Beaucoup de questions et un peu de réponses. Dernière partie - Amy
J'avais couru partout comme une petite folle hyperactive pendant une bonne demi-heure avant que mon énergie me fasse défaut. Avec Xilena, ont avait exploré la maison une seconde fois, sautée sur les lits des quatre chambres à coucher, dévalé, remonté et redévalé la demi-douzaine d'escaliers, de la cave jusqu'au grenier. À la cave, on avait même découvert un passage secret qui menait directement au dernier étage, sans transition. Pas de grand couloir aux marches raides à gravir, c'était vraiment un portail qui allait de bas en haut en moins d'une seconde. Comme si une petite touche de fantaisie de plus ou de moins risquait de nous faire peur, au point où on en était.
Enfin épuisée, je m'affalai dans le canapé de la salle de jeux, au premier. Contrairement à tout ce qui était chic dans cette maison, cette pièce était faite un peu plus cosy, si ont exclu les consoles de toutes les marques et de tous les âges, de quoi satisfaire trois générations de gamer. Mais le sofa était vieillot, les décorations du style Pac-Man et Tetris plutôt simplet. C'était confortable, parfait pour relaxer.
— Tant d'énergie dans un si petit corps ! s'exclama Xilena en se laissant tomber dans un fauteuil en motif écossais.
— T'es plus petite que moi, dis-je en rougissant.
— T'es plus fine que moi.
Merci de me rappeler que j'ai pas de fesse. Mai même cette réflexion soudaine ne réussit à entacher mon bonheur. Je dansais sur un nuage rose, entouré de licorne et de barbe à papa. Pour un peu, j'aurai posé un genou à terre, une main sur le cœur et l'autre levé vers le ciel, chantant ma reconnaissance éternelle à l'autrice qui, toute sereine, vient de finir sa tisane et qui va bientôt aller se coucher. Elle est grippée et a le nez affreusement bouché, mais elle est fière de ce tendre moment de paix qu'elle m'accorde, l'âme allégée.
Je t'aime, petite autrice. Je suis désolée de tout ce que j'ai pu penser de toi auparavant.
(Je te pardonne, Amy. Profite bien.)
— Pour un peu, je croirais que t'as mangé des champignons magiques. T'as l'air... ailleurs, fit Xilena, qui semblait incapable de se décider entre s'inquiéter ou se foutre de ma gueule. Alors tes jambes, c'était si douloureux que ça ? Et ça durait depuis longtemps ?
— Plusieurs mois, déjà, dis-je en hochant la tête, les yeux scotchés au plafond. Et tu sais, quand on est évalué en cours de gym et qu'il faut donner son cent-dix pour cent, et le lendemain, t'as vraiment mal aux muscles ? Bah ça ressemblait à ça, comme douleur. Toujours dans les mollets. Parfois aussi les chevilles et les genoux. De temps en temps, ça monte jusqu'aux cuisses, mais ça, c'est plus rare.
— Aïe, s'exclama Xilena en grimaçant. Je hais le sport. Ressentir ça, tous les jours... Je te plains !
— Merci... Mais on s'y habitue.
Xilena fit un petit sourire compatissant, mais n'ajouta rien. Peut-être qu'elle avait peur de dire n'importe quoi et de passer pour une nouille, ce qui serait le comble pour quelqu'un d'aussi intelligent qu'elle.
Je grimaçai aussitôt à cette pensée. Rien ne prouvait qu'elle était particulièrement intelligente ou qu'elle ait une bonne mémoire, seulement qu'elle bossait comme une dingue.
— Et toi, dis-je en me redressant sur le canapé. À ton tour de parler.
— J'ai déjà tout dit tout à l'heure, dit Xilena en rougissant.
— Oui, mais j'ai plutôt l'impression que tu n'en as pas dit beaucoup. Tu pourrais, à la limite, radoter sur le même sujet. Ça va m'ennuyer et je devrais lutter de toute mes forces pour rester éveillée, mais je suis sûre que ça te fera tout de même du bien.
Xilena m'observa pendant de longues secondes, silencieuse, avant d'enchainer :
— T'as une drôle de façon de démontrer ta compassion.
— Je sais, mais parle, allez !
Xilena leva les yeux au ciel en pouffant, mais retrouva vite son sérieux. Elle tripota les manches de son pull, l'esprit ailleurs.
— Y'a vraiment pas grand-chose à dire. Je peux radoter sur ce que tu sais déjà, c'est tout.
Je l'encourageai d'un hochement vigoureux de la tête. Xilena y répondit d'un petit sourire.
— T'es drôlement gentille pour une populaire. Je t'avais imaginé plus snob.
— Eh bien... j'avoue être un peu différente quand je suis avec mes amies, dis-je d'un mouvement d'épaule.
— Tu n'es pas toi-même, tu veux dire. Tu fais genre pour plaire aux autres, au risque d'oublier qui tu es.
— Allez, on parle de toi, là ! dis-je en tapant dans mes mains. On focus sur la petite Chinoise !
Xilena me lança un regard mi-agacé, mi-amusé, avant de se mettre enfin à parler. Je l'écoutai à moitié, bien que ce fût moi qui lui avais balancé le sujet. Mais les faits qu'elle m'avait pointée juste comme ça, avec une telle évidence, m'avaient fait un choc. Oui, clairement, elle avait raison. Notre première conversation datait peut-être d'hier, mais je la trouvais déjà plus gentille que Laureline, ma meilleure amie.
Xilena me raconta alors comment, de l'amour inconditionnel qu'elle éprouvait pour ses vieux, elle en était venue à avoir peur d'eux. Comment ses parents, qui souhaitaient pour elle le meilleur avenir dont elle puisse rêver, s'étaient mis à chercher des moyens pour booster sa productivité. Et bien malgré elle, ils avaient trouvé le plus efficace.
— J'ai beau n'avoir jamais connu mon pays d'origine, je me sens vraiment comme un petit enfant dans une usine, fit Xilena avec une grimace.
Elle haussa les épaules, mal à l'aise. Je lâchai un soupir en repliant mes jambes en position d'indien, les coudes sur les genoux tout en me penchant vers elles.
— Ton histoire est super nulle. J'ai bien compris les arguments de ton père, mais d'un autre sens, je le comprends tellement pas... Je rêve de lui enfoncer mon pied dans le cul bien, bien profond. Jusqu'à ce que mes orteils lui ressortent par la gorge.
— Qui veut enfoncer le pied dans le cul d'un vieux monsieur ? s'exclama une voix depuis la porte. T'es bien jolie, Amy, tu peux surement trouver quelqu'un de ton âge qui voudra de toi.
Je plissai les yeux en tournant la tête vers Théo. Il était appuyé contre l'encadrement, l'air d'être là depuis un petit moment déjà à nous écouter. Il était si grand et à la fois si mince, vêtu de noir des pieds à la tête, qu'on pourrait le confondre avec une faucheuse, attendant dans un coin discret pour frapper de sa faux. L'image me fit frissonner alors que Théo s'avançait enfin dans la pièce, les yeux pétillants.
— Ça fait vingt minutes que je cherche la salle de jeux. Cette maison et si immense... Je pourrais ne plus jamais partir d'ici.
Il s'agenouilla devant les consoles, l'air de se demander laquelle essayer en premier. Il hésita un long moment face à la Xbox, pour finalement empoigner la manette de la PS4.
— On était en pleine conversation de fille, là, fit Xilena, menaçante.
— Ouais, les tampons me font pas peur. Je peux vous montrer mes condoms, en échange.
— T'es tellement vulgaire !
— Alors quoi, ce sont les conversations de mecs qui font peur, maintenant ?
— Fais pas attention à lui, il arrêtera jamais de répliquer, dis-je en secouant la tête. Viens, on va se trouver un autre coin.
Xilena approuva d'un petit marmonnement et me suivit hors de la pièce. Nous étions au premier et nous dûmes descendre un escalier pour revenir au rez-de-chaussée, atteignant ainsi directement le salon. Mais à peine arrivées que des bruits de pas se firent à nouveau entendre. Nous nous retournâmes pour, encore une fois, faire face à Théo.
— Je croyais que tu voulais gamer, dis-je, commençant à m'énerver. T'as conscience qu'on déploie beaucoup d'effort pour t'endurer ?
Théo demeura bête devant ma réplique, clignant plusieurs fois des yeux. Il observa ensuite un peu partout, l'air gauche.
— J'ai juste... pas envie d'être seul... Tant pis, je vais rentrer.
Il dévala les trois marches restantes et s'avança vers le placard. Il enfonça les mains dans les poches et dansa d'un pied sur l'autre.
Je me mordis la lèvre en même temps d'échanger un regard avec Xilena. Je savais avoir dit quelque chose de méchant, mais qui le méritait plus que Théo ? Je n'avais pas pensé que ça l'atteindrait à ce point.
Je fis un pas vers lui, hésitante. Je m'arrêtai à un mètre, n'osant pas approcher son aura grisâtre qui semblait émaner de lui tel un brouillant menaçant.
— On sait pas encore comment il fonctionne, ce placard. On devrait peut-être attendre que Peter soit avec nous.
Théo hocha la tête d'un air résigné, fit un petit soupir qui le rendit presque mignon, avant de crier à plein poumon :
— PETER, VIENS ICI TOUT DE SUITE !... S'IL TE PLAIT !
Xilena plaqua sa main sur sa bouche pour s'empêcher de pouffer. Théo lui lança un regard blasé, puis haussa les épaules.
— Ce genre de souhait devrait être interdit. Non, mais vous vous rendez compte ? On pourrait souhaiter faire ce qu'on veut de quelqu'un d'autre... En ce moment, Peter est en train de me violer ! Mais merde ! Je suis sérieux, en plus !
— C'est vrai ! m'exclamai-je, n'ayant pas vu les choses sous cet angle. Bon sang...
— Promis, me coupa Théo en plaquant une main sur son cœur. J'oserais jamais. Et de toute façon, t'es tellement petite et frêle, pas besoin de magie pour venir à bout de toi !
— Euh... c'est pas réconfortant !
— Non, non, c'est fois, je suis sérieusement sérieux. Je te demanderais la permission avant de te mettre dans mon lit. Et je respecterais ta décision, même si je comprendrais vraiment pas pourquoi tu refuserais.
Xilena fit un couinement en essayant de se retenir d'éclater de rire. Je lui lançai un regard menaçant, la mettant au défi de dire quelque chose, mais elle n'osa pas. Enfin : Théo a flashé sur moi ! Sérieusement ! Il est tellement bizarre que j'aurais plutôt imaginé qu'il flashe sur Xilena. (Mais c'est méchant de penser ça, hein ?)
Arrivant juste dans le bon moment, Peter fit son entrée dans la pièce, ses vêtements mouillés de sueur et ses cheveux frisés plaqués sur son front. Je fronçai le nez à l'odeur et fit un pas de côté, tentant d'échanger subtilement de place avec Xilena.
— On m'a demandée ? fit-il en toute innocence.
— Ouais, je veux entrer, répondit Théo qui grimaçait de dégout en le dévisageant. Et puisque c'est la première fois, on s'est dit qu'il valait mieux qu'on soit tous là pour comprendre comment ça marche.
— Pourquoi tu veux déjà entrer ? Ça fait qu'une demi-heure qu'on est ici. On a tout le temps de profiter !
— J'aurais plus de temps demain, aussi, puisque je sèche.
— Tu peux pas sécher, y'a un test d'anglais, demain !
— Et qu'est-ce que j'en ai à faire d'un test d'anglais ? s'étonna Théo.
Xilena ne sut quoi répondre à ça. Évidemment que Théo n'en avait rien à faire de ses notes. Il était naturellement assez doué pour passer ses cours avec juste ce qu'il faut, et il ne faisait jamais plus. S'il avait besoin de cinquante-cinq pour cent pour réussir un examen, il faisait cinquante-sept. Je le sais parce que j'aidais parfois les profs à distribuer les copies... avant que mes jambes ne m'en empêchent.
— OK, Branda nous avait conseillé de trouver un nouvel emplacement pour la porte d'entrée, dis-je pour changer de sujet. Alors, qu'est-ce qu'on choisi ?
— On peut regarder où on habite et prendre le lieu qui est le plus au centre ? proposa Peter.
Nous hochâmes tous la tête avant de nommer en même temps notre rue. En dehors de Peter et moi qui vivions plus ou moins dans le même quartier, nous étions tous éparpillés d'un sens et de l'autre de la ville. Le silence flotta un long moment alors que nous cherchions de l'inspiration, puis Théo pouffa de rire et lança son idée :
— OK, on est tous super éloignés. Pourquoi pas une porte qui bouge, dans ce cas ?
— Une porte qui bouge ? répétai-je, perplexe.
Peter s'esclaffa, les deux mains plaquées sur son gros ventre, avant d'expliquer ce qu'il avait compris.
— Le bus ! Mais oui, le petit vieux. Il avait tout prévu !
Ce fut mon tour de rire. Ce chauffeur qui n'arrêtait pas de nous dire que nous aurons besoin de ses tickets, il devait bien se moquer de nous, en ce moment. Mais je devais bien admettre que c'était une bonne idée.
— Je vois un problème potentiel, fit Xilena en croisant les bras. Le bus, il est public. N'importe qui risquerait de nous apercevoir y entrer et jamais y ressortir. Ce serait suspect.
Théo se pencha légèrement vers elle pour lui faire un sourire arrogant, avant de lancer :
— Je souhaite que personne n'y voie rien de suspect.
— OK, problème résolu, dit Xilena en se mordant la lèvre pour s'empêcher de rire.
— Et je souhaite que le bus ait une porte d'entrée pour ce monde, termina Théo en se redressant. (Il fit une petite pause, comme pour bien laisser comprendre que le vœu était fait, avant de reprendre la parole :) En fait, qu'est-ce qui nous défend d'avoir plusieurs portes ?
— C'est écrit dans le livre, trou duc', répliqua Peter avec une imitation assez réussie du sourire arrogant de Théo.
Théo lui lança un regard noir, mais n'ajouta rien. Il en était incapable, de toute façon.
— Une porte par groupe, c'était dit clairement, continua Peter. Tu le saurais si t'avais lu.
— Ouais, mais je lirais pas !
Peter ouvrit la bouche pour argumenter, mais Théo lui tourna le dos. Il ouvrit la porte de l'armoire et la referma derrière lui, s'enfermant dedans. Xilena l'ouvrit à nouveau, curieuse, mais ne trouva à l'intérieur qu'un petit débarras contenant balais, serpillère et autres produits ménagers. Aucune trace de Théo.
— Cool. Pratique pour jouer à cache-cache ! dis-je dans un rire.
— Alors on peut retourner s'amuser sans avoir la perche dans les pattes ! dit Peter avec un sourire.
— Ouais, reste si tu veux. Je vais rentrer, moi aussi.
— Moi aussi, je vois pas l'intérêt d'être seule ici, dit Xilena.
— Vous êtes nulles... OK, j'y vais aussi, soupira Peter en levant les yeux au ciel.
À la queue leu leu, nous nous engouffrâmes dans le placard. C'était assez étrange, mais heureusement, le passage s'agrandit et s'éclaircit rapidement, et la seconde d'après, nous étions tous les quatre dans le bus, assis sur les premiers bancs, juste derrière le chauffeur. L'impression était ressemblante à quand nous avions traversé sous le rosier, pour nous retrouver dans un lieu et même dans une position différente, mais bizarrement, le tout semblait parfaitement normal. Et c'était probablement ce qui était le plus inquiétant.
— Bonjour, les jeunes ! lança le vieux sans quitter la route des yeux. Vous êtes venus m'acheter ces tickets ? On s'était entendu sur dix dollars, c'est ça ?
J'échangeai un regard amusé avec Xilena avant de fouiller dans mes poches pour de la monnaie.
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