sérieux, les mains dans les poches. Moi, étrangement, c'était un autre moment qui m'était revenu en mémoire ; quand, dans le bus, il avait eu tellement peur qu'il en avait hurlé comme une blonde dans un film d'horreur.

Il avait hurlé comme n'importe qui le ferrait devant un meurtrier. Et il avait eu raison.

- J'ai gardé son vélo, continua Baptiste. Il roule super bien !

- Et moi j'ai trouvé un livre dans son sac, dit Sam d'une voix presque timide. Il est vraiment bien !

- Ah, tu sais lire ? fis-je, désintéressé.

- Il y a des monstres et tout, c'est super gore. J'adore. Je vais le garder.

Je hochai la tête, ne sachant quoi faire de plus. Son histoire m'ennuyait. Je sortis mon téléphone pour regarder l'heure.

- Faut que j'aille à la maison.

- On t'accompagne, dit Mike.

- Non.

Pas besoin d'explication. Ils le savaient ; avec moi, quand c'est non, c'est non. C'est ce qui prouve que même mes amis étaient parfois intimidés par moi. Tous avaient conscience que c'était moi, le plus dérangé.

- D'accord, fit Baptiste, qui ne riait plus du tout. À demain, Théo.

- Mouais, marmonnai-je dans un soupir résigné.

Je tournai les talons et allai chez moi. Dès que je passais un angle de la rue, hors de vue, je changeai de direction. Pourquoi j'avais plus envie d'être les trois abrutis que de trainer avec mes amis ?

҉

Le rendez-vous était fixé pour dix-sept heures, mais il était à peine seize heures trente. Des enfants qui jouaient, les parents les surveillaient. Le banc au rosier était le seul inoccupé et j'allais m'y assoir, y voyant un étrange signe du destin. Tout était comme hier ; le bus n'était plus là, mais le lampadaire était toujours tordu, et la clôture qui protégeait de la pente était trouée où Amy était tombé.

C'était paisible. Je m'allongeai et fermai les yeux, essayant de relaxer. L'air frais du printemps, les oiseaux qui chantent et les enfants qui rient, ça faisait du bien. Juste un peu, mais c'était déjà un grand plus pour moi.

Une seconde ou une heure plus tard, je me fis réveiller par des bruits énervants. Des gens semblaient chuchoter autour de moi et j'ouvris un œil pour apercevoir Amy, Xilena et Péteur, tous trois à une distance respectable, la main devant la bouche pour murmurer. Ils s'arrêtèrent aussitôt quand ils remarquèrent que je les observais.

- Quoi ? dis-je d'un ton rude en me redressant.

Les trois se lancèrent des regards à la dérobée, l'air de se demander qui aura le courage de le dire, avant qu'Amy ne le fasse d'une petite voix timide :

- Tu pleurais dans ton sommeil.

- J'avais du pollen dans l'œil !

Aucun n'osa me contredire, mais je savais qu'ils me ne croyait pas. J'essuyai rageusement mes joues avec la manche de mon blouson de cuir noir, puis me levai pour leur faire face, menaçant. Tous reculèrent de plusieurs pas.

- Bon, allez, dites-moi ce que vous vouliez me dire, que je puisse me barrer !

- Oh, ça m'étonnerait que t'aies envie de te barrer, après ça.

Je baissai les yeux vers bouboule, presque choqué. Il avait eu le courage de me contredire ? En temps normal, je lui aurais foutu un coup de poing dans le nez pour son arrogance, mais cette fois, il ne faisait que me rendre curieux. Il devait être vraiment confiant de ce qu'il avançait.

Je soufflai en m'asseyant à nouveau sur le banc, croisant les bras. Je leur fis un signe de main qui voulait signifier, entre autres : « vous avez la permission de parler » et, tels mes fidèles sujets, ils s'exécutèrent aussitôt.

Amy fit un pas, présentant le carnet comme s'il s'agissait de la Bible. Elle ouvrit la bouche, cherchant ses mots, avant de tourner la tête vers les deux autres.

- Aidez-moi, je sais pas du tout par où commencer.

- Eh bien... fit cette fois Xilena. Ça aurait été plus simple si le gros dur savait lire.

- Elle plaisante ! s'exclama Peter en me lançant un regard angoissé. (Il prit le livre des mains d'Amy et se retourna pour me faire face, des gouttes de sueur lui tombant sur le front.) Je vais expliquer, moi. Il y a un peu moins de vingt ans, quatre jeunes ont découvert le même... truc ?

- Monde d'à côté, souffla Amy.

- Comme tu dis... et là-bas, bin... c'est le paradis.

Je pouffai de rire, mais les trois autres étaient toujours super sérieux. Peter attendit patiemment que j'arrête, avant de continuer :

- Je te jure que c'est vrai. Le paradis. Les vœux se réalisent.

- Comme dans tes désirs sont des ordres ? Avec la fée aux cheveux roses et la fée aux cheveux verts ?

- J'ai comme l'impression que tu ne nous crois pas, fit Xilena d'un air sévère.

- Peut-être parce que c'est justement le cas !

- Alors pourquoi t'es encore là à nous écouter ? demanda Amy en croisant les bras.

Je ne répondis rien immédiatement, cherchant une réplique. Mais je ne trouvais pas, simplement parce que la petite blonde avait raison. La scène du dépanneur m'était revenue en mémoire, quand j'avais souhaité voir une salle des employés et qu'elle était apparue ensuite, exactement comme je l'avais imaginé.

- OK, mais où est la logique, alors ?

- Pourquoi faudrait-il une logique ? demanda Xilena d'un air faussement intrigué.

Je pouffai à nouveau, amusé. Drôlement ironique que ce soit la première de classe qui se fiche de ce genre de détail.

- Il faudrait peut-être une démonstration, fit Peter. Je meurs d'envie d'y retourner !

- Pas moi, dis-je en secouant la tête. La première fois, c'était... Angoissant.

- La première et la seconde fois, c'est pas pareil, dit Peter en tapotant la couverture du vieux livre. La première, c'était, en quelque sorte, une entrée en douceur. Mais à la seconde, on va avoir les explications.

- Et tout ce qu'on voudra, ajouta Amy. Les souhaits. C'est un monde magique, Théo.

Elle avait des paillettes dans les yeux en disant ses mots. Elle semblait si convaincue que ce soit possible que j'avais de la difficulté à faire le pessimiste. Malgré moi, je me sentis flancher. Un monde où je pourrais faire revenir ma mère ? Serait-ce vraiment réalisable ?

L'excitation s'emparait de moi. Ce n'était plus une question d'y croire ou non. Tout ce que je voulais, c'était voir ma mère et la prendre dans mes bras.

Et si l'image de Bouboule n'en était pas une ? Et si c'était sérieusement le paradis, et qu'en y retournant, nous serons morts, que nous ne pourrons jamais plus revenir en arrière ?

Ça valait le coup d'essayer. Plus rien ne me rattachait à ce monde. Celui d'à côté me semblait plus attrayant, surtout si ma mère y était.

- Alors... il faut repasser sous le rosier ?

- Techniquement, on pourrait choisir n'importe quoi comme entré. C'est ce que le chauffeur avait dit, aussi. Mais je crois que ce serait plus simple ainsi, pour commencer.

Je n'avais pas trop compris ce qu'il avait raconté, mais je m'en fichais. Je me levai d'un bond de mon banc et le contournait pour faire face au rosier, puis me mit à genoux pour m'y faufiler. Les autres se précipitèrent pour faire la queue derrière moi.

Pour les enfants et les adultes encore présents dans le parc, je n'osais pas songer à ce qu'ils risquaient de s'imaginer. Peut-être qu'on pourra toujours souhaiter qu'ils nous oublient.

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