Beaucoup de questions et un peu de réponses. Troisième partie - Peter
Si hier avait été la journée la plus confuse de mon existence, aujourd'hui était celle des réponses. Je savais maintenant l'enfer que vivait Xilena, la maladie d'Amy et le deuil de Théo. Étrangement, je me sentais mal, j'avais l'impression d'être celui dont la vie est la moins pourrie. Un peu comme une bande pirate qui montre leur cicatrice en disant « la mienne est plus longue que la tienne ! ».
J'avais la plus petite cicatrice.
La plus petite, mais la plus visible.
— En fait, est-ce que le monde d'à côté se limite à cette maison ? demanda soudain Théo.
Il ne restait plus que lui et moi dans le salon. Xilena et Amy étaient reparties faire une visite, cette dernière en courant comme Naruto. C'était étrange de voir cette fille populaire et super belle se comporter comme une gamine. Il faut croire que ses jambes lui prenaient vraiment beaucoup d'énergie, et maintenant qu'elle n'avait plus mal, tout était revenu d'un seul coup.
— Tu pourrais pas lire le livre, plutôt que de poser toutes sortes de questions ?
— Moi, lire ? Ha, ha !
Je levai les yeux au ciel en soupirant.
— Tu fais chier, Théo, tu le savais ?
Théo voulut répliquer, mais il en fut incapable. Il ressortait les lèvres comme un cul de poule, s'efforçant de toutes ses forces de cracher des mots méchants. Pour un peu, j'aurais eu pitié de lui.
— Non, ce monde est aussi vaste que le nôtre, si ce n'est plus. Mais les souhaits concernant l'espace-temps ne fonctionnent pas, alors je te déconseille de partir sur un coup de tête. Tu pourrais pas te téléporter ici ensuite.
— Pourquoi les vœux les plus intéressants ne fonctionnent pas ?!
— J'en sais rien, c'est comme ça, dis-je dans un mouvement d'épaule. C'est pas moi qui décide.
— Mais je pourrais tout de même partir, et après, souhaiter d'avoir une porte de sortie pour revenir chez moi ?
— Tu te rappelles pas de ce que le chauffeur avait dit ? On peut choisir la porte d'entrée — comme Branda nous a conseillé de changer d'emplacement, parce que le rosier, c'est pas top —, mais la porte de sortie, elle, sera toujours au même endroit. Ce placard !
— Mais pourquoi, la dernière fois, on est sortie par le rosier ?
— Mais j'en sais rien, moi ! Parce qu'on n'avait pas encore eu la maison ? On n'avait pas de placard, à ce moment-là.
Théo réfléchit un moment, les yeux dans le vague, avant de revenir à la charge :
— Alors, on devra toujours prendre le placard. Mais techniquement, on pourrait quand même choisir où on va ressortir ? Directement dans ma chambre, par exemple, ou n'importe où en ville ? Ou à l'autre bout de notre monde ?
Ce fut mon tour de garder le silence. C'est vrai, qu'est-ce qui nous en empêcherait ?
— Je sais pas ! dis-je malgré moi. Tu demanderas à Branda ou au vieux chauffeur la prochaine fois qu'on les verra.
— Tu admets que le journal n'apportait pas toutes les réponses ? fit Théo avec un petit sourire arrogant.
— Tu m'énerves, Théo. Tu aurais tout de même beaucoup moins de questions si tu l'avais lu.
Théo se pencha en avant avec un air provocant, les coudes sur les genoux.
— Ton livre saura m'éclairer sur ma prochaine question, tu crois ?
— Teste-moi.
— Qui sont Branda et le vieux, au juste ? Des « habitants de ce monde » ? Mais alors pourquoi le vieux était aussi dans notre monde, à jouer les chauffeurs de bus ? Est-ce qu'on est dans une deuxième dimension miroir, genre ? Tu crois qu'on va croiser nos doubles, un de ces jours ?
Je restai muet sous le regard insistant de Théo. D'abord Amy qui court partout, et maintenant Théo qui pose des questions à n'en plus finir ; j'en venais à me demander si ce monde était si extraordinaire qu'on pouvait imaginer aux premiers abords, ou s'il ne faisait que nous voler une dizaine d'années d'âge mental pour nous replonger plus facilement à l'époque ou un rien était fabuleux.
— Je sais pas, bredouillai-je dans le silence qui se prolongeait. Mais j'ai pas lu le livre en entier. Xilena a tout lu, je crois. Elle m'a refilé le livre en français, j'ai lu pendant les cours toute la journée, puis je l'ai passé à Amy qui l'a probablement à peine feuilleté...
— Tu sais quoi ? me coupa Théo en levant une main pour m'arrêter de parler. C'est pas en lisant un livre que nous aurons des réponses sur ce monde. Tout ce qu'on peut faire, Pe-pe... pe...
— T'as essayé de m'appeler Péteur, hein ?
— Ouais. Bon, tout ce qu'on peut faire, Peter, c'est de chercher par nous-mêmes.
— Pourquoi tu tiens tant à avoir des réponses, de toute façon ? On devrait profiter, à la place de comploter.
— Parce que tu le sais aussi bien que moi ; rien ne se passe jamais par hasard. (Théo baissa la tête et prit une grande inspiration, avant de continuer :) J'ai été un salaud toute ma vie, et là, je suis en plein dans le Karma. J'en suis conscient, j'ai cherché pour. Alors pourquoi le monde veut se faire pardonner ? Pourquoi il s'efforce de me rendre heureux à nouveau ?
Je haussai les épaules et détournai le regard. Ça me faisait toujours bizarre de voir Théo aussi mélancolique. C'était à peine si je revoyais en lui ce gars à la tête de sa bande de potes, ces quatre métalleux qui s'amusaient tellement de mes malheurs...
— OK, je te donne raison. Le livre était plein de mots qui ne voulaient pas dire grand-chose... un peu comme un discours de politicien. Même si t'avais lu, t'aurais probablement rien compris, avec ton QI.
Théo me lança un regard noir, mais n'essaya pas de répliquer. Il commençait enfin à comprendre que mon vœu était plus puissant que sa volonté.
— Mais pourquoi enquêter ? On peut faire littéralement tout ce qu'on veut... et toi, tu poses encore et toujours des questions ? Si tu veux continuer, tu le feras seul. Moi, je veux aller m'amuser.
Sur ce, je me levai de mon coin de canapé, fit une petite révérence en soulevant une jupe imaginaire pour Théo, puis lui tournait le dos et allai vers la salle de sport qui était quelque part dans les étages.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top