Les conséquences. Deuxième partie- Théo

— Il a peur des chiens, pouffai-je.

Amy me lança un regard noir, puis s'envola à la rescousse de Peter. OK, peut-être qu'il y avait un peu de danger, mais pas assez pour m'inquiéter. Je croisai les bras et allai m'appuyer contre le mur, attendant patiemment leur retour. Partiellement caché au coin de la ruelle, j'espionnai la petite meute qui s'était élancée derrière bouboule — qui portait très mal son surnom, en ce moment. Mais pendant que j'observais la scène comme s'il s'agissait d'une émission de télé, l'un des trois chiens s'arrêta et releva la tête, reniflant l'air autour de lui. Il jappa à l'oreille d'un de ses compagnons et les deux toutous revirent sur leurs pas.

Qu'est-ce qu'ils font ? Ils retournent chez leurs maitres ?

J'aurais voulu regarder dans cette direction, mais je serais un peu trop à découvert si je m'essayai, alors je me concentrai sur les bergers allemands. Moi, je n'avais pas peur des chiens. J'avais une Poméranienne à la maison et, malgré sa petite taille, elle était féroce. J'avais appris avec le temps que, pour se faire entendre, il suffisait d'être ferme et de ne pas montrer ses émotions.

Ils n'étaient plus qu'à une dizaine de mètres quand je réalisai qu'ils semblaient me regarder droit dans les yeux. Ils savaient exactement où j'étais malgré ma cachette, ils avaient dû me pister à l'odeur. Ce qui voulait dire que j'étais leur cible.

— Merde, murmurai-je à mi-voix.

La distance qui nous séparait était ridicule, je n'avais aucune chance de me sauver. Mais je m'essayai tout de même, songeant qu'avec mes capacités d'elfes, je pourrais peut-être les semer, contre toute attente. Je voulus sortir de la ruelle par l'autre côté, mais j'avais à peine fait trois pas qu'un troisième chien débarqua devant moi. Il s'était approché alors que j'avais le dos tourné. Et le temps que je le réalise, j'étais déjà encerclé.

— Reculez ! dis-je d'une voix ferme.

— Ah ! Il croit qu'il peut nous donner des ordres ! dit l'un en ricanant comme une hyène.

— Euh...

— Tu donnes ta langue au chat ?! s'exclama un autre.

Le chien pouffa, vite accompagné par ses compagnons. Je restai bête, n'ayant pas envisagé ce retournement de situation. Des chiens qui parlent et qui lancent des blagues ? Pourquoi pas ? Pas plus tordu que tout ce qui m'entourait en ce moment, après réflexion.

Les bergers se ressaisirent, puis se mirent à japper en levant la tête bien haut. Qu'est-ce qu'ils faisaient, maintenant ? J'essayai de m'enfuir pendant qu'ils ne regardaient pas, mais ils m'encerclèrent et grondant.

— Te sauve pas, Théodore, t'es notre trophée !

Je déglutis, de plus en plus nerveux. La seule personne qui s'obstinait à m'appeler ainsi, c'était Branda. Alors forcément que ces chiens lui obéissaient et qu'elle allait apparaitre d'une seconde à l'autre. Je serrai les poings, tentant de me ressaisir. Ils étaient hors de questions de me montrer faible.

Je tournai sur moi-même, cherchant une faille dans leur cercle. Il fallait que je m'échappe. Mais les djinns arrivèrent au même moment et le peu de courage que j'avais emmagasiné s'envola aussitôt. Je me serais battu s'il n'y avait eu que Branda. Avec un ou deux types de plus, pourquoi pas. J'étais loin d'être assuré de gagner, mais j'aurais essayé. Mais ils étaient une petite dizaine, tous avec un air grognon au visage.

Je suis foutu.

— Voilà enfin ce fameux Théodore, dit l'un d'entre eux en s'avançant d'un pas. Je le croyais plus... humain.

— Il a souhaité être un elfe, mais à l'intérieur, il est très humain, dit un autre.

Ils répétaient ce mot comme s'il s'agissait d'une insulte. C'était un peu vexant, quand même, et c'est ce qui me donna le courage de leur envoyer à tous l'un de mes meilleurs regards noirs. Mais je n'avais rien à répliquer. J'avais beau chercher, la situation m'échappait complètement. J'étais coincé, sans aucune chance de m'enfuir. Dix djinns en colère d'un côté, trois chiens parlant de l'autre. Et moi au milieu.

Branda fendit la petite foule et s'avança vers moi. Je levai les poings, m'efforçant d'avoir l'air aussi menaçant que possible, mais deux hommes le virent comme un signal et ils s'élancèrent pour m'emprisonner les bras derrière le dos, m'arrachant une grimace de douleur.

— Tu l'as cherché, Théodore, dit Branda en secouant la tête. Je vous avais averti qu'il était interdit de sortir du dôme.

— Tu ne nous as pas tout dit ! répliquai-je avec hargne.

— Vas-y, Branda, fais-le taire, dit l'un de ceux qui me tenaient.

Je me débattais, rendant la tâche difficile aux djinns de m'empêcher de bouger. Je l'entendais grogner contre mon oreille, mais je ne me calmai pas pour autant.

— Tu essaies de me faire croire que tu as enfreint toutes ces règles rien que pour me poser une question ? dit Branda qui commençait à avoir du mal à cacher sa colère.

— Une question importante. Est-ce que tu as tué ma mère ?

Un silence stupéfait plana au-dessus de nous. Tout le monde se lançait des regards intrigués. Même les chiens inclinaient la tête de côté en murmurant des « quoi ? Il est sérieux ? »

— Je suis très sérieux. Réponds-moi, Branda ; est-ce que, oui ou non, tu es responsable de la mort de ma mère ?!

Branda était choqué de l'accusation. Les yeux écarquillés et la bouche ouverte bêtement, alors que ses collègues la dévisageaient comme s'ils la voyaient pour la première fois. Je m'efforçai de rester sérieux, de ne pas briser le contact visuel, mais je sentais les larmes me monter rien que par le sujet évoqué. S'il s'avérait qu'elle avait quelque chose à voir là-dedans, je ne sais pas ce que je ferais.

— Qui est ta mère ? demanda-t-elle enfin, la voix vibrante d'appréhension.

— Elle s'appelait Isabelle Proulx. Son nom de jeune fille, c'était Durand.

Le silence s'éternisa encore un peu. Branda échangea un regard avec une autre femme dans les rangs, une djinn aux cheveux verts et au look beaucoup moins professionnel. C'était la seule qui n'était pas particulièrement choquée de mes accusations, même qu'elle semblait trouver la situation plutôt cocasse.

— Branda n'y est pour rien, dit-elle en s'avançant d'un pas. Isabelle appartenait à mon groupe, et elle a enfreint les règles. Je lui ai laissé seize belles années, mais, tu sais... une vie contre une vie. C'était elle ou toi, et je n'aime pas gaspiller mes vœux. (La femme eut un grand sourire, me dévisageant de la tête au pied.) Un vœu plutôt bien réussi, je dois dire. C'était la première fois que je créais la vie.

Elle s'approcha un peu plus, comme pour admirer son œuvre.

— Je m'appelle Krishen, d'ailleurs. Je suppose que tu aimerais le savoir... pour le temps qu'il te reste.

Je lui crachai au visage et elle recula en grimaçant. Si je n'étais pas tenu immobile, j'aurais fait bien plus. Tant pis si c'était une femme. Je l'aurais tuée. Je l'aurais sérieusement fait.

Une larme solitaire glissa le long de ma joue. Je n'avais pas pu la retenir, tout comme je ne pouvais rien faire contre cette Krishen.

— Branda, occupe-toi de lui. C'est ton protégé, après tout.

Branda s'avança alors que Krishen reculait, lui cédant la place.

— Je suis désolé, Théodore, dit Branda dans un murmure. Je l'ignorais.

Je décrochai mon regard de Krishen pour le planter dans celui de Branda. Elle semblait sincère, mais ce genre de détail me passait loin au-dessus de la tête.

— On procède à l'extraction, maintenant, dit l'un des djinns d'une voix profonde.

— Prend une grande inspiration, ça va aller.

— Je reviendrais pour te tuer, dis-je pour Krishen.

Elle ne se donna même pas la peine de répondre, se contentant de pouffer. Branda posa ses mains sur mon crâne et aussitôt, une chaleur se répandit sur tout mon corps, comme l'eau d'une douche. Mais rapidement, ça devient désagréable, puis infernal. J'avais l'impression de fondre sur place. Je me débattis avec l'énergie qui me restait, gémissant et hurlant de désespoir.

— Arrête ! parvins-je à articuler. Pitié...

— J'ai presque fini, répondit Branda d'une voix douce. Laisse-toi faire.

La douleur atteignit son paroxysme et un nouveau hurlement s'échappa de mes lèvres. J'avais le cerveau en feu, les idées embrouillées, la mémoire en lambeaux.

Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Pourquoi, Branda ?

Est-ce vraiment toi ? Ou est-ce Krishen, la responsable ?

Ça fait tellement mal... qu'est-ce qui se passe ?

Pourquoi on me fait subir pareille torture ?

Pourquoi moi ?

Moi...

Qui suis-je... ?

Aidez-moi...

Pitié...

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