Le dernier jour. Première partie - Peter
La catastrophe était évitée... pour l'instant.
La soirée avait continué son cours. Alors qu'Amy et Théo étaient maintenant introuvables, toutes les conversations s'étaient misent à tourner autour d'eux, à un point que ça en devenait insupportable. Même en tentant de les ignorer, on entendait leurs noms depuis chaque coin de la salle de bal. Xilena et moi décidâmes de partir... mais pas avant d'avoir partagé une petite dance carrée sur un country retouché au dubstep.
Nous passâmes ensuite la nuit dans la maison du monde d'à côté, à discuter de tout et de rien. Le lendemain matin, c'était le calme. Un calme inquiétant, qui semblait venir de nulle part et de partout à la fois.
J'étais à la cuisine, appuyé contre l'ilot central à observer la table, perdue dans mes pensées. C'était notre dernier jour à profiter des vœux. Si je voulais un million de dollars ou des superpouvoirs, c'était le moment ou jamais. Et pourtant, tout ce qui me passait en boucle dans le crâne, comme la pire des questions existentielles, était « est-ce que Xilena préfèrerait des crêpes ou des omelettes ? Chocolat chaud ou mimosa ? Oh, je devrais tout mettre sur la table, elle n'aura qu'à choisir. »
Je fis un vœu séparé pour chaque aliment, un vœu de plus pour la décoration. Et enfin, le plus important, le vœu que tout reste à bonne température jusqu'à son réveille. Comme ça, pas de danger.
— Alors, tout s'est passé comme prévu ?
Je sursautai de peur, plaquant une main sur mon cœur sous le coup de la panique. En me retournant, je remarquai Branda, appuyé à l'encadrement de la porte qui séparait la cuisine du salon. Elle avait les bras croisés et un petit air sournois au visage.
— Tu es trop joyeuse pour quelqu'un qui ignore encore si l'un de ses protégés est mort la nuit dernière. Tu le sais sans doute déjà ; oui, tout s'est passé comme prévu. Amy a embrassé Théo et ils ont terminé la soirée ensemble à faire... ce qu'on imagine qu'ils ont fait.
— Et c'est grâce à toi, Peter. Tu as trouver la faille qui a permis à Théo de ne pas faire quelque chose d'idiot. Même moi, je n'avais pas envisagé cette option.
Je souris, me sentant plutôt fier. J'avais été plus malin qu'un djinn, ce n'était pas tout le monde qui pouvait s'en vanter. Pourtant, quelque chose me tracassait encore. Je me mordis la lèvre, me demandant si je devais vraiment ramener le sujet sur le tapis. Mais c'était notre dernière journée. Il fallait que je pose ma question, ou elle restera à jamais sans réponse.
— Je ne sais pas si Amy et Théo vont vire une merveilleuse histoire d'amour jusqu'à la fin, ou si ce ne sera que de passage. En cas de deuxième option, qu'est-ce qui me garantit que Théo ne va pas retomber dans ses idées noires ?
— Rien, dit Branda d'un air triste. Je peux voir le futur, mais pas d'aussi loin. J'ignore tout de la semaine prochaine, et je n'en sais encore moins de l'avenir de Théo. Je suis désolé, Peter, mais tu as fait tout ce que tu pouvais pour lui. Et si tu pensais un peu à toi, maintenant ? C'est ton dernier jour. Demande-moi ce que tu veux !
— Pourquoi tu fais ça pour nous ?
Branda sourit de toutes ses dents avant d'éclater d'un rire subtil.
— Ce n'était pas ce à quoi je m'attendais.
— Jack, le chauffeur, il nous avait dit une fois que vous, les djinns, tirez vos pouvoirs des vœux qu'on fait. C'est vrai ?
— Oui, fit Branda d'un hochement de tête. C'est un cercle vicieux ; je dois utiliser la magie pour être en mesure de faire de la magie. Et la magie, surtout, a sa propre logique qui est parfois impossible à comprendre. Nous devons servir les autres pour en profiter ensuite. Et maintenant, pourquoi vous quatre ? Je n'en sais rien... j'aime les humains. Ils font des vœux tellement étranges, c'est amusant à regarder. Comme quand Théodore avait transformé le dôme en champ de bataille ! Ou quand tu avais changé ton apparence. D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris pourquoi tu avais fait ça.
— Tu rigoles ? dis-je d'un air sombre. Parce que je suis laid.
Le sourire de Branda disparut de moitié. Elle s'avança jusqu'à moi et posa ses mains sur mes épaules, plongeant son regard dans le mien. Sous mes yeux, son apparence de grande blonde se métamorphosa. Elle devint cet être à la peau bleue et aux cheveux noirs qu'elle était en réalité.
— J'aime les humains, mais j'aime un peu moins la société que vous avez créé. Vous êtes tous pareils. Mais aussitôt que quelqu'un sort du moule, il est pointé du doigt. Sur votre monde, il n'y a qu'une seule espèce intelligente, et ils sont divisés par toute sorte de catégories toutes plus farfelues les unes que les autres. La couleur de peau, le sexe, l'orientation, la religion, le tour de taille... si je devais toutes les nommer, on en passerait la journée. Mais qu'est-ce que ça change, dans le fond ? Hein ? Tu le sais, toi, Peter ?
— Non, avouai-je dans un marmonnement.
— Voilà. Tu n'en sais rien. Et ça, c'est parce qu'il n'y a tout simplement aucune logique. Alors, évite d'entrer dans leurs jeux. C'est même pour ça que nos mondes se sont divisés il y a presque mille ans.
— Woh, attends... me fait pas un cours sur le médiéval, en plus de ça ! Je viens déjà de me prendre une question existentielle en pleine figure !
Branda me fit un sourire innocent avant de reculer de quelques pas. Elle leva les bras en l'air d'un geste théâtral.
— Vas-y, Peter. Souhaite ce que tu veux. Ce soir à minuit, il sera trop tard.
Branda me fit un clin d'œil et tourna les talons. Elle partait avant d'entendre mon vœu, mais je ne m'en inquiétais pas. Elle n'avait pas besoin d'être présente pour les réaliser.
Le million de dollars ou les superpouvoirs ? Oh, et pourquoi faire un choix ? Je pouvais bien prendre les deux.
Mais si je souhaite l'argent, est-ce que les fédéraux me tomberont dessus en croyant que j'ai cambriolé une banque ? Et pour les superpouvoirs, je ne risquais pas de me faire enlever par des conspirationnistes ? C'était peut-être trop dangereux.
Un bruit me fit lever les yeux vers le plafond. Branda, qui était presque arrivé à la porte, se retourna pour regarder dans la même direction.
— C'est Xilena qui se réveille enfin, dis-je.
Branda répondit d'un sourire avant de continuer son chemin. Mais une idée soudaine me vint à l'esprit. Un vœu simple qui, je l'espère, ne risquait pas de m'attirer des ennuis.
— Hé, Branda. Je sais ce que je veux.
— Oui ?
— Je souhaite... avoir le courage d'avouer ce que je pense. Quand c'est pour quelque chose de positif.
Le sourire de Branda s'élargit à ma demande. Sans rien dire, elle me fit un nouveau clin d'œil et claqua des doigts, un mince filet de fumée bleue s'échappant entre son pouce et son index. Puis elle quitta la maison, me laissant seul avec Xilena qui descendait les escaliers.
— Avec qui tu parlais ?
— Branda. Elle voulait me rappeler que c'était notre dernier jour pour faire des vœux. Hé, viens voir ! Je t'ai fait un déjeuner !
J'allai vers la salle à manger, suivi par Xilena. Elle était encore un peu fatiguée, baillant et se frottant le visage. Ses cheveux noirs étaient en pétard au-dessus de sa tête et elle avait des poches sous les yeux. Mais son regard s'éclaira en apercevant le festin qui l'attendait sur la table.
— Tout ça pour moi ?
— Principalement, mais pour moi aussi ! dis-je en riant. À moins que tu te sentes capable de tout manger !
— Oh non, t'inquiète. Je vais t'en laisser en peu.
Xilena observa longuement tous les choix qui s'offraient à elle. Finalement, elle prit une orange et me la donna avec un sourire innocent.
— Tiens, c'est ta part.
— Toi, tu as passé trop de temps avec Théo, dis-je dans un rire.
— J'ai été contaminé ! s'exclama-t-elle d'un air faussement scandalisé.
Elle croqua dans une tranche de bacon avant de s'installer sur l'une des quatre chaises.
— Maintenant qu'il s'est recyclé, il faut bien que quelqu'un le remplace.
— Non, s'il te plait ! Je peux m'en passer !
— Je plaisante, Peter ! dit-elle en explosant de rire.
Je secouai la tête en pouffant. Je ne sais pas pourquoi je l'avais cru pendant une seconde. Peut-être parce que, depuis le monde d'à côté, Théo et Amy avaient changé. Qu'est-ce qui me garantissait que Xilena n'allait pas changer elle aussi ? Et moi, est-ce que j'avais changé ?
— Tiens, dit Xilena en poussant le plat de bacon vers moi. Je vais faire la gentille et partager.
— Je te préfère comme ça, dis-je en pigeant un morceau.
Je m'assis à mon tour sur la chaise en face de Xilena. Je me servis d'un peu de tout, puis levai ma fourchette au-dessus de mon assiette, prêt à attaquer. Mais je n'arrivais pas à me lancer. Je savais que c'était le moment pour parler, de dire ce que j'avais sur le cœur. Malgré mon vœu d'avoir le courage de le faire, j'étais aussi très nerveux.
— Qu'est-ce que tu vas faire, avec ton père ? À partir de demain, tu ne pourras plus passer tes nuits ici.
Je jurai contre moi-même. Ce n'était pas du tout le sujet dont j'avais envie de discuter, mais il s'était imposé de lui-même.
Xilena soupira. Ses épaules s'affaissèrent comme si le poids du monde s'était appuyé sur elle. Puis elle engloutit une tranche entière de bacon et le sourire lui revint presque aussitôt.
— Je vais faire un vœu. Et je vais essayer de mieux le formuler que la dernière fois. J'ai encore la journée pour trouver les bons mots.
— Et tu veux quoi, exactement ?
— Qu'il me laisse vivre, dit-elle en serrant le poing sur sa fourchette. Qu'il arrête de s'inquiéter autant pour mes notes. Je veux juste un père normal...
Elle était dans ses pensées, soudainement déconnectées de la réalité. J'avais de la peine pour elle.
— Je n'ai pas connu le mien. Il est parti quand j'étais bébé. Et il ne m'a jamais manqué.
— Serais-tu entrain de me suggérer de tuer mon père ?
— Non ! m'écriai-je aussitôt. Je disais ça juste comme ça !
— Je rigole, Pete... Tu prends tout au premier degré, aujourd'hui, hein ?
Je lui fis un sourire désolé, m'évitant de répondre en mangeant mon petit déjeuner. Oui, j'étais sur les nerfs. J'essayai de le cacher, mais j'étais stressé, et Xilena en était l'unique cause.
— J'ai peur que notre amitié disparaisse en même temps que le monde d'à côté, avouai-je après un moment de silence.
Ce fut au tour de Xilena de sourire tendrement. Elle posa une main aux doigts tachés de graisse de bacon sur la mienne.
— Ça risque pas. Notre amitié est faite pour durer, dit-elle avec un clin d'œil.
— Mais j'aurais voulu que ce soit plus que ça.
Xilena haussa les sourcils et inclina légèrement la tête, l'air de dire « j'ai pas compris, tu peux répéter ? », teinté d'un vain espoir d'avoir imaginé ce qu'elle venait d'entendre. Mais qu'est-ce qui m'avait prit de souhaiter être capable d'exprimer tout ce qui me passait dans le crâne ? Je voulais avoir le courage de dévoiler mes sentiments à Xilena, et je croyais que c'était une bonne chose, étant donné que c'était notre dernier jour pour profiter du monde d'à côté. Visiblement, j'avais tout faux.
— Oublie ce que j'ai dit.
Je baissai la tête et continuai de manger mon petit déjeuner, malgré que je n'avais plus faim. Ce n'était que pour m'occuper la bouche et m'empêcher de lancer d'autre débilité.
— C'est dommage, j'ai une très bonne mémoire... Écoute, Peter. J'ai pas envie de faire comme dans les livres et les films, où les gens se rencontrent et en une semaine, c'est déjà l'amour fou. Je crois pas au coup de foudre.
— Comme Théo et Amy ?
— Ouais. Ils sont mignons, mais je suis sûr que ça va pas durer. Je suis un peu du genre pessimiste, parfois. Moi, je crois plutôt qu'il vaut mieux ne pas brûler les étapes. Alors, ne sautons pas aux conclusions tout de suite, mais je vais débuter avec ceci : je t'apprécie beaucoup. J'irais même jusqu'à dire que je te trouve cool. Est-ce qu'on a une chance ensemble ? Je sais pas. Nous verrons bien. Mais commençons par apprendre à nous connaitre un peu plus, d'accord ? Tout ce qu'on sait l'un sur l'autre, pour l'instant, ce sont nos problèmes.
Je hochai lentement la tête. La studieuse Xilena parlait des relations amoureuses en général comme un sujet d'exposé, alors que je n'avais qu'une envie ; lui avouer du but en blanc tout ce que j'avais sur le cœur. Mais je savais que c'était une mauvaise idée, et Dieu merci, j'avais précisé dans mon vœu que je ne dirais ce que je pense que pour les choses positives. Clairement, ce ne l'était pas.
— Alors... votre conclusion ? dis-je timidement.
— Conclusion : restons dans le classique et commençons par un rendez-vous avant de passer à la suite.
— Tu veux que je t'invite à un rendez-vous ? Galant ?!
— Uniquement si tu veux, bien sûr. Je ne fais que lancer des idées.
— Et... si je le faisais, tu dirais oui ?
— Tu ne le sauras pas tant que tu n'auras pas posé la question.
— Tu me stress !
Xilena explosa de rire, incapable de garder son sérieux plus longtemps. Elle se foutait complètement de ma gueule.
— Oh, je suis désolé ! Je parle comme une avocate quand je suis sous le coup de l'émotion ! Maya me le répète souvent. (Elle prit une inspiration pour se calmer, avant de relancer :) Invite-moi où tu veux et je dirais oui, Peter. J'ai envie de passer plus de temps avec toi.
Ça y est, j'étais aux anges. C'était un petit pas en avant vers une grande aventure que j'attendais depuis longtemps. Depuis aussi longtemps que je la connais, il y a plusieurs années, alors même qu'on ne s'était jamais parlé. Je l'avais toujours trouvé à la fois belle et mystérieuse, mais jamais, au grand jamais, je n'avais envisagé que ce jour arriverait réellement.
— Da... D'accord, bredouillai-je, un sourire énorme collé au visage. Tu es du genre ciné ou resto ?
— Resto, dit-elle après quelques secondes de réflexion.
— Alors je trouverais le meilleur resto de la région et je t'y inviterais.
— Et je dirais oui.
Le monde d'à côté était peut-être sur le point de tirer sa révérence, mais qui avait besoin de vœux quand tout ce que tu voulais était déjà entrain de se réaliser ?
C'est cool, la magie. Mais Xilena l'est encore plus.
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