Le monde sans distraction. Troisième partie - Xilena
— J'ignore si ça va marcher, puisque tout ce qui concerne Théo est interdit. Mais peut-être qu'on peut simplement le contourner ?
— Qu'est-ce que t'as en tête, exactement ? demanda Amy en se penchant au-dessus de Peter pour se rapprocher de moi.
Je haussai les épaules, prenant quelques secondes pour réfléchir. Je regardai autour de moi, dans le salon, et mes yeux s'accrochèrent sur la grosse télévision à écran plat, dans un angle de la pièce. Avec un sourire en coin, je l'avisai d'un coup de menton.
— Aucun vœu ne nous empêcherait de regarder la télé.
Amy et Peter froncèrent les sourcils d'un seul mouvement. Ils n'avaient aucune idée de ce qui se passait dans ma tête, et malgré la situation, je ne pouvais qu'en rire.
— Je souhaite voir ce que je veux sur cette télévision.
J'appuyai sur un bouton de la télécommande et tombai sur un film. Ou plutôt, peut-être, les images d'une vidéo amateur. La caméra qui part dans tous les sens, les sons qui laissent à désirer.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Peter. J'arrive pas à comprendre.
Je haussai les épaules et fis la moue. Si ça avait un lien avec mon vœu, c'était forcément quelque chose que je voulais regarder, mais quoi ?
Les images se focalisèrent sur un mur de brique. Je plissai les yeux, me penchant pour me rapprocher de la télé. Le décor me rappelait vaguement quelque chose ; où avais-je déjà vu ce mur ?
Amy poussa un cri aigu quand Théo apparût à l'écran. Pour ma part, j'étais bouche bée ; alors comme ça, Branda ne nous surveillait pas autant qu'elle l'avait dit !
Le Théo de la télé avait un drôle de look, mais il ne me fallut pas une seconde pour reconnaitre ses cheveux blancs d'elfe. Et la scène qui venait avec.
— Oh, mon Dieu ! s'écria Amy qui avait compris une seconde avant moi. C'est le moment où les Djinns lui sont tombés dessus. Monte le volume, Xi. Monte-le ! Vite, on va tout manquer !
Mais elle m'arracha la télécommande des mains avant que je ne puisse faire quoi que ce soit. Elle s'acharna sur les boutons et le bruit jaillit des haut-parleurs. Ce que nous entendîmes ensuite nous laissâmes tous sans voix. Nous vîmes les chiens l'entourer, les djinns le maitriser, lui parler... jusqu'à ce qu'il perde connaissance et qu'Amy version fée tente d'intervenir, sans grand résultat.
Je veux plus voir ça ! pensai-je avec dégout, et les images à la télé changèrent aussitôt pour un champ de fleurs colorées, accompagné d'une petite musique douce pour détendre l'atmosphère. Comme si le mal n'avait pas déjà été fait.
— Est-ce que... j'ai bien entendu ? demanda Peter, brisant le silence qui s'infiltrait comme un gaz toxique. C'est qui, cette Krishen ?
Personne n'avait la réponse. Même si la vidéo était évidente, je n'osais pas lancer mon opinion, de peur de brusquer Amy. Elle était complètement sous le choc, bouche bée et les yeux écarquillés.
— Je souhaite avoir une copie de ce truc sur un DVD, dit Amy.
Presque aussitôt, un disque dans une pochette transparente apparut sur ses genoux. Amy le leva à hauteur de visage et le retourna dans tous les angles.
— C'est moi ou c'est un peu trop facile ? demanda Peter en faisant la moue. Je croyais que les vœux concernant Théo ne fonctionneraient pas.
— En fait, son nom n'avait pas été mentionné, dis-je en essayant de sourire, sans succès. Qu'est-ce que tu comptes faire avec cette copie, Amy ? Elle va probablement disparaitre demain, alors il faut agir aujourd'hui.
Amy me dévisagea pendant une seconde, puis se leva d'un bon du sofa et couru à pleine vitesse vers le placard. Le temps que je réalise ce qu'elle faisait, elle était déjà partie.
— Elle a eu une mauvaise idée, dit Peter.
— Alors on ferait mieux de la suivre ?
— Je crois !
D'un même mouvement, nous nous précipitâmes à la suite d'Amy. Nous quittâmes le monde d'à côté aussi vite que nous y étions arrivés ; c'était à peine si on y avait passé cinq minutes. C'était un peu triste, quand on y pensait. Un monde magique où les vœux se réalisent, qui pourraient avoir plus de chance que nous ? Et pourtant, j'avais l'impression que tout se déroulait sans aucune logique.
— Déjà de retour ?
Le décor avait changé en un clignement d'yeux. Nous étions à nouveau dans le bus, debout dans l'allée centrale. Le chauffeur pour observait depuis le petit miroir au-dessus de sa tête, un sourcil plus haut que l'autre.
— Faut qu'on aille chez Théo ! dit Amy en s'agrippant au banc pour ne pas tomber.
— J'ai des stops à faire avant, mais je...
— Tout de suite !
Jack grimaça en reportant son attention sur la route. Il pensait certainement à la même chose que moi en ce moment : Amy était aussi malpolie que Théo. Il l'avait contaminé. Était-ce vraiment une bonne idée d'aller le retrouver, encore ? Malheureusement, nous n'avions pas trop le choix. Et je me mettais tout de même du côté d'Amy. Théo était un con, mais il ne méritait pas ce qui lui était arrivé.
J'allai m'assoir sur le banc derrière celui d'Amy et Peter me rejoignit. Il passait nerveusement ses paumes moites sur ses jambes en se mordant la lèvre.
— J'ai un mauvais pressentiment, dit-il dans un murmure, comme s'il ne voulait pas qu'Amy nous entende.
— En quoi ?
— Je sais pas... C'est trop facile.
Il sembla vouloir ajouter quelque chose, mais se ravisa en secouant la tête. Je lui lançai un regard insistant et il m'ignora, les yeux rivés sur ses genoux.
— Tout va bien se passer, dis-je en lui serrant doucement le bras. J'en suis sure. Ce n'était pas vraiment Branda, en fait ; c'était cette Krishen. Alors peut-être que Branda est de notre côté.
— Et tu crois vraiment ce que tu dis ?
Ce fut mon tour de ne pas répondre. Non, je ne le crois pas vraiment.
Dans un mélange de hâte et d'appréhension, le bus fit ses rondes à travers la ville, puis nous mena directement devant la petite maison de Théo. Le moment était arrivé à la fois trop lentement et trop vite.
— Allez... Ça va marcher, dit Amy en se levant de son banc, le teint blême sous le stress. Il le faut.
҉
Sans surprise, Amy fut la première arrivée à la porte de Théo, harcelant la sonnette à toute vitesse. Quand nous la rejoignîmes sur le balcon, Peter et moi, personne n'avait encore ouvert.
— J'ai comme l'impression qu'il n'a pas envie de nous voir.
— Bien sûr qu'il en a envie ! explosa Amy en se retournant vers moi d'un air meurtrier, son doigt appuyant toujours à répétition sur la sonnette. Il ne le sait pas, c'est tout !
— C'est une façon de dire les choses, dit Peter en pouffant nerveusement.
Si elle avait pu lancer du feu avec les yeux, je crois qu'elle l'aurait fait. Je jugeai donc sage de ne rien ajouter, croisant les mains derrière mon dos et baissant la tête pour attendre. Ce fut deux longues minutes plus tard que la porte s'ouvrit enfin.
Théo était devant nous, l'air étrangement joyeux. Une fumée blanchâtre l'entourait et une odeur de moufette me monta au nez, me faisant tousser et grimacer de dégout. Venant de quelque part derrière lui, de la musique métal jaillissait comme du bruit à l'état pur.
— Héhé, salut ! dit Théo avec un sourire, ce qui était déjà assez suspect. C'est drôle, j'avais justement l'impression que vous alliez vous pointer. Entrez !
Amy ne se fit pas prier, courant presque pour atteindre le salon la première. Pour ma part, j'échangeai un regard nerveux avec Peter. Il ne fallait pas être Einstein pour savoir que de la drogue flottait dans l'air, littéralement. Avancer dans cette fumée de cannabis ne me donnait pas très envie, mais j'avais la triste conviction que nous n'avions pas le choix.
— Pas le choix, fit Peter dans un haussement d'épaules, en écho à mes pensées. (Il baissa le ton, avant d'ajouter :) On peu plus reculer, maintenant qu'on est là.
Je hochai la tête, prit une grande inspiration d'air frais, puis m'aventurait dans le nuage opaque qu'était maintenant la maison de Théo. Lui était au salon, écrasé dans son canapé avec une pipe à eau sur les genoux, alors qu'Amy était devant la télé, tenant toujours le DVD dans son enveloppe de protection. Elle nous lança un appel à l'aide muet et je m'avançai pour me mettre près d'elle.
— Alors, Théo, dit Peter qui s'était posté le plus loin possible de lui, par peur d'attaque-surprise. Ton père est là ? Il sera pas en colère quand il verra la boucane ? Pour un peu, on se croirait dans le repère de Snoop Dogg.
Théo explosa d'un rire débile, ses yeux rouges et gonflés plissés comme ceux d'un Asiatique. Il prit une bouffée sur sa pipe à eau, épaississant encore plus le nuage nauséabond.
— Il n'était pas là quand je suis arrivée. Il a même pas laissé de note, il a juste... disparu, dit-il en écartant les mains comme pour mimer le vide. Pour ce que j'en sais, il est peut-être allé se jeter en bas d'un pont.
Théo pouffa à nouveau, un peu moins fort que la première fois. C'était à peine s'il se rendait compte que ce qu'il disait était particulièrement glauque.
— Et si on regardait un film ? dis-je pour changer de sujet.
— Un film... ? marmonna Théo en penchant la tête vers moi. N'importe quoi, mais pas Avatar.
— Pas Avatar, promis, dis-je en me tournant vers Amy pour un peu de soutien.
Amy ne dit rien, continuant d'observer Théo avec tristesse. Je posai ma main sur son épaule et la secouai doucement. Elle sursauta, ouvrit la bouche d'un air un peu perdu, puis s'agenouilla devant le lecteur DVD de la télévision. Je m'occupai de chercher les manettes.
— Attendez, vous êtes vraiment venu chez moi rien que pour mettre un film ?
— Pas n'importe lequel, dis-je dans un murmure.
— Je veux pas regarder Avatar !
— Ça va, je t'ai dit que c'était pas Avatar !
— Rien de James Cameron.
— C'est pas James Cameron.
— Pas Aladdin non plus. Ni les Schtroumfs... Pas d'animation.
Je portai une main à mon front, commençant à perdre patience. Les vapeurs de cannabis qui flottaient autour de moi n'aidaient pas la cause, me donnant un début de mal de tête.
Enfin, Amy avait terminé de mettre le DVD. Je le fis jouer en appuyant sur play, puis allai rejoindre Peter dans son coin. Je n'avais pas envie de revoir ça une deuxième fois.
— Mais c'est quoi, ce truc de merde ?! s'exclama Théo, les yeux rivés sur l'écran. Les images n'arrêtent pas de bouger, c'est chiant ! C'est Péteur qui a filmé ?
Peter fronça les sourcils, mais je lui pris le bras pour le dissuader de répondre. Ça ne servirait à rien de démarrer la guerre maintenant. Peter fit la grimace, puis croisa mon regard. Je lui fis un sourire et un petit mouvement de tête, une conversation muette signifiant « ça va aller ». Et étrangement, il sembla comprendre le message.
Théo arrêta soudain de se plaindre. Je reportai mon attention sur lui ; il était absorbé par les images, les yeux dans le vide et la bouche bêtement entrouverte.
— C'est qu'il en a fumé de la bonne, dit Peter d'un air moqueur.
Je ne partageai pas son rire ; à l'écran, le moment fatidique était arrivé. Les révélations de Krishen et le lavage de cerveau par Branda. Puis ce fut terminé ; la télé devint noire, renvoyant nos reflets. Amy s'approcha de Théo et s'agenouilla devant lui.
— Alors, Théo ? dit-elle avec espoir. Ça te rappelle quelque chose ? T'es souvenir te reviennes ?
— Euh... Je suis pas sur d'avoir tout compris, dit-il en portant deux doigts contre sa tempe. C'était quoi, le nom du film ?
Amy ne répondit rien. Elle baissa la tête, semblant se retenir de pleurer. Tout était perdu, alors ? Si Théo ne pouvait pas retrouver lui-même la mémoire, je ne voyais pas ce qu'on pouvait faire de plus.
Amy se releva et vint vers nous, le pas trainant. Elle soupira platement, s'étouffa avec la fumée de cannabis qui flottait toujours dans l'air, puis se laissa tomber dans le fauteuil près de la fenêtre.
— Y'a plus rien à faire. J'abandonne.
Je posai une main sur son épaule, ne sachant quoi dire pour la réconforter. Le silence s'infiltra dans la pièce alors que tous les trois, nous observions Théo en attente d'une quelconque réaction.
Théo posa sa pipe à eau à ses pieds et s'installa plus confortablement sur le canapé. D'une main, il faisait rouler son briquet entre ses doigts, et de l'autre, il exerçait toujours une pression contre sa tempe. Il ouvrit la bouche, mais il lui fallut une dizaine de secondes avant de dire sa question :
— Mais ce film, c'était quoi ?
— Avatar, répondit aussitôt Peter.
C'est à ce moment exact que les yeux de Théo se révulsèrent et qu'il s'effondra sur le canapé.
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Oui, vous l'avez deviner : JE PEUX ÉCRIRE À NOUVEAU ! Ô joie ! Mais après presque trois semaines sans écrire, j'ai l'étrange impression d'avoir perdu une partie de mon incroyable talent. Les phrases ne me venaient pas naturellement, je devais passer un peu plus de temps à réfléchir à comment expliquer un moment pourtant simple... Je suppose que ça va me revenir ? J'avoue que ça me fait un peu peur...
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