Le bal. Première partie - Théo

J'étais éveillé, mais j'avais envie de tout, sauf de sortir de mon lit. Et si je séchais les cours, aujourd'hui ?

J'appuyai sur le snooze et remontai les couvertures au-dessus de ma tête. J'emmerde la vie, je veux dormir pour toujours. En plus, j'avais fait un rêve étrange... mais connaissant les circonstances, j'étais sûr que c'était plutôt, en quelque sorte, un souvenir refoulé de la veille. J'étais allé dans le monde d'à côté, mais Branda m'avait ramené ici, dans mon lit, où j'avais passé la nuit en mode légume. Au moins, je n'avais pas eu d'insomnie, cette fois.

Je continuai ma végétation jusqu'à dix heures du matin. J'aurais voulu faire plus, mais j'entendais au loin qu'on cognait à la porte. Je l'ignorai, enfonçant ma tête dans mon oreiller. Papa répondra... s'il est encore là.

— Théo ! Réveille-toi !

J'ouvris un œil pour apercevoir Peter, penché au-dessus de moi. Je sursautai en m'éloignant, m'aplatissant contre le mur sur lequel était appuyé mon lit.

— Peter, qu'est-ce que tu fiches dans ma chambre ?! C'est mon père qui t'a laissé entrer ?

— Non, il n'y avait personne. J'ai souhaité qu'aucune porte ne me soit verrouillée.

— Drôle de vœu, dis-je avec suspicion.

— Assez pratique, en fait ! Allez, sors de là, on à plein de choses à faire aujourd'hui.

Je levai les yeux au ciel en soupirant, puis m'étendit à nouveau dans mon lit. Hors de question. Ça ne valait même pas la peine de gaspiller mon énergie à le dire, c'était évident. Pourquoi est-ce que je voudrais trainer avec lui ? On peut bien se partager le secret du monde d'à côté, il n'était pas mon pote pour autant.

— Théo, c'est un ordre. Tu vas sortir avec moi.

— Quoi ? dis-je en le dévisageant.

— Je veux dire... sortir dehors ! Dehors, en ville, avec moi !

Je pouffai de rire, lui accordant enfin un peu d'attention. Je reconnaissais bien Peter dans sa façon de dire des stupidités de ce genre.

— Et pourquoi je ferais ça ?

— Parce que, c'est important. Crois-moi, tu vas pas le regretter.

— Qu'est-ce que t'en sais ?

— Eh bien, j'ai vu le futur, alors je peux me permettre de dire que j'ai raison.

Ça commençait à devenir vraiment bizarre. Peter avait vu le futur ? Donc, aujourd'hui ? Pourquoi se serait-il donné cette peine ? Quelque chose d'important allait forcément arriver dans les prochaines heures.

— Il va se passer quoi si je te suis ?

— Quelque chose qui ne se produira pas si je te le dis. Je te jure, j'ai vu une version où je t'expliquais tout dans les moindres détails, et... bref, faut juste pas que tu le sais. Pas tout de suite.

Moi qui croyais que ma vie ne pouvait pas être plus bizarre que ce qu'elle était déjà ! Merci, Peter, de me prouver le contraire. J'en avais vraiment besoin.

Même mon subconscient fait du sarcasme, maintenant.

— OK, tu m'as convaincu. Je suis trop curieux pour t'ignorer... Sors de ma chambre.

Peter me fit un grand sourire de fierté avant de tourner les talons et de claquer la porte derrière lui. Je soupirai en me laissant retomber dans mon lit, les bras en croix. Qu'est-ce qui se passe, maintenant ?! Je voulais juste relaxer toute la journée, et y'a Peter qui débarque pour... une histoire de futur ? Accomplir une prophétie, tien. Il se prend vraiment pour un prophète. Et moi, là-dedans ?

Tout ce que je veux... c'est culpabiliser en silence.

— Dépêche-toi, Théo ! lança Peter depuis l'autre côté de ma porte de chambre. Je sais que t'es pas en train de te préparer !

— Me provoque pas, Peter ! On n'est pas amis, toi et moi, et j'ai toujours envie de te foutre des coups de pied dans le ventre !

— Si tu me détestais vraiment, tu ne serais pas passé au-dessus de la troisième occasion de m'appeler Péteur !

J'en restai bouche bée à la répartie. Merde. Il a raison ! Qu'est-ce qui m'arrive ?

Ce fait étrange me donna enfin la force de quitter mon matelas et d'enfiler un jean. Je ressassais ce petit échange alors que je tentais de me choisir un haut. Teeshirt ou chemise ? Pourquoi je l'appelle par son nom, maintenant ? Non, pas celui-là, je le portais déjà hier. C'est pas normal ; à quel moment je me suis mis à devenir plus gentil ? Ou moins méchant ?

Bon, pas le choix... je vais prendre la chemise.

— Mon Dieu, tu as mis de la couleur ! s'exclama Peter une seconde avant que j'ouvre la porte.

Je fronçai les sourcils en baissant la tête vers mes vêtements. Un jeans noir troué, et ma chemise, noire aussi... sauf pour un dessin minuscule de crâne de bœuf dans le coin en bas à gauche, qui avait des yeux rouge rubis.

— Quoi, tu parles de ça ? dis-je en le pointant de mon pouce.

— Bah ouais. Allez, va te brosser les dents vite fait, et on sort. Oh, et apporte un manteau, ou blouson, parapluie, comme tu veux. Il va avoir une petite averse un peu avant midi, et il se trouve que tu vas te faire arroser. J'arriverais pas à te prévenir à temps parce que tu seras trop borné, comme d'habitude.

— Ton histoire de prémonition commence à être particulièrement bizarre, Péteur.

— Je vais faire comme si j'avais rien entendu ! Je sais que c'était uniquement dans le but de me contredire, parce que dans le fond, je sais aussi que tu me considères comme un ami, tu l'as dit toi-même hier.

— C'est pas vrai.

Mais avait raison, je me souvenais bien de la scène. Et comment j'avais fondu en larme devant tout le monde juste après. La honte me fit monter le rouge aux joues et je tournai les talons pour que Peter ne le remarque pas.

J'allai à la salle de bain pour en ressortir cinq minutes plus tard, puis j'attrapai Peter par le bras et l'entrainai dehors avec moi. Je le lâchai qu'une fois sur le balcon, vérifiant que la porte était bien verrouillée et les clés dans ma poche, avant de prendre la direction du centre-ville. Je ne savais même pas si c'était par là qu'il avait l'intention de se rendre, mais il faut croire que oui puisqu'il me suivait.

— Maintenant, tu vas me dire ce qui va se passer ?

— Non. Mais tu vas comprendre en voyant le premier magasin où je vais t'entrainer. Eh, t'as pris ton portefeuille, au moins ? (Peter plissa les yeux en m'observant de haut en bas.) T'as pas pris de blouson, hein ?

— Oui, j'ai mon portefeuille. Et tu vas te tromper, parce qu'il n'y a pas un seul nuage dans le ciel. Il va pas pleuvoir à midi.

— Quand je disais que t'étais trop borné...

Je lui lançai un regard noir et Peter se tut aussitôt, les yeux braqués sur ses pieds. Étrangement, j'eus honte de mon comportement. Et je fus tout aussi perplexe d'avoir honte. Qu'est-ce qui se passait avec moi ? J'avais des réactions bizarres depuis tout à l'heure...

Je m'efforçai de penser à autre chose. C'était une belle journée, à température idéale. On se serait cru au milieu de l'été, alors que nous avions encore un mois de printemps à traverser. Toute une colonie de pinsons vola loin au-dessus de nos têtes en gazouillant. De l'autre côté de la rue, sur le trottoir d'en face, une femme en habit de sport faisait son jogging avec son gros chien golden. Les branches des arbres, déjà bien fournis de feuilles, nous faisaient de l'ombre.

Et pourtant, j'étais morose.

Même Peter était nerveux. Il était venu lui-même me chercher, mais je sentais son regard sur moi dès que je tournais la tête, comme s'il était convaincu que j'allais tenter quelque chose à la première occasion.

— À quoi tu penses ?

— Rien, j'observe, répondit Peter. Il est joli, ton quartier... Tu sais, Théo, tu t'en rends peut-être pas compte, mais c'est important, ce que je fais. Tu vas m'aider à aller jusqu'au bout de cette journée ? Et tu vas faire tout ce que je te demande ?

— Encore si tu me disais pourquoi !

Peter secoua la tête en soupirant.

— Tu vas comprendre au premier magasin. Rendu là, on sera trop loin pour que t'ailles l'ambition de retourner chez toi. Alors seulement, je t'expliquerais.

C'était bizarre. Mais, malgré moi, réaliste. Je n'avais jamais eu aussi peu d'ambition. Pour un peu, je me sentais prêt à m'allonger sur la route au premier signe de fatigue.

Nous continuâmes notre marche dans le silence. Peter était nerveux, moi seulement résigné et à peine curieux. Une bonne demi-heure passa avant que nous soyons au centre-ville. Les voitures étaient plus nombreuses ici, il y avait plus de bruit et c'était agressant. J'aurais préféré quitter la place au plus vite et retourner au calme de ma chambre. Mais comme l'avait prédit Peter, je n'avais plus la force de faire demi-tour. Tout ce que je pouvais faire, c'était de le suivre jusqu'au premier magasin.

C'était un magasin de vêtements. Deux vitrines, une de chaque côté de la porte en tourniquet, montraient des habits chics, costumes et robe de soirée. Peter s'aventura à l'intérieur et se dirigea vers le coin pour homme.

J'étais de plus en plus nerveux. Qu'est-ce que je faisais ici ? C'était quoi, son plan, à Peter ?

— Hé, tu m'expliques, maintenant ? T'avais dit que tu le ferais.

Peter s'arrêta de marcher et se retourna vers moi. Il lança un regard à la ronde, s'assurant que personne ne pourrait nous entendre, puis m'entraina un peu plus loin entre des rangées de vêtements chics.

— Ce soir, on va aller au bal.

Ma réaction fut immédiate : j'explosai de rire. Je serrai mes bras autour de mon ventre, presque en suffoquant, alors que Peter attendait patiemment que je me calme.

— Je vais pas aller au bal ! dis-je, tremblant sous l'effort de reprendre mon sérieux. C'est un truc de fille !

— Ah ouais ? Et qui, tu crois, va être là pour faire danser les filles ? Je te jure, Théo, tu viendras et ce sera la plus belle soirée de ta vie.

— On n'est pas dans un Disney, Péteur, dis-je, commençant à m'énerver.

— T'es sur ? Moi qui étais convaincu qu'on était dans un remake d'Aladdin... Je sais, ça te parait cucul à souhait, mais c'est la seule solution à...

Il soupira, sans terminer sa phrase.

— À quoi ?

— À ça.

— À ça quoi ?

— Arrête, je peux pas le dire maintenant ! Tu vas faire le contraire si je te le dis ! S'il te plait, Théo... Je sais bien qu'on n'est pas ami et que tu me détestes pour l'unique raison que j'entre pas dans les standards de beauté imposée par l'industrie de la mode, mais tu connais le monde d'à côté et tu sais que les vœux sont réels. Alors si j'ai fait un vœu qui m'a permis de voir comment se termine cette soirée, et que la meilleure solution est d'aller au bal, tu pourrais au moins, par politesse, avoir un doute sur le fait que je dis peut-être la vérité !

Il m'avait bouché. C'était la première fois que Peter s'affirmait de la sorte, et il fallait avouer que c'était un peu intimidant. Il avait beau être minuscule à côté de moi, son petit discours m'avait bien secoué. Il avait raison ; je connais les vœux, je sais qu'ils sont réels. Alors pourquoi je m'obstine à ne pas le croire ?

— Vous avez besoin d'aides, messieurs ?

Je levai les yeux vers l'homme qui s'avançait vers nous. Il était en jean, mais portait une chemise et un haut de costume, ses cheveux sombres étaient parfaitement gommés par la quantité de gel qu'il avait surement mis, et il avait un ruban à mesurer autour du cou. Le cliché du styliste gay.

— Ouais, la perche n'arrive pas à trouver quelque chose d'assez grand pour lui, dit Peter qui me lançait toujours un regard noir. Problème de longueur... et moi, de largeur.

— On n'a pas encore commencé à chercher, répliquai-je en lui renvoyant le même regard.

— Oui, on a déjà fait le tour. Dans mon vœu.

Bien sûr. Il avait vraiment vu chaque aspect de cette journée, il en connaissait tous les détails. Il fallait avouer qu'il avait fait fort, Peter, mais je n'étais pas prêt à le dire à voix haute.

Le vendeur, sans comprendre la dernière partie du commentaire de Peter, dérouta son ruban et le fit pendre de ma hanche jusqu'à mes pieds.

— Jeune homme, il va vous faut du sur mesure, dit-il en accordant à peine un regard au chiffre.

— Ça va me couter un bras.

— Et une soirée de rêve, intervint Peter.

— Oh, très bien ! J'ai apporté la carte de crédit de mon père, de toute façon.


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