Les conséquences. Première partie - Peter

Xilena n'avait rien dit de tout le trajet entre l'immeuble de Branda et la ruelle en face du dôme, où nous avions prévu de nous rejoindre en cas de problème. Sur le coup, je ne m'étais pas inquiété, je croyais qu'elle voulait simplement éviter de se faire remarquer. Mais après un long moment dans le silence, je commençai à me poser des questions. Et au bout de dix minutes, j'en étais assuré : sois elle s'était perdue, soit elle avait décidé d'entrer dans la tour malgré mon avertissement.

Comment aurait-elle fait pour se perdre ? J'avais avancé lentement pour qu'on ne se sépare pas. Et les piétons n'étaient certainement pas assez nombreux pour que ce soit de leur faute. M'aurait-elle abandonné de son plein gré ?

Ah, les filles ! Je ne te croyais pas comme ça, Xi ! Tu me déçois !

En rageant, je m'assis contre le mur pour l'attendre. Elle allait forcément changer d'avis et revenir me rejoindre ici. Je croisai les bras et baissai la tête... Mais après dix minutes supplémentaires, je perdis patience. Je me levai, époussetai mes jeans qui s'étaient étrangement adaptés à ma nouvelle taille de nain — bon Dieu que je te hais, Théo – et m'aventurai à nouveau sur le trottoir en direction de la tour, les poings serrés de frustration.

Est-ce que je me jetai dans la gueule du loup ? Certainement. Mais je ne pouvais pas laisser Xilena seule dans sa galère, même si elle avait foncé dedans tête première. C'est ça, l'amour. Même si ça n'a aucun rapport.

Arrivé au pied de l'immeuble, je levai les yeux vers son sommet, une quinzaine d'étages plus hauts, avant de l'abaisser vers sa grande porte noire. Qu'est-ce que je fais ? J'entre et je me la joue Jackie Chan ?

— Eh, Peter !

Je sursautai, me retournant pour regarder dans toutes les directions. Parmi les piétons qui m'entouraient, je ne reconnaissais aucun visage. En même temps, qui me connaitrait, ici ? C'était pire qu'un pays inconnu ; c'était un monde inconnu.

— Peter ! répéta la voix. Arrête de faire le con et ramène-toi !

Ah, Théo. Bien sûr, il était juste là. J'avais déjà oublié qu'il avait des cheveux blancs, ça faisait un drôle de changement sur son style. Il était à moitié caché au coin d'une ruelle, Amy à ses côtés. Un peu à contrecœur, j'allai les rejoindre et m'appuyai contre le mur en croisant les bras.

— Tu vas ruiner notre plan si tu te fais voir maintenant. Où est Xilena ?

— Je la cherche, justement, dis-je en commençant à perdre le peu de patience qu'il me restait.

— Xilena a disparu ? s'inquiéta Amy.

— Elle se croyait intelligente en souhaitant devenir invisible, dit Théo en pouffant avec mépris.

Amy lui donna un coup de poing contre la hanche, ce qu'elle pouvait atteindre de plus haut tout en gardant les pieds au sol. Théo baissa les yeux vers elle à regret.

— Arrête de rire, c'est grave ! gronda Amy.

— J'ai pas dit le contraire ! Mais on la retrouve comment, si on ne peut pas la voir, hein ? Peter, c'est quand la dernière fois que tu l'as vu ? Enfin, que tu l'as entendu ?

— Il y a vingt minutes.

Personne n'osa répondre. Théo et Amy échangèrent un regard lourd, telle une conversation muette. Depuis quand ils savaient faire ça, comme de vrais amis ?

— J'avais un plan, avoua Théo au bout d'un moment. Attendre que Branda sorte et l'atomiser avec les pouvoirs de fée d'Amy. Mais des changements s'imposent ; maintenant, il faut secourir Xilena. Elle est forcément là-dedans. Alors toi, Peter, tu vas entrer et tu vas la chercher.

— T'es cinglé ? J'entre pas ! m'exclamai-je aussitôt.

Théo baissa ses yeux de chat vers moi, sérieux. Je déglutis et détournai le regard.

— Désolé, t'es pas cinglé. Je voulais pas dire ça. Mais je peux quand même pas entrer, je vais me faire repérer tout de suite !

Théo se pencha pour me prendre par les épaules et me secoua sans ménagement.

— Peter, tu es canon. Tu es à ton exact opposé, en ce moment. Personne de sensé pourrait se douter que c'est toi, sous ces muscles et ces poils. Alors si tu tiens à Xi, tu vas aller la secourir comme un preux chevalier. Fais-toi pousser des couilles vite fait et fonce là-dedans.

Théo me fit pivoter et m'envoya un coup de pied aux fesses pour m'obliger à avancer. Je déglutis en repensant à ses paroles alors qu'Amy le grondait en lui donnant des claques derrière la tête.

Malgré sa drôle de façon de dire les choses, il avait un peu raison. Premièrement, aucune chance qu'on me reconnaisse. Même si je voulais me plaindre, il était vrai aussi que j'étais le seul à pouvoir entrer en mode incognito. Amy et Théo, en dépit de leurs quelques changements physiques, avaient toujours leur visage. Moi, j'étais complètement différent. Il fallait que ce soit moi.

— Non, Peter, tu peux pas aller là-dedans, dit Amy.

— J'ai pas le choix. Pour Xi !

Je hochai la tête pour me convaincre, puis m'avançai vers la tour aux grandes portes noires. Il faut que je fasse quelque chose. Derrière moi, Amy et Théo se disputaient alors que je grimpai courageusement les quelques marches devant l'immeuble. Comment allais-je faire pour la retrouver ? Ce n'était pas comme si elle m'attendait dans le hall, tranquille. J'allai devoir chercher... et si elle était encore invisible ?

J'en aurais pour des heures. Et avec Branda tout près, en plus... Est-ce que ça en valait vraiment la peine ?

Pas le choix, me répétai-je. Xilena a besoin de moi !

J'ouvris la porte et m'avançai dans la tour. J'observai longuement mon nouvel environnement, le grand espace plein d'espèces inconnues de mon univers. En dehors de ses créatures, tout semblait normal. La réceptionniste, les fauteuils, les déco...

Je lançai un regard à gauche, découvrant un petit détail étrange. Chez moi, les animaux n'étaient pas permis dans la plupart des immeubles. Du moins, pas les bergers allemands. Et tout un tas de djinns les accompagnait, l'air impressionnant dans leurs costumes.

Un mauvais pressentiment me prit aux tripes et je tournai aussitôt les talons pour quitter la tour. Les chiens aboyèrent derrière moi et se précipitèrent à ma suite. J'abandonnai la marche pour courir à pleine vitesse sur mes courtes jambes, maudissant Théo comme j'en avais l'habitude quand quelque chose n'allait pas.

Merde ! Il y a une seconde, j'étais plein d'un courage nouveau, et voilà que je me fais poursuivre par des bergers allemands ! Comment la situation a-t-elle pu dégénérer à ce point en si peu de temps ? Ça, c'est bien mon genre de chance.

— Peter, tu fous quoi ? hurla Théo alors que je passais devant lui à pleine vitesse.

— Fuyez, y'a des clebs !

— Il a peur des chiens, pouffa Théo.

Je ne pris pas la peine d'argumenter, continuant de courir comme un dératé. Je me risquai un regard au-dessus de mon épaule et ce que je vis réussi à m'arracher un couinement de panique. Un seul me suivait encore, mais il était sur mes talons.

— Arrête-toi, ou je vais te mordre ! gronda-t-il en montrant les dents. Je vais le faire, je te jure !

Je ne savais plus quoi faire. Arrêter au risque de me faire manger tout cru, ou obéir aux ordres d'un chien qui parle. Malgré moi, je me pétrifiai sur place. C'était trop tordu pour l'ignorer. Le berger allemand me tourna autour pour renifler mes mollets, puis hocha la tête.

— Ouep, t'es Peter, toi ! J'en ai trouvé un ! fit-il en sautillant joyeusement.

— Me mange pas, marmonnai-je nerveusement. Je suis pas comestible.

— T'inquiètes, j'oserais pas. En plus, viande de nain est trop dure, on croirait du caoutchouc.

Alors qu'il me tournait encore autour, s'assurant que je n'essayerais pas de m'enfuir pendant que les djinns venaient vers nous, un rayon de lumière violet frappa le cleb en pleine gueule, le faisant revoler quelques mètres plus loin. Il tomba sur des piétons et tous s'écroulèrent au sol. Les passants semblaient irrités, mais le chien, lui, était sonné. J'écarquillai les yeux, n'y comprenant plus rien.

— Reste pas figé bêtement, et sauve-toi ! s'énerva Amy en surgissant de nulle part devant moi. On va retourner sous le dôme et emprunter le portail pour revenir dans notre monde.

— Quoi, mais on peut pas faire ça ! Pas avec notre apparence ! Et on n'a toujours pas retrouvé Xilena.

Amy ne trouva rien à répliquer. Elle savait tout aussi bien que moi que, déguisé en nain, en elfe et en fée, on attiserait un peu trop la curiosité.

— Tu veux qu'on fasse quoi, alors ? Qu'on reste caché jusqu'à demain, que les vœux se dissipent ? On va autant faire paniquer les gens d'ici, quand on sera à nouveau humain. Le seul endroit où on sera tranquille, c'est sous le dôme.

— Mais on peut pas y aller non plus, Branda le saura tout de suite.

Amy porta une main à son front, incapable de réfléchir. Toujours nerveux, je regardai autour de nous, cherchant les djinns qui nous pourchassaient. Il n'y avait que les piétons qui semblaient se foutre complètement de nous, le chien sonné et allongé sur le trottoir un peu plus loin.

— Où sont les djinns ? Tu les vois ?

Amy haussa les épaules en observant dans tous les sens. Elle s'éleva juste assez pour dépasser tout le monde d'une tête.

— Non... ils ont abandonné, tu crois ?

— Ils ont peut-être changé de cible.

Amy se retourna aussitôt vers moi, les yeux écarquillés.

— Ils sont après Théo !

Amy s'envola au-dessus des piétons et l'élança vers la ruelle où elle avait laissé Théo. Je courrais derrière elle, un peu malgré moi, mais je n'avais pas fait un pas qu'un hurlement strident me fit vibrer tous les os du corps. Un hurlement de pure terreur comme on en entend dans les films d'horreur.

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