Ce qu'on aurait pas dû savoir. Dernière partie - Peter

Théo qui veut lire un livre. Pour un peu, j'en aurais éclaté de rire.

C'était Amy qui l'avait. Il était quelque part dans le fond de son sac de cours, qui était resté à l'école. Mais elle n'eut qu'à souhaiter l'avoir avec elle, et il apparut de lui-même entre ses mains. Théo l'avait aussitôt pris, sans rien demander, et était parti se cacher dans l'une des quatre chambres de la maison, au troisième étage. Il en avait pour plusieurs heures à lire tout ce qu'il y avait là-dedans, et autant de temps pour moi à être débarrassé de lui.

- Bon, Théo va nous pondre un plan génial d'ici demain, dit Xilena. En attendant, je retourne en cours. (Elle dressa un doigt en l'air, comme pour lancer une leçon de vie, avant de dire bien clairement :) Je souhaite que mon père ne porte plus jamais la main sur moi.

- Oh, il faut pas dire jamais ! m'exclamai-je en la regardant avec de gros yeux. Branda avait dit...

- Et tu peux me dire en quoi mon vœu risquerait se de retourner contre moi ? dit Xilena en se levant et époussetant rapidement ses vêtements. Tu crois que ça va me manquer, la belle époque où mon père me frappait tout le temps ?

- Totalement d'accord, intervint Amy. Je vais même suivre ton exemple, tiens. Je souhaite ne plus jamais avoir mal aux jambes.

- C'est dangereux, ce que vous faites.

Les filles se retournèrent d'un seul mouvement pour me lancer des regards blasés. Visiblement, elles n'en avaient rien à foutre de mon opinion.

- Eh, le monde d'à côté ne nous sera pas éternellement ouvert, dit Xilena. Mais mon père, ou la maladie d'Amy y seront toujours. Alors, il faut bien choisir !

Je voulus répliquer quelque chose, mais je ne pouvais qu'avouer qu'elle avait de bons résonnements. Xilena avait raison ; en quoi faire en sorte que son père ne la frappe pas peut mal tourner ? Ou qu'Amy n'ait plus de douleur aux jambes ? S'il y avait bien une qualité dont j'étais fier d'avoir, c'était l'imagination. Et malgré ça, je ne voyais vraiment pas quoi dire.

- OK, t'as raison, dis-je en levant les mains en signe de soumission.

Xilena me remercia d'un sourire, puis me tourna le dos pour aller vers le placard sous l'escalier ; la porte de sortie. Elle lança un « à plus ! » avant de disparaitre à l'intérieur. Amy l'imita, cette fois sans m'accorder le moindre regard, et en quelques secondes, je me retrouvai complètement seul.

Seul dans le monde d'à côté, avec Théo quelque part dans les étages, et les autres créatures qui risquent de m'observer par la fenêtre. Je crois que finalement, je resterais pas plus longtemps ici.

- Théo ! hurlai-je en tournant la tête vers l'escalier. T'es seul ! On est tous partis !

- Tant mieux !

Il m'arrache les mots de la bouche. Oui, tant mieux pour toi, Théo. Sois seul dans ton coin et lis un livre. T'en as pas l'habitude.

Je m'avançai vers le placard, posant une main sur la poignée, mais je n'arrivai pas à me décider. Je pinçai les lèvres, une mauvaise idée tournant en boucle dans mon crâne. Je résistai pendant cinq secondes, avant de suivre à mon tour la logique de Xilena :

- Je souhaite qu'on ne se moque plus de moi... plus jamais.

Je hochai la tête d'un air faussement convaincu, puis ouvrit la porte et m'aventurai à l'intérieur. Le temps d'un clignement d'yeux, je me retrouvai dans l'allée centrale d'un bus, à remonter les ranger de banc. Je me laissai tomber sur celui à ma droite, qui était juste derrière Xilena et Amy.

D'autres gens étaient présents dans le bus, comme je ne manquai pas de le remarquer, mais aucun parmi la petite dizaine de personnes ne me prêta la moindre attention. C'était parfait ainsi.

- Eh, Xi.

Xilena et Amy se retournèrent d'un seul mouvement vers moi. L'une me fit un sourire chaleureux, la seconde demeura impassible.

- T'es pas resté à côté ?

- J'ai déjà raté deux cours, si c'est pas plus, il serait temps de songer un peu à mes responsabilités, dis-je d'un air faussement professionnel. Alors j'ai une requête bizarre pour toi, mais je veux juste tester un truc. Tu peux m'insulter ?

- Ça se répond par oui ou non, ou tu veux vraiment que je t'insulte ? dit Xilena en grimaçant.

- Oui, insulte-moi. N'importe quoi, je sais que tu le penseras pas.

- Moi, je le pense ! intervint Amy. Tu es... euh...

Amy fronça les sourcils, incapable de terminer sa phrase. Xilena pouffa de rire.

- T'as fait un vœu ?

- Ouais, dis-je avec un grand sourire. Et je sens que la journée va être belle.

҉

De retour en classe, nous étions déjà au dernier cours de la journée. On terminait ça avec un peu de physique, la manière que j'aimais le moins. Avoir su, je serais resté à côté et j'aurais fait quelques vœux amusants - rien qui n'inclut de champs de bataille, bien sûr. Ça aurait été mille fois mieux que de comparer la vitesse de chute d'une pomme et d'une enclume. L'heure passa avec une lenteur exaspérante, et quand la cloche sonna enfin, j'étais le premier hors de la classe. Mais je ne pouvais me résoudre à quitter l'école tout de suite ; je m'inquiétai, un peu malgré moi, pour Xilena. Je comptai rester ici et attendre qu'elle sorte de son entretien pour lui demander comment ça avait été. Même si j'avais de bonnes raisons de faire confiance aux vœux, c'était difficile de ne pas douter de leur efficacité. Après tout, je n'avais jamais été confronté aux pouvoirs d'un djinn avant cette semaine.

Je m'étais caché au coin d'un corridor, les yeux fixés sur la porte de la classe 134-C. Xilena était déjà de l'autre côté, entouré de ses parents et assis devant le bureau de la professeure. J'arrivai à voir d'ici son père, un homme grand aux cheveux grisonnants, hocher la tête à tout ce que disait l'enseignante, sérieux comme un pape. Xilena avait le regard fixé sur ses genoux, qui tressautaient sous le stress.

- Yo, mon pote !

Je sursautai en me retournant, le cœur pompant à toute vitesse. Mais ce n'était que Sheldon, mon meilleur ami - ou soyons honnête, mon seul ami - qui s'était approché silencieusement derrière mon dos. Il était aussi mince et discret que j'étais gros et gaffeur. À nous deux, on aurait fait un super duo de personnages stupides de dessin animé pour enfant. Lui était le joyeux luron, et moi le grognon. Car dans le fond, il était mon ami uniquement parce que je n'avais pas ce qu'on appelle l'embarra du choix. C'était soit trainer avec lui, soit être seul et minable dans mon coin.

Sheldon portait bien son nom. Il semblait tout droit sorti de The Bigbang Theory. Il n'avait pas le physique, étant simplement petit, avec de grosses lunettes et d'épais cheveux roux, mais il était pour sûr très intelligent - il était même le rival de Xilena pour être premier de classe - et à la fois très stupide. Il ne comprenait jamais le second degré. Et pour moi qui m'exprimais à soixante-quinze pour cent du temps en sarcasme, c'était assez chiant. Il fallait continuellement que je fasse gaffe à ce que je disais.

- Salut, Sheldon.

Je reportai mon attention à Xilena. La prof présentait une feuille et ses deux parents étaient penchés dessus, observant chaque chiffre avec beaucoup d'intérêt. Xilena était toujours enfoncé dans sa chaise, soufflant sur une mèche de cheveux noirs qui lui tombait devant les yeux. Elle semblait composée d'un joyeux mélange entre stress intense et totale indifférence.

- Tu fais quoi ? Tu espionnes Xilena ?

Sheldon fit une grimace en direction de la petite Chinoise, qui bien sûr ne remarqua rien. Sheldon la détestait pour ses notes, il voulait faire mieux qu'elle. Visiblement, Xilena ne pouvait jamais faire plaisir à personne, même en bossant comme une dingue.

- Je l'espionne pas, me défendis-je aussitôt. C'est juste... je suis le prochain. Alors, j'attends.

- Ça m'étonnerait, puisque c'est moi, le prochain.

Sheldon me présenta un bout de papier, tout sourire. Son rendez-vous était prévu dans cinq minutes. Et effectivement, ses parents étaient plus loin dans le corridor, parlant entre eux. Sa mère, qui se foutait un peu des notes de son fils, ne faisait que regarder sa montre avec impatience.

- Oh ! Alors je me suis trompé ! dis-je en feignant l'étonnement. Bon, je vais attendre quand même et quand Xi sortira, j'irais demander à la prof à quelle heure est mon rendez-vous.

Sheldon haussa les épaules et changea aussitôt de sujet. Il me parla de sa journée ennuyante, m'interrogea sur mes deux heures d'absences, puis continua sans me laisser la moindre possibilité de répondre. Il était comme ça, aussi ; il avait l'incroyable capacité de se faire la conversation de lui-même. Une raison de plus de le fuir... si seulement j'avais d'autres amis.

Je tournai la tête vers Xilena. Peut-être que j'avais une amie... ça faisait quoi, au moins trois jours qu'on se côtoyait ? Et elle ne m'a toujours pas encore envoyé chier. Elle m'avait même défendu contre Théo à plusieurs reprises. C'était une première.

Enfin, Xilena se leva de sa chaise et quitta la salle de classe, suivit de près par ses parents. Sheldon en profita pour entrer à son tour, oubliant que j'avais dit vouloir poser une question à la prof. J'attendis que lui et ses parents soient assez loin pour ne plus m'entendre avant de me précipiter à la suite de Xilena.

- Eh ! Xi !

J'agitai les mains en l'air pour attirer son attention, même si elle me tournait le dos. Quand elle se retourna enfin, j'abaissai aussitôt les bras, me sentant rougir. Ses parents aussi avaient suivi le mouvement, m'observant d'un œil critique.

- Je voulais juste savoir si tout allait bien.

Xilena plissa les yeux. Je déglutis, est-ce que j'avais fait une gaffe ? Xilena en avait déjà assez dit sur ses parents pour que je n'ai envie de les contrarier, mais en même temps, c'était précisément pour ça que je voulais m'assurer que tout irait bien pour elle. Comment m'exprimer alors que ses vieux étaient juste derrière, à tout écouter ce que je racontais ?

- C'est un ami ? demanda sa mère d'un air dédaigneux.

- Faites pas attention à lui...

Xilena me fit un petit sourire qui ne signifiait rien avant de continuer son chemin. Ses parents la suivirent sans poser plus de questions.

Ça va, j'ai l'habitude. En dehors de Sheldon, il n'y avait vraiment personne qui en avait quelque chose à faire de moi. Mais étrangement, ça me fit mal. Même si j'avais souhaité qu'on ne puise plus jamais se moquer de moi, ça ne faisait pas vraiment de différence quand s'était sous-entendu, mais tout de même très clairs.

Elle ne le pensait pas. Elle a honte à cause de ses parents. Et ça se comprend.

Je baissai la tête vers mon ventre, où il était parfaitement visible cette grosse poche de gras qui débordait au-dessus de mes jeans. Avec un petit vœu, elle n'aura plus honte de moi.

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