Beaucoup de questions et un peu de réponses. Première partie - Xilena
Après Théo, Amy et Peter, ce fut mon tour de ramper sous le rosier. Juste avant, j'avais lancé un regard à la ronde vers les adultes dans le parc ; personne ne nous prêtait attention. C'était parfait.
De retour de l'autre côté, ce fut une sensation toute différente de la première fois. Ce n'était plus l'angoisse de ne rien comprendre, mais l'excitation, la hâte de voir toutes les choses que je ne comprendrais pas.
— Le champ désertique, souffla Théo. Y m'avait pas manqué, celui-là.
À peine ses mots prononcés que le décor changea d'un seul coup. Cette fois, je n'en fus pas choquée – il faut croise que je commençais déjà à m'y habituer. Mais plutôt que d'être de retour dans le parc, nous nous retrouvâmes dans une petite rue de banlieue bordée de jolies maisons. Sortie de nulle part, une femme en tailleur s'avançait vers nous, les jambes coincées dans sa jupe trop étroite, serrant un calepin contre elle. Elle s'arrêta devant nous, nous dévisagea tour à tour en silence, avant de nous faire un énorme sourire. Elle était grande, les cheveux blonds avec une repousse brune, les yeux noisette. Un look très professionnel, mais j'avais l'impression que ce n'était qu'un déguisement.
— Bonjour, les enfants ! Je serais votre agente immobilière pour aujourd'hui. Je m'appelle Branda ! Et vous ?
J'échangeai un regard intrigué avec Amy, à côté de moi. Nous haussâmes les épaules d'un même mouvement, comme pour nous convaincre que c'était parfaitement normal.
— Je m'appelle Xilena, dis-je la première.
— Quel joli prénom !
— Et moi, c'est Amy.
— Peter.
— Théo.
La femme tourna les yeux vers celui-ci. Elle semblait presque en colère, comme si elle aurait décelé un mensonge.
— Théodore, rectifia-t-il, mal à l'aise.
Branda hocha la tête, satisfaite de cette réponse. Son sourire revint en force, ses airs professionnels aussi, puis elle fit la pose comme un mannequin de publicité, un genou fléchi et le bras relevé comme pour tenir un plateau invisible.
— Comme je le disais, je serais votre agente immobilière. Je vais vous faire visiter une maison.
— Eh, on n'a pas d'argent pour se payer une maison ! fit Peter. Encore moins... en colocation, ajouta-t-il avec un regard angoissé vers Théo.
Branda éclata de rire, puis, sans répondre, s'engagea vers l'habitation la plus près. Elle ouvrit la porte et nous présenta l'intérieur.
De l'extérieur, c'était une demeure bien banale. Les murs bruns et le balcon de bois, elle semblait faite pour accueillir un jeune couple sans enfant. Elle était visiblement beaucoup trop petite pour être à l'aise avec des invités. Et pourtant, dès que je passais le seuil, je découvris un salon large, assez de place pour qu'une dizaine de personnes y soit parfaitement à l'aise. Alors que Branda nous faisait visiter, nous trouvâmes également une cuisine à la pointe de la technologie, une salle de sport avec un équipement complet, une bibliothèque comme je n'en avais jamais vu, un spa et piscine intérieure dans le sous-sol, une salle de jeux avec billard, air-hockey et toutes sortes de consoles — Théo laissa échapper un gémissement qui ressembla étrangement à un orgasme — et enfin, quatre chambres avec leur salle de bain privé.
La visite sembla avoir duré une bonne demi-heure, rien que pour regarder rapidement. Branda nous ramena au salon, avec son canapé en cuir noir et sa télé-écran plat qui devait bien faire deux mètres de large, puis tapa dans ses mains en nous faisant un énorme sourire.
— Alors, les jeunes ? Vous en pensez quoi ?
— C'est très grand, répondit Amy d'une petite voix timide.
Elle avait la peau du visage rouge, comme si parcourir une maison était trop exigeant pour elle.
Le sourire de Branda diminua de moitié, mais revint en force une seconde plus tard. Elle se pencha légèrement vers Amy, les mains sur les genoux, avant de répliquer :
— Tu as lu le livre, non ?
— Oui... un peu.
— Alors tu sais que ça ne pose aucun problème ?
Amy resta indécise pendant quelque seconde, avant de se détendre et de hocher la tête.
— C'est génial, se reprit-elle.
Toi, tu caches quelque chose. Alors que les trois autres lançaient toute sorte de compliments sur cette maison, moi, je réfléchissais. C'est vrai ; nous avions tous un problème. Du moins, je crois. Théo avait perdu sa mère, Peter se faisait harceler. Moi, même si c'était dur de l'avouer rien qu'en parlant dans ma tête comme présentement, je me faisais battre par mon père. Alors, en quoi Amy avait-elle sa place parmi nous ?
— Et toi, Xilena ? Tu en penses quoi ?
— Hein ? Ah oui, elle est vraiment géniale ! Mais j'ai une question. Est-ce que c'est comme Narnia, avec le temps qui s'arrête ? On pourrait rester ici une vie entière et retourner chez nous une seconde plus tard ?
— Le temps ne s'arrête pas, à Narnia ! s'offusqua Peter. Lis tes classiques ! Il est juste beaucoup, beaucoup plus lent !
— Oh, c'est tout comme ! m'énervai-je. C'est le cas ou non ? dis-je en revenant à Branda.
Elle sembla réfléchir à la question un instant, les yeux en l'air, avant de répondre :
— C'est comme vous voulez. Ou plus précisément, c'est comme vous le souhaitez.
— Les souhaits, fit Théo en sursautant, comme s'il avait oublié le plus important. Ça aussi, c'est vrai ? On peut avoir tout ce qu'on veut ?
— Ça devrait pas te faire une grande différence, t'es qu'un pourri gâté, murmura Peter pour lui-même.
Théo répliqua quelque chose d'une telle vulgarité que cela sembla choquer Branda, qui recula d'un pas en plaquant son serre-feuille contre elle. Peter, lui, était allé se cacher derrière le canapé, accroupi pour ne laisser dépasser que ses yeux. Sa peau vira au rouge par la honte, puis il se redressa et pointa un doigt menaçant sur Théo, qui contractait les poings.
— Je souhaite que tu sois gentil avec moi !
Théo pouffa d'un rire diabolique et ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose, mais demeura muet. Il resta bête un long moment, nous regardant tous tour à tour d'un air angoissé.
— J'arrive pas à dire ce que j'ai envie de dire.
Ce fut au tour de Peter d'écarquiller les yeux. Un grand sourire déforma son visage, et il sortit de sa cachette pour s'approcher de Théo.
— Tu me fais chier, Théo, à un point ! T'es qu'un couillon ! J'ai toujours rêvé de te le dire en face !
Théo marmonna quelque chose, les lèvres hermétiquement closes, puis hocha la tête. Peter s'avança encore un peu plus puis, hésitant, enfonça son doigt dans l'épaule de Théo, comme pour le provoquer. Théo lui lança un regard noir. Il ouvrit enfin la bouche, l'air menaçant comme s'il allait cracher des insultes, et dit :
— Je suis désolée.
— C'est le truc le plus bizarre que j'ai jamais vu, murmura Amy en se penchant vers moi.
Je ne pouvais que lui donner raison. Théo qui s'excuse, c'était la preuve ultime que ce monde était magique.
Branda s'avança vers les garçons, comme pour calmer le jeu. Elle repoussa gentiment Peter, le fonçant à redonner un peu d'espace vital à Théo, puis elle se retourna vers lui.
— Ne t'inquiète pas, Théodore. Demain, tu seras de retour à ton état normal.
— Ça ne dure pas éternellement ? demandai-je à mon tour.
J'avais bien lu le livre, mais entre toutes les règles contradictoires, c'était un peu difficile de suivre. Je préférais poser les questions à quelqu'un qui savait tout plutôt que de me référer à un vieux carnet.
— Parfois oui, parfois non, fit Branda. Généralement non. À moins d'inclure un « pour toujours » à vos souhaits — ce dont je vous déconseille fortement —, ils ne durent qu'une seule journée.
— Il se passerait quoi si on disait « pour toujours » ?
Branda me fit un petit sourire gentil, puis nous présenta le canapé de cuir noir. Nous allâmes tous nous y assoir, Amy et moi au centre et Théo et Peter à chaque extrémité. Branda s'installa dans le fauteuil assorti et le pivota pour nous faire face.
— Le livre était trop confus pour vous, les enfants ? C'est pourtant simple. Je vais récapituler les règles avec vous. Premièrement, le « pour toujours ».
— Ça me fait penser aux pirates des Caraïbes, souffla Peter pour lui-même. « Pour parler ».
— Justement, laisse-moi parler, Peter, fit Branda d'un air autoritaire.
— Maintenant, elle se prend pour Peregrine Faucon, chuchota Peter en se penchant vers moi.
J'étouffai un rire derrière ma main et Branda nous lança un regard sévère, attendant d'avoir toute notre attention. Je m'efforçai de reprendre mon sérieux, mais maintenant qu'il l'avait dit, je devais avouer qu'il disait vrai.
— Lorsque vous faites un vœu et que vous y ajoutiez « pour toujours », les effets sont irréversibles. S'il tourne mal, vous aurez de très, très gros problèmes.
— Comme dans vos désirs sont des ordres, dit encore Peter. Tu avais raison pour celui-là, Théo !
Théo lui lança un regard meurtrier, pencher en avant sur le canapé, et lui balança avec hargne :
— Merci !
Amy et moi éclatâmes de rire d'une même voix et Théo s'aplatit à nouveau dans son coin en boudant, les bras croisés, et les yeux au ciel.
— Je vous hais ! s'écria Théo. (Il grimaça comme s'il avait mordu dans un citron, avant d'ajouter :) Sauf toi, Peter.
— Oh, moi aussi, je t'aime, gros gorille !
— Non, non, on se calme ! s'exclama cette fois Amy, alors que Théo s'apprêtait à se lever. On laisse la dame parler !
— Merci, Amy ! fit Branda avec un sourire reconnaissant. Je dois avouer que vous faites un drôle de groupe.
— On n'est pas un groupe, dis-je. Plutôt des compagnons d'infortune.
— Des compagnons de fortune, précisa Peter. (Il leva les bras comme pour englober la pièce, ou plutôt le monde entier.) On a une chance folle de se retrouver ici, non ?
Je haussai les épaules, avouant qu'il avait raison.
— Il y a d'autres règles importantes à savoir, ou on peut faire tout ce qu'on veut ? demanda Théo.
— Je sais à quoi tu penses, Théodore, et non, il est impossible de ramener les morts à la vie.
Théo sembla se décomposer sur place. Malgré sa grandeur, il me rappelait un petit enfant. Il baissa la tête, réfléchi un instant, avant de la lever à nouveau.
— Même pas une seconde ? Juste le temps d'avoir une conversation ?
— Je crois que le mieux que tu pourrais avoir ne serait qu'une imitation. Et je ne te le conseille pas. (Branda se redressa sur son fauteuil, s'adressant cette fois à nous tous.) La vie et la mort sont au-delà de nos capacités. Et si vous essayez tout de même, vous serez banni de ce monde.
— Si je ne fais que prononcer un vœu qui ne fonctionne pas, je serais banni ? s'offusqua Théo. Ou si je trouve la bonne formulation et que ça marche, ensuite, seulement, je serais banni ?
Branda plissa les yeux, sans répondre. Elle semblait arriver au bout de ses limites, comme si le questionnement de Théo lui rappelait de mauvais souvenirs. Qui sait ? C'était bien inscrit dans le livre : nous n'étions pas les premiers à visiter ce monde d'à côté, et tout portait à croire que nous ne serions pas les derniers. Et si, parmi ceux d'avant, quelqu'un avait souhaité faire revenir des morts à la vie, et que ça avait créé le chaos tel une armée de zombie au paradis ?
C'était glauque, mais en même temps, je devais avouer que ça me rendait curieuse.
— J'ai une question, fit Amy en levant la main. Est-ce qu'un peu, genre... avoir « des vœux pour emporter » ?
— Comme dans un fast food ? s'exclama Peter en éclatant de rire.
— Ici, vous pouvez en faire autant que vous voulez. Mais chez vous, les vœux ne fonctionneront pas, expliqua Branda, visiblement heureuse de changer de sujet. Mais si vous souhaitez ici que quelque chose se passe là-bas, il fonctionnera.
Alors ça, c'était une bonne nouvelle. La seule idée qui me venait en tête, en revanche, était d'empêcher mon père de me frapper si je récoltais de mauvaises notes. C'était tout ce qui m'importait. Même qu'avec celui-là, j'étais tentée d'enfreindre les recommandations de Branda et de dire le « pour toujours ».
— Vous avez encore des questions ? demanda Branda alors que le silence s'éternisait.
— Tout un tas ! m'exclamai-je à mon tour.
— Dommage, ça devra attendre demain. Au fait, ce placard, là, c'est votre porte de sortie. Et d'ailleurs, avant de partir, je vous conseille de souhaiter avoir une porte d'entrer, de l'autre côté. À moins que vous aimiez vraiment les rosier.
Avec un signe d'au revoir, Branda se précipita hors de la maison, nous laissant seuls. Je tournai la tête pour voir le fameux placard, tout au fond du salon. Il était sous un escalier.
— Quelle ironie, fit Peter dans un soupir. Pour revenir à la banale normalité, Harry retourne dans sa chambre, à Privet Drive.
J'étouffai un rire en pivotant vers lui.
— Tu en as beaucoup d'autres, des références ?
— Oh, c'est que tu ne me connais pas encore, répliqua Peter avec un sourire.
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