... et celui d'à côté. Deuxième partie - Peter
Je me sentais comme un zombie, abruti par tout le sang qui m'était sorti du nez. Je tanguais d'un sens et dans l'autre en marchant sur le trottoir, une main devant mon visage pour éviter que les passants ne remarquent mon petit problème. Mais étrangement, sur les dix minutes à pied qui séparaient ce parc à mon chez-moi, je n'avais croisé personne. Il y avait bien des voitures dans la rue, mais j'avais beau plisser les yeux, je n'avais su y voir aucun conducteur. Un peu comme si j'avais atterri dans une ville fantôme. C'était flippant.
Le coup de poing de Théo m'avait affaibli le cerveau, je crois. À quoi aurai-je dû m'attendre, avec lui ? J'avais baissé ma garde pendant une seconde — une toute petite seconde ! — et il avait sauté sur l'occasion comme un alligator sur un nageur. Cette grosse brute n'existait que pour me faire souffrir. Ne se lassera-t-il donc jamais ? Il ne pouvait pas se trouver de meilleures occupations ? Qu'il s'achète une Xbox, tien. Ça lui fera du bien — et à moi aussi.
J'étais enfin de retour à la maison. La voiture de ma mère était dans l'allée et je grognai d'ennui, songeant qu'il n'y aurait cette fois aucun moyen de lui cacher mon accrochage. Peut-être que je pourrais dire que je suis tombé de vélo ? Ça expliquerait bien pourquoi je ne l'avais pas avec moi. Je me suis cassé le nez, et j'ai tordu une roue de mon vélo. Je me sentais trop étourdi pour avoir la force de le trainer jusqu'ici.
Ouais, ça ferait l'affaire. Ma mère était parfois un peu naïve, pour rester poli.
Je soupirai, nerveux, puis tournai la poignée de la porte blanche de notre petite maison. Je fis deux pas sur le seuil, regardai longuement de gauche à droite, puis courus sur la pointe des pieds jusqu'à la salle de bain.
Je me figeai en voyant enfin mon reflet dans la glace. J'avais une barbe et moustache style Tony Stark de sang séché. Même si je ne m'étais jamais trouvé beau, là, il fallait dire que je faisais pitié. Je me pris une débarbouillette et la mis sous l'évier pour la mouiller, mais rien n'en sortit. Je tournai les roulettes à fond, et une minuscule goutte s'écrasa contre la serviette.
C'est pas normal, ça.
— Eau, je t'ordonne de jaillir de ce robinet ! fis-je d'une voix profonde et mystérieuse.
Et presque aussitôt, un jet sorti de la tuyauterie, humidifiant le linge. Je haussai les sourcils, amusé par le timing, avant de pouffer de rire. Pour un peu, j'aurai cru que l'eau m'avait obéi.
— Et maintenant... Stop !
Mais l'eau continua de couler.
— Stop ? m'essayai-je encore.
Non, c'était trop beau pour être vrai. Dommage. Je fermai le robinet à l'ancienne, en tournant les roulettes, et cette fois, il se refusa de m'écouter. Il y avait définitivement un problème avec la plomberie.
Je levai les yeux au ciel en désespoir de cause, puis entrepris de me débarbouiller le visage avant d'avertir ma mère. Quand je fus un peu plus présentable, malgré mon nez qui ressemblait toujours à une crêpe, je me sentis prêt à affronter ma terrible maman qui sautera en l'air et lâchera tout son répertoire de jurons contre Théo. Bien sûr, celui-ci l'avait mérité, il méritait même cent fois plus. Mais je trouvais simplement pénible d'entendre ma mère chialer comme une Québécoise.
— Maman ? appelai-je bien fort. M'man, t'es là ?
J'attendis une réponse, en vain. Où pouvait-elle bien être ? Sa voiture était dans la cour, et pour elle, l'idée de marcher deux minutes sur les trottoirs était une torture. Elle était forcément ici, quelque part.
Un mauvais pressentiment me glaça les sangs, et je courus hors de la pièce pour aller à sa chambre. Un horrible scénario s'était formé dans mon esprit ; ma pauvre petite maman, avec ses quelques problèmes de santé, avait fait un malaise et était inconsciente dans son lit. Mais arrivé à destination, je fus à moitié soulagé de remarquer qu'elle n'y était pas, et à moitié encore plus perplexe alors que je n'avais simplement aucune idée où elle avait bien pu passer.
Je secouai la tête, essayant de chasser mes pensées noires, et pris mon cellulaire pour l'appeler. L'appareil refusa de s'allumer. J'allai ensuite au téléphone fixe du salon, mais pas plus de chance avec celui-ci. C'était à croire qu'il y avait un problème avec l'électricité.
À court de moyens, je décidai de sortir et frapper à la porte de la voisine. C'était une vieille dame bien gentille, qui me donnait parfois des chocolats pour aucune raison apparente. Malgré son âge avancé, elle était du genre bien au faite de la technologie ; elle avait un cellulaire, un compte Netflix et une Nintendo Switch qu'elle utilisait pour faire un peu d'aérobies. Et elle avait des gadgets de cuisine plutôt impressionnants.
Mais aucune réponse là non plus. Et pourtant, encore une fois, sa voiture était dans l'allée.
Je commençai un peu à paniquer. Il y avait définitivement quelque chose d'étrange.
Tel un scout, je me mis à faire du porte à porte, souhaitant que quelque m'ouvre et me fasse bien comprendre que le coup de poing de Théo m'avait simplement retourné le cerveau. Mais après avoir parcouru toute la rue, je désespérai.
À ma dernière tentative, quelqu'un apparut enfin sur le seuil. Mon cœur fit un bon dans ma poitrine tant la joie était présente. Mais ce ne fut qu'Amy, qui m'observait la tête légèrement penchée de côté par l'entrebâillement de la porte d'entrée. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais j'avais l'impression qu'elle ne comptait pas.
— Oui ? fit-elle au bout d'une minute de silence.
— Euh... est-ce que tes parents sont là ?
— Ils sont sortis. Pourquoi tu demandes ?
Je dansai d'un pied sur l'autre, cherchant un moyen de me faire comprendre sans pour autant qu'elle me croit fou. Je sentais que c'était perdu d'avance.
— J'ai l'impression d'être dans une ville morte. J'ai fait le tour du quartier et t'es la seule à m'avoir ouvert !
— Peut-être que les gens on juste pas envie de te voir la tronche, répliqua Amy avec un mouvement explicite de sourcils. Surtout avec la tomate qui te sert de pif.
— Je sais de quoi j'ai l'air, dis-je en serrant les poings. La voiture de ma mère est dans la cour de la maison, mais elle n'y est pas. Même chose pour la voisine ; elle est vieille, elle ne peut pas allez loin sans transport !
— Peut-être qu'elle est avec sa famille.
— Tu vas me trouver une excuse pour tout ce que je dis ? Je veux juste voir quelqu'un, avoir une preuve que l'apocalypse nous est pas tombée dessus !
Amy pouffa d'un petit rire méprisant qui me fit l'effet d'une douche froide. J'en avais presque oublié que j'avais affaire à l'une des filles les plus populaires de l'école.
— Tu regardes trop de films, Péteur.
— Si tu es tellement convaincue que je me trompe, viens avec moi ! Les gens t'ouvriront la porte, à toi qui es si parfaite ! dis-je d'un ton bourré de sarcasme.
Amy grimaça comme si j'avais touché une corde sensible. Je lui fis un sourire provocant, fier de moi, et Amy soupira en levant les yeux au ciel.
— Je t'accorde que le monde est un peu étrange, en ce moment. Je viens avec toi.
La blonde retourna à l'intérieur et revint avec un mince blouson rouge qu'elle mit sur ses épaules. Elle verrouilla la porte d'entrée et tapota une poche de son jean, s'assurant que ses clés étaient présentes. Elle regarda longuement de gauche à droite sur la rue, avant de traverser et de foncer vers la maison d'en face. Je trottinai sur ses talons, observant les véhicules passer avec nervosité.
— T'as remarqué qu'il n'y a personne, dans les voitures ? Pas même de conducteur ?
— Peut-être que les conducteurs sont petits, cachés derrière la roue.
— Tu m'ennuies, à trouver des excuses pour tout !
Amy grimaça de dédain et cogna enfin à la porte de son voisin d'en face. Je tapai du pied avec impatience, alors qu'Amy, un peu nerveuse, continuait de bombarder la porte de coup de poing et de harceler la sonnette.
— Tu vois ? Personne.
Amy se retourna vers moi, rouge comme une tomate. Mais je voyais bien dans son regard qu'elle commençait à me croire.
— Il y avait des gens dans le parc. Des enfants qui jouaient, des adultes qui les surveillaient. Et le chauffeur de bus, aussi !
Je sursautai. C'est vrai, je les avais complètement oubliés ! C'était la faute de Théo et son coup de poing, j'en avais perdu les idées.
— Faut qu'on y aille.
— C'est loin, fit Amy dans un gémissement. Vas-y sans moi.
— Non, il faut que tu viennes ! Je sais pas pourquoi, mais je sais que t'es concernée.
— Concernée ? répéta-t-elle en faisant la moue. En quoi ?
— Je sais pas, je te dis, mais il faut qu'on aille au parc ! Allez, une petite marche de santé n'aura jamais tué personne !
Amy leva les yeux au ciel en secouant la tête, l'air pas tellement convaincu de mon argument. Malgré tout, elle soupira longuement avant de s'engager la première sur le trottoir.
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