Le gros souhait. Dernière partie - Amy

Ça faisait déjà une heure que Peter était parti dans l'autre monde, et pourtant, j'avais toujours mal aux jambes. Il n'y avait qu'une explication possible au phénomène : ce petit abruti m'avait oubliée.

Peter était bien connu sous ses nombreux surnoms, particulièrement Péteur et Bouboule, pour ne dire que les plus gentils, mais il n'y avait pas que son physique qui était un sujet de rigolade. Il était aussi ce qu'on appelait parfois un imbécile heureux, ou un sombre idiot, compte tenu du degré de mauvaise humeur de celui qui le dit. Pour moi, en ce moment, c'était le pire crétin de l'Histoire.

— On peut se fier à personne, de nos jours ! explosai-je à la fin du cours de mathématique.

Laureline me lança un regard intrigué. J'avais un peu cassé l'ambiance ; la conversation portait, une seconde plus tôt, sur la mode des années quatre-vingt.

— Et de quoi du parle, au juste ? fit ma meilleure amie en inclinant la tête comme un chiot.

— Péteur, dis-je d'un ton amer. Il devait faire quelque chose pour moi et ça fait depuis la fin du cours d'anglais que j'attends.

— Et pourquoi t'as demandé à lui ? Il est tellement tête en l'air, il oublie toujours tout...

Ce n'est pas comme si je pouvais demander à n'importe qui ! Hein, Laurie, tu veux bien aller dans un univers parallèle et prononcer un souhait pour moi ? Ce serait gentil !

— C'est son rôle, à Péteur, d'obéir à tout le monde, dis-je dans un haussement d'épaules.

Laureline pouffa de rire, avouant que j'avais bien raison. J'étais loin d'être la seule à avoir un jour lancé Peter dans toute sorte de missions bizarres. Toute l'école se servait de lui. Mais la honte me fit baisser la tête. Si c'était ce qui l'avait conduit au monde d'à côté, c'était bien qu'il en éprouvait une grande souffrance.

Je regardai l'heure sur ma montre ; il ne restait plus qu'un cours avant le diner. Mais attendre une heure de plus dans ce supplice — intelligente comme je suis, j'avais laissé mes cachets d'antidouleurs à la maison, ce matin — m'était insupportable. Comme on dit : on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Si je voulais mon vœu, il fallait que j'aille dans l'autre monde. Et le plus tôt possible.

— À plus tard, Laurie ! dis-je en me levant de mon pupitre alors même que la sonnerie indiquant la fin du cours s'enclenchait. Je dois faire un truc très important. On se revoit tout à l'heure.

— Attend, quel truc important ? demanda-t-elle en me suivant.

— Je peux pas te le dire, c'est un secret ! dis-je en exagérant le mystère.

Laureline me lança un regard perplexe, mais n'insista pas. Je m'éclipsai rapidement, me fondant dans la foule d'étudiants qui sortait de la classe de mathématique. Je marchai vite dans le couloir, toute ma concentration étant sur mes pieds, et je fonçai tête première dans un rideau de cheveux noirs qui m'entra dans le nez et dans la bouche. Je m'écartai en toussant, passant près de tomber à la renverse, mais quelqu'un m'attrapa par les poignets et me tint solidement, attendant que je reprenne un peu d'équilibre.

— Comment tu peux garder un tel secret alors que t'arrives même pas à faire deux pas sans t'effondrer ?

Je sentis mon cœur rater un battement. Quelqu'un m'avait démasquée ? Elle allait tout dire au monde entier ?

Je soufflai de soulagement en remarquant que ce n'était que Xilena. Elle se retenait pour ne pas rire, mais une idée sembla faire son chemin dans son esprit, car elle reprit son sérieux en un clin d'œil.

— Tu as encore mal ? Peter n'a pas fait son vœu ?

Je me dégageai de sa poigne et regardai tout autour de nous. Le couloir était empli d'étudiants qui se préparaient pour le prochain cours. Certains passaient près de nous en nous lançant des coups d'œil — particulièrement des garçons qui m'observaient d'un air qu'ils espéraient subtil. C'était bien ma chance d'être canon. Encore heureuse que je n'avais pas de belles fesses ni de poitrine...

— On peut pas parler ici. Suis-moi.

Je tournai les talons et continuai mon chemin jusqu'aux portes principales de l'école. Xilena obéit sans rechigner, mais je voyais bien qu'elle était mal à l'aise. Maintenant, c'était elle qui regardait partout.

— Ce sera particulièrement louche si on est aperçu ensemble, dit-elle.

— J'en ai pas pour longtemps. Je voulais juste te dire que, visiblement, Péteur nous a oubliés.

— Ne l'appelle pas comme ça ! Son nom, c'est Peter !

— Oh, comme tu veux ! J'ai pas envie d'argumenter. Je vais à côté. Tu viens avec moi ?

— Quoi ? Non ! Il reste encore un cours de biologie ! Il commence dans cinq minutes !

Je levai les yeux au ciel en soupirant fort, démontrant bien mon exaspération, puis tournai les talons, la tête haute et la démarche princière. Jusqu'à ce que mes jambes me lâchent et que je trébuche pour m'appuyer contre un mur de ciment de l'école. Je me redressai et époussetai mes vêtements, comme si rien ne s'était passé, et continuai mon chemin.

— Tu me fais pitié, Amy, dit Xilena sans aucune émotion dans la voix.

— C'est toi qui fais pitié, répliquai-je, les lèvres pincées.

La sonnerie annonçant le début du prochain cours dans deux minutes fit sursauter Xilena, qui lança un regard angoissé derrière elle. Par la porte toujours ouverte de l'école, on pouvait voir que tout le monde se dirigeait vers leur classe respective.

— Allez, vas-y, dis-je avec un mouvement de tête vers l'intérieur. Je le prendrais pas comme une trahison.

— Tu sais quoi ? Je vais venir avec toi.

Xilena s'avança et laissa la porte se refermer. Elle leva le menton et tira les épaules par en arrière, sûre d'elle.

— OK ! De toute façon, t'es enfermée dehors, maintenant.

— Je le suis ?!

Xilena retourna à l'entrée et tenta de l'ouvrir en poussant dedans. Mais elle abandonna rapidement, baissant la tête.

— En vrai, je m'étais pas encore décidée.

— On va dire que tu l'es ! dis-je, commençant à m'impatienter. Viens ou je pars sans toi.

Xilena fit un petit soupir contrit, puis s'avança enfin pour me rejoindre. Nous marchâmes un peu côte à côte, puis, au bout du grand stationnement de l'école, nous trouvâmes un arrêt de bus. Nous nous y assîmes et je pris mon téléphone pour chercher l'horaire du bus.

— On aurait dû regarder avant de sortir, quand même, marmonna Xilena en croisant les bras. Peut-être qu'on est en train de sécher pour rien ! T'imagines ?!

— T'as jamais séché avant, toi, hein ?

— Jamais !

Pauvre fille, pensai-je ne me retenant d'éclater de rire. Elle n'avait jamais fait autre chose qu'étudier, encore et encore. Elle en oubliait complètement de vivre.

— On n'aura pas séché pour rien, dis-je en posant ma main sur son bras. On a des vœux très importants à faire !

— Oui, mais Peter aurait dû le faire pour nous ! Et j'aurais pu être tranquille en classe !

Je soupirai en haussant les épaules, commençant à perdre patience. Tout ce que je voulais, c'était trouver le bus et faire mon vœu. Et donner un coup de pied dans le large derrière de Peter pour qu'à l'avenir, il ne m'oublie plus.

Je reportai mon attention à mon téléphone, ignorant Xilena qui continuait de stresser en se rongeant les ongles.

— Il est à l'autre bout de la ville, à cette heure, dis-je dans un grognement.

À peine ma phrase terminée qu'un bus apparut à l'angle de la rue. Il s'arrêta devant nous et ouvrit ses portes.

— C'est le bon bus ? s'étonna Xilena. C'est bien le vieux, en tout cas.

J'échangeai un regard surpris avec elle. Décidément, toutes les règles étaient faites pour être brisées.

— Alors, jeunes demoiselles, fit le chauffeur avec un grand sourire. Vous montez ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top