Dilemme. Première partie - Xilena
Sans aucune surprise, Amy avait décidé de rester avec Théo. Peter et moi, nous sortîmes de la maison, prenant chacun une grande inspiration d'air frais. Nous marchâmes un peu dans le silence, sans destination précise. Peter avait la tête basse et les mains dans les poches de son jeans.
— Tu crois que j'ai fait la bonne chose ? demanda-t-il enfin. De ne pas lui dire ce qu'on sait sur Krishen.
— J'étais justement en train de me poser la même question... (Je soupirai platement avant de continuer :) C'est vraiment dur. D'un côté, si on lui révèle la vérité, il va essayer de tuer Krishen. Enfin, on parle de Théo ! Il est déjà violent de basse, alors rien ne dit qu'il n'irait pas jusqu'au bout. Et puis, Krishen est un djinn, elle est toute puissante. Théo ne réussirait qu'à y laisser sa peau.
— Peut-être qu'il ne peut plus du tout retourner dans le monde d'à côté, il n'y est plus le bienvenu. D'une manière ou d'une autre, il ne pourrait jamais atteindre Krishen. Vue sous cet angle, la vérité ne peut pas être grave.
— À moins qu'elle l'obsède.
J'échangeai un regard avec Peter. Il secoua la tête et la baissa à nouveau, les yeux fixés sur ses pieds.
— D'un autre côté, si on ne lui dit rien, il va croire être lui-même responsable de la mort de sa mère. Est-ce qu'il existe quelque chose de pire ? Tu l'as vu ; c'est en train de le détruire. Je n'aurais jamais imaginé un jour apercevoir Théo pleurer comme il l'a fait... J'en ai mal pour lui.
Il fit une pause, l'air de réfléchir à une idée soudaine. Puis s'arrêta de marcher et se tourna pour me faire face.
— Et si on allait dans le monde d'à côté ?
— Tu veux faire un vœu ? dis-je avec une grimace.
— Non... pas vraiment. Je veux parler avec Branda.
— Mais pourquoi ? m'étonnai-je.
— Parce qu'il faut bien savoir les règles du jeu dans lequel on s'embarque ! Branda est peut-être un djinn, mais ce n'est pas elle directement qui a tué les parents de Théo. C'est Krishen, la méchante de l'histoire. Peut-être qu'elle nous conseillera sur la meilleure décision à prendre.
— Elle va nous dire de faire ce qui les arrange, dis-je en secouant la tête. Désolé, Peter, mais c'est stupide comme idée.
Peter leva les bras au ciel en désespoir, puis les laissa retomber contre ses flans. Il se remit à marcher lentement et je le suivis, posant une main réconfortante sur son épaule.
— Tout ce qu'on peut faire pour l'instant, c'est d'attendre un peu, voir quelles directions prennent les choses...
— Nous sommes jeudi, Xi. Le monde d'à côté nous fermera ses portes dimanche.
— Je croyais que c'était samedi.
— Vraiment, toute cette histoire est beaucoup trop floue... Pour sûr, on a presque plus de temps. On peut pas se permettre une journée entière pour réfléchir à chaque fois qu'on a un petit désagrément.
Je haussai les épaules, ne voulant avouer qu'il avait raison. Ah, les avantages et désavantages d'avoir un délai réparti, et non un nombre limité de vœux comme Aladdin. C'est sûr qu'avec trois vœux chacun, tout ceci serait terminé depuis très longtemps, et on serait tous coincés avec nos problèmes.
— Très bien. On n'en reparlera pas demain... ce soir. Je t'appellerai.
Nous étions arrivés à une bifurcation. Je devais tourner à gauche pour aller chez moi, alors que Peter continuait tout droit. Il s'arrêta en remarquant que je ne le suivais plus.
— OK... t'as mon numéro ?
— Je te trouverais bien sur Facebook.
— J'en ai pas, dit Peter avec un petit sourire contrit.
— Vraiment ? m'étonnai-je.
— À quoi bon ? J'ai qu'un ami, et il n'en a pas non plus.
Je me mordis la lèvre, désolée pour lui. On se concentrait tellement sur les problèmes de Théo que j'en oubliais qu'il n'était pas le seul avoir une vie plutôt pathétique. Nous en avions tous une, à différentes échelles.
D'un pas hésitant, timide malgré moi, je m'approchai de Peter et écrivis mon numéro dans sa paume à l'aide d'un stylo qui trainait dans mon sac que je portais en bandoulière. Je reculai aussitôt fait.
— C'était presque romantique. Mais au départ, c'était pas moi qui devais te donner mon numéro ?
Peter pouffa de rire devant mes airs figés. Pour je ne sais quelle raison, je me sentais terriblement stupide.
Je lui rendis la plume en présentant ma main, de grandes plaques rouges se répendant sur mes joues.
— C'était pas dans le but d'être romantique !
— Non, bien sûr ! s'écria à son tour Peter. Ce l'était pas ! Je sais même pas pourquoi j'ai dit ça.
Je hochai vivement la tête, sans plus savoir quoi dire. Peter écrivit rapidement son numéro sur ma peau, puis me redonna le stylo. Son visage était rouge comme une betterave.
— À ce soir, Xi.
Puis il tourna les talons et continua son chemin.
— Eh, Peter ! m'écriai-je soudainement.
Il s'arrêta, se retournant vers moi. Il avait atteint l'autre côté de la rue et des voitures passaient entre nous.
— C'est pas le nombre d'amis que tu as qui détermine si tu es heureux ou pas. Facebook n'a rien à voir là-dedans.
— Je sais, répondit-il avec un petit sourire incertain.
Il sembla sur le point d'ajouter quelque chose, mais se ravisa. Il reprit sa marche, les mains dans les poches et la tête basse.
Je jurai à mi-voix, croisant les bras contre ma poitrine. Je voulais dire quelque chose de cool, gentil et philosophique, mais c'était raté. Le problème de Peter, ce n'était pas le nombre d'amis qu'il avait, mais le nombre d'ennemis.
Je soupirai platement, puis fit un pas vers le chemin de gauche pour allez chez moi. Mais je m'arrêtai rapidement, songeant à ce qui m'attendait là-bas. Finalement, j'allai à droite, chez Maya.
҉
Étendue sur son lit, je venais de passer trois quarts d'heure à lui expliquer ce qui s'était produit chez Théo. Je n'avais pas dit, en revanche, qu'il se croyait être le meurtrier de sa mère. J'avais seulement changé les mots pour que ça paraisse moins glauque, soit qu'il se sentait responsable « plus que de raison » sur la question. Un peu ce qu'on appelait le syndrome du survivant.
Est-ce que je pouvais lui parler de ce qu'on avait appris sur Krishen ? En un sens, je ne voyais pas ce qui pourrait m'en empêcher. Et d'un autre, je ne pouvais pas m'y résoudre. Je jugeai donc préférable de garder cette partie de l'histoire pour plus tard. Quand elle sera terminée, par exemple.
— OK, et pour ton problème à toi, maintenant ?
— Mon problème à moi ? répétai-je sans comprendre.
— T'es pas venu jusqu'ici rien que pour me parler, t'aurais pu m'appeler depuis chez toi. En fait, tu fuis ton père, hein ?
Je fermai les yeux, incapable de répondre. Comment avait-elle su ? J'étais si transparente que ça ?
— C'est évident, insista Maya. Bon, j'avoue, c'est en partie parce que j'ai toujours de la difficulté à croire que tes trucs de vœux fonctionnent vraiment. Ma première hypothèse quand je t'avais vu débarqué tout à l'heure avait été que ton père t'avait eu. J'ai douté, bien sûr, mais en même temps, je vois pas ce que ce serait d'autre. Avec ou sans ton vieux, c'est plutôt rare que tu viennes chez moi les soirs de semaines. Et pourtant, c'est la deuxième fois en deux jours, et on est que jeudi.
— OK, t'as raison, comme toujours, avouai-je dans un soupir. Pour ma défense, je crois que j'ai pas bien choisi mes mots au moment du voeux. Et mon père — je suis sur qu'il se doute de quelque chose — avait réussi à le contourner.
— Alors tu vas faire quoi ?
— Eh bien, je vais faire un deuxième vœu ! dis-je en levant les mains au ciel d'un geste évident.
Je me redressai sur le lit pour dévisager Maya. Elle était installée au fauteuil de son bureau, les bras croisés sur sa poitrine. Le regard qu'elle me lançait sous-entendait clairement un reproche.
— Quoi ?
— Ton vœu a empiré ta relation avec ton père, et tu veux en faire un autre ? Je te croyais plus intelligente que ça.
— Et tu proposes quoi, sinon ?
— D'abandonner. Laisser les choses telles qu'elles sont. Parce que si tu essayes à nouveau, ça risque de dégénérer encore plus.
Je levai les yeux au ciel, sans répondre. J'avais toujours imaginé Maya comme la voix de la raison qui me souffle les meilleures décisions à prendre. Mais cette fois, j'avais l'impression qu'elle me poussait du mauvais côté. Et le plus mal, c'était surement que, si je restais ici une minute de plus, elle risquait de me convaincre.
Abandonner. Il n'était pourtant pas seulement question des vœux, mais de ma vie. Ou au moins, de mon adolescence. Bien sûr, dès que j'aurais dix-huit ans, je serais libre de quitter la maison, partir dans une université à l'autre bout du pays — et il est très pratique de savoir, à ce moment, que j'habite le deuxième plus grand pays du monde — et d'ainsi couper tous les ponts avec mon père. Dans deux ans, je pourrais choisir de ne plus jamais le revoir.
Oui, mais d'ici là ? J'avais encore deux longues années avant d'y parvenir. Et qu'est-ce qui me dit que j'en serais totalement débarrassée ? Et que je serais capable abandonner tout le reste ? Ma vie est ici, pas au loin sur la côte pacifique. Partir loin de mon père, c'était aussi quitter Maya, ma meilleure amie... Même Théo et Amy me manqueraient, sur un certain point. Et Peter.
La seule solution, c'était d'agir maintenant, dans le temps que je le pouvais.
— Toutes mes excuses, Maya, mais j'adhère pas du tout à ta façon de penser. Faut que j'y aille.
— Aller où ?
Je me levai du lit et me préparai à sortir de sa chambre. Je me tournai vers elle une dernière fois, la poignée de la porte dans la main.
— Tu le sais bien, dis-je avec un sourire désolé.
— Mais tu débarques ici comme une sauvage, je t'écoute parler pendant trois quarts d'heure, et tu fais tout le contraire du seul conseil que je te donne ? s'offusqua-t-elle en croisant les bras.
— C'est un joli résumé. À demain, Maya !
— À demain, répondit-elle en levant les yeux au ciel.
Et je quittai la chambre aussi rapidement que j'étais arrivée.
Désolé, Peter. Je vais faire exactement ce que je t'avais dit de ne pas faire... mais moi, j'ai pas trop le choix !
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