... et celui d'à côté. Première partie - Amy
Ça faisait des heures que je roulais sur moi-même, incapable de m'arrêter. Ou peut-être que ça n'avait duré qu'une minute, mais c'était l'impression que j'avais eue. Quand je m'arrêtai enfin, j'étais étendue sur le dos, les bras en croix et le souffle court, les yeux rivés au ciel. Je sentais mes jambes envahies de fourmis et je savais que ce n'était même pas la peine d'essayer de me relever.
C'était toute une chute ! Heureusement que ce ne fut que de l'herbe. Je tournai la tête vers la pente, sur ma gauche, mais le terrain était plat. À droite... plat aussi.
Une drôle d'impression me tordit l'estomac. Je me mis assise, regardant dans toutes les directions. J'étais au milieu d'un champ totalement vierge, encore plus que moi — non, autrice, efface ça ! — il n'y avait absolument rien à voir. Pas de colline ou de petits reliefs à l'horizon. En l'air, il y avait le ciel, avec le soleil à quarante-cinq degrés vers l'ouest, et en bas, il y avait ce terrain plat.
Là, je commençai à paniquer. J'étais au milieu d'une ville surpeuplée il n'y a pas une minute. Est-ce que j'avais été, genre, téléporté dans un Tolkien ? Tant qu'à être au beau milieu d'une terre, autant que ça soit la Terre du Milieu, nah ?
Peut-être aussi que je m'étais fracassé le crâne et que j'étais morte. Alors, ils sont où, les anges ?
— Amy ?
Oh, merde ! Un ange !
Je tournai précipitamment la tête vers la voix tout en laissant échapper un petit couinement de souris. Mais ce n'était que Théo, à quatre pattes près de moi. Des trainées vertes et des déchirures avaient détruit son costume, mais il me regardait droit dans les yeux avec inquiétude. Ce qui était probablement une preuve de plus que j'étais morte.
— Amy ? répéta-t-il après un moment. Tu vas bien ? Tu as l'air un peu... à l'ouest.
— Ah ! Non, je vais bien ! Je... me suis cogner les deux genoux contre des cailloux, je vais rester allonger le temps que ça passe, dis-je tout en hochant la tête, comme pour me convaincre moi-même.
— OK. Et, euh... tu sais où on est ?
— Dans les profondeurs de mon esprit, je crois bien. Ou en Terre du Milieu. Y'a probablement pas que mes genoux que je me suis cognés.
Théo plissa les yeux et regarda autour de lui. Il avait l'air étrangement inquiet pour une projection de mon cerveau, et je me sentis sur le point de me remettre à paniquer alors que l'idée que j'étais peut-être parfaitement consciente faisait son chemin dans ma tête.
— Tu as foncé dans les roses, expliqua Théo. On devrait être dans un parc pour enfant, en ce moment.
Théo ouvrit la bouche comme pour ajouter quelque chose, mais se ravisa à la dernière seconde. Il se leva et tourna sur lui-même. Il semblait nerveux, comme un lion dans une cage. Il serrait et desserrait les poings.
Alors que je m'apprêtais à lui demander s'il se sentait bien, Xilena apparut derrière lui comme par enchantement. J'écarquillai les yeux, sans plus rien comprendre. C'était comme si une brume épaisse s'était soudainement écartée, révélant une petite Chinoise comme dans un manga. Et presque aussitôt, ce fut le tour de Peter.
Théo s'était retourné en même temps que celui-ci faisait son entrée. Il avait pleinement assimilé ce qui se passait, à savoir qu'on avait été victime d'un caprice de mon autrice, et visiblement, il avait peur. Sans prévenir, il enfonça son poing sur le nez de Peter, puis l'attrapa par le col de sa veste pour l'empêcher de tomber en arrière. Une vague de sang jailli sur le visage du petit gros et Xilena bondit de côté pour s'éloigner des garçons, étouffant un cri derrière ses mains en coupe.
— C'est ta faute ! hurla Théo en le secouant. Qu'est-ce que t'as fait, exactement ?! C'est ta faute si le bus s'est arrêté ici, et c'est toi qui as poussé Amy ! Où est-ce que tu nous as emmenés, Péteur ?!
— Lâche-le ! m'exclamai-je en me relevant sur mes jambes chancelantes. Tu ne crois quand même pas qu'il aurait, quoi, un genre de pouvoir magique ? Tu t'es grillé un circuit, Théodore !
Théo se retourna aussitôt vers moi, une flamme meurtrière dans les yeux. C'était connu autant que sa personnalité ; il détestait son prénom. Mais sa même réputation affirmait qu'il n'avait jamais fait de mal à une fille, et j'osais espérer que c'était un fait.
Étonnamment, toute sa colère s'évapora en une seconde. Il hocha vaguement la tête, lâcha Peter qui tomba sur les fesses en gémissant et se tâtant le nez, puis s'éloigna de quelques pas pour se remettre à tourner sur lui-même.
J'échangeai un regard avec Xilena. Celle-ci était immobile comme une statue, toujours figée les mains en coupe devant sa bouche. Il n'y avait que ses yeux qui filaient de droite à gauche.
Je commençais à être très inquiète. On aurait dû être dans un parc pour enfant, près d'un banc tout simple, avec son petit rosier derrière. Rien de tout ça n'était logique.
Et comme je me faisais à cette réflexion, le paysage apparut enfin. Le banc et le rosier, le parc et les enfants sur les toboggans, les adultes un peu plus loin à les surveiller. La pente qui montait sur un mètre cinquante, plus ou moins, jusqu'au trottoir et au reste de la ville. Une petite clôture protégeait d'ordinaire la descente, mais juste à l'endroit où j'étais tombée, il y avait un trou, comme si elle avait été cassée et pas encore réparée.
— Que... s'étonna Théo qui s'était arrêté de faire les cent pas.
Nous étions tous estomaqués. Il n'y avait que lui pour parvenir à lâcher un mot.
— Je comprends plus rien, marmonna Xilena d'une voix plaintive.
—Regardez, fit Peter en levant un doigt, son autre main serrant toujours son nez enflé.
Je me tournai pour voir ce qu'il pointait. Le vieux chauffeur de bus arrivait vers nous, un petit pas à la fois sur la pente tout en soufflant comme un bœuf, le poing crispé contre son cœur. Je fus tentée de l'aider, mais je préférai épargner mes jambes. Xilena toujours figée et Peter les fesses dans l'herbe à éponger le sang sur son visage, il n'y avait que Théo en état de faire quelque chose. Mais Théo, bien sûr, il ne fallait pas trop lui en demander. Il se contentait de regarder l'homme approcher avec un air dédaigneux et j'eus peur pendant un instant qu'il se précipite sur lui pour le tabasser.
— Ah... les jeunes... souffla le chauffeur en essuyant la sueur sur son front. Il ne faut pas s'éloigner ! L'un d'entre vous est peut-être blessé. (Il plissa les yeux en nous observant tour à tour, mais ne sembla pas remarquer Peter qui était visiblement blessé.) Vous allez tous bien ? Personne ne s'est cogné la tête ? Même si ça ne fait pas mal, il faut le dire !
—On a traversé un rosier, dit soudain Xilena.
Le chauffeur eut une grimace d'incompréhension. Il baissa le regard vers la plante, le releva vers Xilena, l'abaissa à nouveau. Puis un grand sourire éclaira son visage, dévoilant un dentier d'un blanc étincelant. Il fit un pas de côté pour s'appuyer sur l'épaule de Théo, qui s'éloigna aussitôt au risque de laisser tomber le vieillard.
—Ah, j'ai compris ! J'ai compris ! D'accord ! Alors... je retourne au bus, je vais vous y attendre. Prenez tout le temps que vous voulez, ça n'a pas d'importance. N'oubliez pas d'emprunter le même chemin au retour.
L'homme repartit d'où il était venu et remonta la pente lentement et sifflotant. Il grimpa les trois marches de son véhicule, le capot toujours encastré dans un lampadaire, et s'assis sur le siège du conducteur. Il prit un magasine qui trainait non loin, le feuilleta rapidement, puis referma les portes en tirant sur une manette.
— J'ai une explication toute simple ! s'exclama Xilena. On a eu une hallucination collective, du fait qu'on a eu le même accident. Et le vieux, il est juste sénile.
Xilena hocha vigoureusement la tête comme pour se convaincre elle-même, balançant ses cheveux noirs dans un sens et dans l'autre, puis tourna les talons pour s'éloigner.
— Eh ! Où tu vas ? m'écriai-je.
— Je retourne chez moi ! Faut que je révise pour l'examen de mardi !
Puis elle se mit à courir, désireuse d'arriver le plus tôt possible. Elle traversa l'aire de jeux des enfants, qui semblèrent à peine la remarquer.
— On a un examen mardi ? s'affola Peter.
— Juste un petit test d'anglais.
Peter leva les yeux au ciel, comme impressionné du cas de cette fille.
— Bon, je vais y aller aussi... avant que Théo ne sorte de sa transe et décide de m'arracher le nez.
Théo tourna la tête vers Peter à l'entente de son prénom, mais lui s'éloignait déjà au pas de course, par peur de se faire pourchasser. Théo restait bêtement là à le regarder partir, triturant ses boutons de manchette d'un air anxieux.
— Je suis le seul qui se souvient avoir vu un... un champ désertique, ici, y'a pas une minute ? Enfin, tu l'as vu toi aussi, hein ? se reprit-il en me faisant face. Je veux dire... non... non, c'est le stress, j'ai, euh... Xilena avait raison, c'était qu'une banale hallucination. Pas que les hallucinations sont banals, j'en ai jamais eu avant ! Mais là, clairement...
— Ça va, arrête de parler ! Ta nervosité me rend nerveuse !
Théo ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Puis il souffla d'un coup tout l'air de ses poumons, tourna les talons et s'engagea sur la pente.
— Oh, mais tu t'en vas toi aussi ?
— Faut que je rentre à la maison !
Théo me lança un coucou de la main, longea le bus et disparut de ma vision, éclipsé par les arbres le long de la route.
Et voilà, retour à la normalité ? Je regardai tout autour de moi, à la recherche d'indice. De quoi, exactement, je n'en étais pas vraiment sûre, mais pour ma complète incompréhension, tout semblait être à sa place. Les enfants jouaient dans le parc sous la surveillance de leurs parents. Le soleil continuait de décliner lentement dans le ciel. Et le chauffeur lisait toujours son magasine dans son bus, à nous attendre. C'était ce qu'il faisait vraiment ? C'était du moins ce qu'il avait dit, mais il risquait d'attendre longtemps.
Oh, et à quoi bon ? Je pouvais bien retourner chez moi aussi. Il ne devait plus me rester que quelques minutes de marche avant d'arriver à la maison, mes jambes sauront bien me porter jusque-là. Et je devais m'arrêter de m'inquiéter pour rien, car plus j'essayai de repenser au champ complètement vide, plus cela me semblait impossible. La théorie de Xilena était parfaitement plausible : une hallucination causée par le choc de l'accident. Affaire classée.
҉
De retour à la maison, j'avais foncé vers la cuisine pour manger quelque chose. Malgré le souper qui devait être bientôt prêt, j'étais affamée. Mes parents n'étaient pas là, mais je ne m'en inquiétais pas ; ils étaient peut-être sortis acheter quelques aliments manquants pour le repas, ce qui arrivait souvent. Je profitai de leur absence pour voler un biscuit aux pépites de chocolat, je le cassai en deux et m'enfournai un gros morceau. Je voulais le manger aussi vite que possible pour éviter que mes parents ne me prennent la main dans le sac, mais contre ma propre volonté, je recrachai tout au sol, une main sur mon ventre.
— Eurk ! m'écriai-je bien fort.
Je frissonnai de dégout, puis me penchai au-dessus de l'évier pour continuer à cracher ce que j'avais dans la bouche. C'était la chose la plus répugnante que je n'avais jamais goutée !
Après avoir fini de cracher, je me déchirai un bout de papier essuietout pour nettoyer mon dégât. Bien que ce fût plutôt déplaisant à observer, je restai là, accroupie devant mon biscuit. C'était ma marque préférée, et j'en avais mangé ce matin même. Pourquoi celui-là était-il si immonde ? Il avait peut-être pris l'humidité, mais cette explication me semblait un peu bancale.
Capitulant, je nettoyai et allai m'assoir au salon pour regarder la télé, mais elle ne voulait pas s'allumer. La télécommande ne répondait pas. Je me levai à nouveau pour appuyer moi-même sur le bouton, mais rien à faire.
Bon, OK ! L'autrice s'acharne sur moi !
Je pris mon téléphone dans l'idée d'envoyer des messages à mes amis, mais je me souvins à temps qu'elles me croyaient à l'hôpital. Alors je voulus aller sur les jeux... et il refusa de s'allumer.
— Ah, bon sang ! hurlai-je en laissant tomber l'appareil sur le canapé.
Qu'est-ce qu'il me restait à faire, maintenant ?
Je lançai une œillade à la ronde, puis m'arrêtai devant l'étagère de bibelot de ma mère. Entre livre de recettes de Ricardo et de comment pousser ses propres légumes, il y avait bien quelques Danielle Steel et Nicholas Spark. J'en pigeai un au hasard et regardai la quatrième à la recherche de résumé... il n'y en avait pas. J'ouvris au milieu, la page était totalement blanche. Une fin de chapitre ? Je tournai les suivantes, une deuxième, une troisième... Les fis défiler du début à la fin. Il n'y avait absolument aucun mot.
Bon... peut-être que ce n'est qu'un carnet de notes vierge avec une couverture de roman. Mais le doute pesait lourd dans ma poitrine. Ça commençait à faire beaucoup de coïncidence.
Pour une dernière tentative, j'allai dans ma chambre et pris l'un de mes propres livres. Je n'en avais pas beaucoup, n'étant pas une grande adepte de littérature, mais pour ceux que j'avais, je les connaissais tous très bien. Je pris ma lecture du moment et l'ouvris où j'avais laissé mon signet. À la page cent-cinquante et quelque chose, selon mes souvenirs. Au début du chapitre quatorze.
Lui aussi, il était vide.
Là, j'abandonnai la cause. Il y avait définitivement quelque chose de bizarre.
En fait, tout avait commencé avec le champ. Si je m'écoutais, j'y irais tout de suite en courant. Mais mes jambes se refusèrent à cette idée, et je décidai de m'allonger sur mon lit, souhaitant que ce cauchemar se termine rapidement.
J'en parlerai avec mes parents à leur retour. Eux sauront ce qu'il se passe.
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