Le bal. Dernière partie - Amy
J'avais entrainé Théo loin de la bagarre. Je me doutais qu'un surveillant allait bientôt se pointer et je préférais éviter qu'il se fasse renvoyer alors que la soirée venait à peine de commencer, et surtout, que rien n'était sûr de la façon dont elle allait se terminer. Tant de possibilités étaient encore à envisager...
Serrant toujours la main de Théo dans la mienne, je l'emmenais dans la salle du bal avec l'intention de le cacher parmi la foule pour qu'on puisse être tranquille. Mais en traversant le dance floor, il y avait tellement de gens qui sautaient et se dandinaient sur la musique que c'était pratiquement impossible de passer. Je devais jouer des coudes, mais je n'étais pas la meilleure pour ce genre d'exercice.
— Théo, il va falloir que tu m'aides, dis-je en me retournant pour lui faire face.
Il était encore perdu dans ses pensées. Il regardait tout autour de lui, l'air de se demander comment il s'était retrouvé ici.
— Théo ! répétai-je plus fort en le prenant par les bras. Bouge-toi, un peu !
— Mhh ? Oui... C'était quoi, ta question ?
Garde ton calme. Tout va bien aller. Que l'autrice soit avec moi.
J'inspirai, prête à hurler au-dessus du bruit. Tout ce que je voulais, c'était de nous trouver un coin tranquille pour discuter !
— J'ai dit : je veux que tu te bouges !
Pour un horrible timing, la musique s'était arrêtée au même moment que j'avais crié ses mots. Tout le monde me regardait d'un air intrigué, puis stupéfait en se rendant compte que j'étais avec le grand et terrible Théo. Que nous étions tous les deux en vêtements de soirée, que je le tenais par les bras, tout près l'un de l'autre, et que nous étions sur une piste de danse alors qu'un slow commençait à jouer.
Oh mon Dieu.
— Bouger ? Dans quel sens ? demanda Théo. Tu veux danser ?
— Euh... je, euh...
Les notes s'enchainaient. Les couples se formaient autour de nous alors que j'étais toujours figée devant Théo.
— Oui ou non ? insista Théo en me présentant sa main.
Parmi tous ces gens qui nous encerclaient, certains avaient de véritables démons. Alors que j'hésitais encore sur la meilleure chose à faire, quelqu'un me poussa dans le dos et je tombais dans les bras de Théo. Il m'entraina aussitôt dans la danse, bougeant sur le rythme lent de la mélodie. Je me laissai faire, me sentant un peu obligée. À l'intérieur, j'étais à un niveau de stress astronomique.
— T'as pas l'air à l'aise. Je croyais que tu voulais, mais on peut arrêter...
— Non, non ! C'est pas ça ! C'est juste...
Je lançai un regard à la ronde. Tous les danseurs nous observaient du coin de l'œil.
— Oh, tu as honte de moi.
— Non, Théo... Enfin, c'est gênant. Disons que nous avons chacun notre réputation et qu'on est, en ce moment, littéralement sous le feu des projecteurs.
— Tu as l'habitude d'être la petite princesse au bras du mec le plus canon. Ce qui bloque, c'est que je ne le suis pas.
Théo grimaça et baissa la tête. Ses airs lunatiques étaient revenus. Il s'arrêta de danser et fit un pas pour s'éloigner, mais je l'attirai à nouveau vers moi, la peur au ventre. Il ne fallait pas qu'il parte, ou qui sait ce qu'il ferait ?
Surtout, je ne voulais pas qu'il parte.
— Tu dis n'importe quoi, m'énervai-je. J'en ai rien à faire des autres.
Je posai mes mains sur ses épaules et l'entrainait de gauche à droite, en rythme avec la musique. Théo soupira platement avant de me prendre par les hanches, se laissant emporter.
— À qui tu essaies de le prouver ? À eu ou à toi-même ?
— Je veux le prouver à tout le monde, parce que c'est vrai ! Oui, au départ, c'est ce qui m'a stressée ; qu'on nous voie ensemble. Pendant une ou deux secondes, rien que le temps d'assimiler que c'était réellement en train de se passer. Mais là, oui, c'est bel et bien le cas, mais je veux seulement en profiter autant que possible. Mais il y a encore deux choses qui me font peur, et la foule qui nous entour n'en fait pas partie. Premièrement, j'ai peur de perdre l'usage de mes jambes, de tomber et de me ridiculiser... OK, celui-là inclut peut-être un peu la foule. Et deuxièmement, j'ai peur pour toi ! J'ai peur que tu fasses une bêtise.
Le silence perdura pendant quelques longues secondes, le temps d'un regard intense entre nous. J'avais la vague impression que je n'aurais pas dû dire ça, mais le mal était fait.
— Quel genre de bêtise ? J'ai déjà envoyé mes trois meilleurs amis au tapi. Je suis même à peu près sûre qu'en ce moment, nous ne sommes plus amis...
— Ce n'est pas d'eux que je voulais parler.
— Quoi, alors ?
Je secouai la tête, essayant de trouver une échappatoire à ce sujet délicat. Ma bouche avait agi plus vite que ma pensée.
— Ne réponds pas, dit Théo. Laisse-moi deviner. Cette fameuse bêtise, ce serait la même que Peter avait vu dans le futur, pas vrai ? Il a consacré sa journée à m'entrainer avec lui dans tous les coins de la ville pour me préparer à cette soirée. Mais tout ce qu'il m'a dit, c'est que ça me concerne. En considérant que Peter ne me porte pas particulièrement dans son cœur, il fallait vraiment que ce soit un sujet sérieux pour qu'il se donne tant de mal.
— C'est vrai, murmurai-je malgré moi.
Théo me fit virevolter rapidement et me ramena à lui, le sourire aux lèvres. Il se pencha à mon oreille avant d'enchainer :
— Vous croyez tous que je vais me suicider.
Les larmes me montèrent aussitôt aux yeux. Il le déclarait avec tant de légèreté, comme s'il avait pris sa décision depuis longtemps et que rien ne pourrait plus l'en empêcher.
Je lançai un regard angoissé autour de moi. J'avais fait ou dit quelque chose de mal, et la seule chance qu'il me restait d'arranger le coup, c'était de demander à Peter. Lui, il savait tout de cette soirée. Il fallait que je le retrouve. Mais la piste de danse était toujours de prise par tous ses couples qui se balançaient sur le slow, et je n'arrivais pas à voir où il était.
— Tu fais quoi, Amy ? fit Théo en m'attirant un peu plus contre lui. Tu cherches à me fuir ? Tu as peur de moi, hein ?
— J'ai peur pour toi, dis-je en plantant mes yeux dans les siens. Je veux pas que tu partes.
— On se connait depuis six jours. Si tu as pu vivre tout ce temps sans moi, tu peux encore.
Théo fit mine de s'éloigner, mais je resserrai ma prise sur ses épaules et me rapprochai de lui.
— Théo, je sais pourquoi tu fais ça. Tu te crois responsable de la mort de ta mère, mais c'est faux ! Je sais ce qui s'est passé.
Toutes sortes d'émotions traversèrent son visage. Il s'arrêta de danser pour me dévisager. Je baissai les yeux, me maudissant encore une fois d'avoir cafeté. Je savais parfaitement ce que j'avais le droit de dire ou non, mais c'était plus fort que moi, les pires sujets sortaient malgré moi.
— De quoi tu parles, Amy ?
J'essuyai une larme au coin de mes cils. Qu'est-ce qu'il me restait à faire ? Un mot de plus et il allait se précipiter dans le monde d'à côté pour tuer Krishen.
— Amy, dis-moi ce que tu sais.
Théo posa ses mains sur mes épaules et s'approcha un peu plus de moi. Sous le regard intense qu'il me lançait, je ne pus résister plus longtemps ; j'éclatai en sanglots.
— Tu vas faire une connerie, si je te le dis ! Et tu vas mourir ! Je veux pas te perdre... Je t'aime, Théo !
Pour la troisième fois en moins de trois minutes, ma bouche avait été plus rapide que ma pensée. Je figeai totalement, me demandant si fuir à toute jambe jusqu'au monde d'à côté et souhaiter recommencer cette journée du début serait une option envisageable.
L'autrice se payait ma tête. C'était la seule raison possible.
— Heu... vraiment ?
— Vraiment ?! répétai-je en lui donnant un coup de poing dans l'épaule. C'est ça, ta réaction ?!
— Je sais que tu dis ça rien que parce que t'es désespéré. Tu ne le penses pas.
Il y a une seconde, je voulais effacer ce que j'avais dit. Mais maintenant, j'étais surtout indignée qu'il ne me crût pas. Il avait raison, en un sens ; j'étais désespérée. Mais je n'avais pas menti !
Il n'y avait plus rien à dire pour la cause. S'il n'avait plus confiance en mes paroles, il ne me restait qu'une seule chose à faire ; lui démontrer par les gestes. Je me hissai alors sur la pointe des pieds, passai mes mains derrière son cou et l'embrassai avec force.
Je sentis Théo se raidir par la surprise, mais il se détendit ensuite pour enrouler mon corps de ses bras. Le moment s'éternisa, le temps s'arrêta... je n'arrivai pas à réaliser ce qui était en train de se produire.
Je m'éloignai pour reprendre mon souffle, l'esprit embrouillé. Ça y est, j'ai embrassé Théo.
Je risquai un regard de côté vers les danseurs qui nous entouraient. La musique avait cessé entre deux morceaux, et tout le monde était immobile à nous observer avec le même air incrédule. Certains avaient leurs téléphones en main.
Théo posa ses doigts sur ma joue et me força à le regarder. Ses yeux bruns brillaient. Toutes pensées sombres qui l'habitaient il y a encore une minute semblaient avoir disparu.
— Je te crois, maintenant. J'ai eu la preuve.
Il s'efforçait de rester sérieux, mais les coins de ses lèvres se soulevaient malgré lui. Il était incapable de s'empêcher de sourire, et je trouvais ça trop mignon.
— Alors tu ne vas rien faire d'idiot aujourd'hui ? dis-je d'un ton innocent.
— En ce moment, la vie trop belle pour de telles extrémités...
Théo me serra à nouveau dans ses bras avec force, posant sa tête sur mon épaule et une main sur mes cheveux. Je me laissai faire avec joie, me lovant contre lui en fermant les yeux.
— Je suis bien heureux que Peter m'ait forcé à venir, finalement... Alors c'était son plan depuis le début ? Sale con.
J'éclatai aussitôt de rire. Malgré toutes nos péripéties, Théo restera toujours Théo.
— Et si on allait ailleurs où on sera plus tranquille ? Pour parler, ajouta-t-il précipitamment.
— Ouais, bien sûr, pouffai-je. Pour parler.
Théo me prit par la main et m'entraina hors de la salle. Cette fois, la foule nous laissa passer, nous dévisageant comme si on était des célébrités.
Un peu plus loin, assis à une table, Peter et Xilena souriaient et nous applaudissaient.
Ça en faisait au moins deux qui étaient heureux pour nous.
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