Back to the future. Troisième partie - Amy
J'étais choquée et abasourdie. Et plein d'autres trucs aussi, probablement.
Théo était là, juste devant moi, à la porte de sa maison. Il était en vie, dans le meilleur des deux mondes.
Puis il enfonça son poing dans le pif de Peter et s'enferma à nouveau à l'intérieur.
— Que... il s'est passé quoi ? s'exclama Peter en se relevant, essuyant son nez de sa manche. C'était Théo, ça ?
Ni Xilena ni moi ne pûmes répondre. Mais passé la surprise, la colère avait pris le dessus. Je m'avançai à nouveau vers la sonnette et y appuyai à pleine vitesse.
d-d-d-d-d-d-d-d-d-d-d-d-d-d-ding dong....
— Partez !
Je m'arrêtai, ma patience commençant à se faire dangereusement petite. Théo veut qu'on parte ? Il ne se rend pas compte qu'on s'inquiète pour lui ?!
J'abandonnai la sonnette et frappai du plat de ma main contre la porte.
— Il nous laissera pas entrer, dit Xilena.
— Oh si, il aura pas le choix ! grognai-je entre mes dents.
Je continuai mon manège une minute entière avant que la porte ne s'ouvre à nouveau. Je me préparai à hurler, le doigt accusateur en position, mais réussi à m'en empêcher à temps. Ce n'était pas Théo qui me faisait face, mais un homme d'une quarantaine d'années qui lui ressemblait beaucoup. C'était son père, bien sûr. Il était grand, exactement la même taille que son fils.
— Je peux vous aider ? demanda-t-il d'un air suspicieux.
— Nous voulons parler à Théo. Nous sommes ses amis.
Peter pouffa, se cachant la bouche derrière sa main. Je lui lançai un regard noir.
— Permettez-moi d'en douter, dit monsieur Proulx en plissant les yeux.
— De fortes connaissances, rectifiai-je. On a besoin de le voir.
— C'est vrai, insista Xilena. Amy n'abandonnera pas tant qu'elle n'aura pas eu ce qu'elle souhaite.
Drôle de façon de formuler les choses, pensai-je en échangeant une œillade avec Xilena. Nous sommes pourtant bien placés pour savoir qu'il faut faire attention à ce que l'on souhaite.
Monsieur Proulx soupira, nous fit signe d'attendre et retourna à l'intérieur. Je croisai les bras et fis face à Peter et Xilena.
— J'ai un mauvais pressentiment.
— Bah... au moins, il n'est pas mort ! fit Peter avec un petit sourire de travers.
— Oui, mais il est bizarre, dit Xilena. Il te frappe pas sans raison, d'habitude. Il doit y avoir quelque chose qui le tracasse.
— Tu veux rire ! C'est le contraire ; il me frappe quand il est de bonne humeur. C'est que dernièrement qu'il s'est un peu adouci...
— Dernièrement, sauf aujourd'hui, dis-je en faisant la grimace.
La porte s'ouvrit à nouveau, coupant court à notre discussion. Théo était là, l'air menaçant et les bras croisés sur son torse. Il semblait en colère, mais contre qui exactement ? J'aurais pour croire que c'était contre nous, et ça m'inquiétait un peu. Il n'avait pas de raison de nous en vouloir... si ? Et s'il croyait que c'était notre faute, qu'on l'avait abandonné ?
C'était difficile de lancer toutes ces questions à voix haute, étant donné que son père était toujours derrière lui, les mains sur les épaules de son fils pour l'empêcher de partir avant d'entendre ce qu'on avait à dire.
— Salut, dis-je avec un sourire.
Théo répondit d'un grognement blasé. On aurait dit qu'il préférait mourir que de subir cette conversation, et ça me fendait le cœur.
— Je suis désolée, pour ce matin.
— Nous le sommes tous, s'empressa d'ajouter Xilena.
— Même moi, j'ai eu peur pour toi, fit Peter.
Théo souleva un sourcil, mais demeura muet. Il en attendait encore plus ? Il était si en colère contre nous ? Au moins, il semblait l'être un peu moins qu'il y a une minute.
Sous le regard intrigué de son père, je me mis à genoux et levai mes mains en prière.
— Pardonne-nous, Théo ! On voulait pas t'abandonner ! Ça ne serait peut-être pas arrivé si on ne s'était pas séparé. Je te jure, Théo, nous sommes tellement désolés, vraiment beaucoup, beaucoup...
Théo secoua une main, comme pour me faire signe de me taire, et j'obéis aussitôt, toujours immobile à ses pieds. Il nous observa tour à tour de ses yeux bruns, presque noir. Je revoyais encore ceux jaunes et verticaux qu'il avait ce matin, cachés derrière. Comme si le vœu était encore là, quelque part. Après tout, ils étaient censés durer toute la journée jusqu'à minuit, comme cendrillon. Peut-être que notre apparence humaine n'était qu'un déguisement ?
Il valait mieux penser à autre chose avant que mon cerveau explose.
— Papa, tu peux nous laisser ? demanda Théo, rompant enfin le silence.
— Ça commence à devenir trop bizarre pour moi, de toute façon...
L'homme quitta le balcon, retournant à l'intérieur de sa maison et fermant la porte derrière lui. Théo attendit quelques secondes de plus, comme pour s'assurer qu'il n'était pas resté pour espionner la conversation, avant de se tourner vers nous.
— Je peux savoir de quoi vous parlez, exactement ?
— Dans la ruelle, dis-je en me relevant en m'agrippant aux ridelles. Tu étais seul quand Branda et compagnie t'est tombée dessus ; elle t'aurait pas eu aussi facilement si on avait été là, avec toi !
Théo prit une grande inspiration, leva les yeux au ciel, pencha la tête de côté, fronça les sourcils et se mordit la lèvre inférieure, le tout simultanément. Enfin, il pouffa de rire et croisa les bras, s'appuyant sur la porte derrière lui.
— Je vois toujours pas de quoi vous parlez, mais j'avoue que ça à l'air intéressant. Continue.
J'ouvris bêtement la bouche, puis la refermai et me retournai vers Xilena et Peter. Tous deux avaient le même regard qui signifiait « c'est quoi, ce bordel ? » Théo savait être un con quand il le voulait — et même quand il ne faisait pas exprès —, mais de là à ne pas savoir de quoi je parlais... C'était quand même marquant, comme évènement ! Comment oublier ça ?!
— Tu te souviens de ce qu'on a fait ce matin ? tenta Peter. Dans le monde d'à côté ? Avec les djinns et les chiens qui parlent...
— Je peux savoir ce que vous avez fumé ? l'interrompit Théo qui s'était remis à rire. Parce que j'en veux, moi aussi. Ça a vraiment l'air à de la bonne came.
— On n'a rien fumé ! s'énerva Peter. C'est toi qui as un problème, là ! T'as un trou dans cerveau, ou quoi ?
Théo leva le poing, prêt à se défendre contre l'insulte, mais Xilena s'élança aussitôt entre eux. Théo grimaça et baissa à nouveau la main, la cachant derrière son dos.
— Théo... est-ce que tu te souviens du monde d'à côté ? demanda Xilena.
— Aucune idée de quoi tu parles.
— Branda ? tentai-je à mon tour.
— Connais pas de Branda.
— Le bus ? Le parc ? Tout ça, depuis dimanche ? lança cette fois Peter.
Théo hésita une seconde, fronçant les sourcils. Je sentais mon cœur battre à une vitesse folle ; alors, c'était ça ! Branda et les autres djinns lui avaient effacé la mémoire. Il ne se souvenait plus de la magie, de cet univers parallèle... il ne se souvenait même plus de moi.
— Je croyais qu'on était dimanche, aujourd'hui, dit-il enfin. Mais mon père m'a convaincue qu'on est mercredi... Je veux dire, c'est normal de perdre la notion du temps, je suis pas allée en cours depuis...
Il haussa les épaules et regarda ailleurs, sans terminer sa phrase. Depuis que sa mère est morte. Il semblait complètement à plat, soudainement, comme si le simple fait de penser à sa mère lui prenait toute son énergie. Le peu de joie de vivre qu'il avait, si le monde d'à côté avait réussi à lui en apporter un peu, avait disparu à nouveau. Je revoyais le garçon dans son smoking, assis au fond du bus, le regard dans le vide. Il était revenu à ce niveau-là.
— Je me sens pas bien, aujourd'hui, dit Théo en se redressant. C'est pas le moment de me raconter je ne sais quelle histoire bizarre à propos de « monde d'à côté »... On se verra lundi en cours... jeudi. Enfin, demain. Et ce sera pas une raison pour chercher à prendre contact. Foutez-moi la paix.
— Non, attend ! m'écriai-je.
Trop tard ; il s'était déjà retourné et était entré dans la maison, refermant la porte derrière lui. J'entendis même le verrou se remettre en place.
Il nous avait abandonné sur le balcon, toutes les trois bouche bée devant cette triste réalité. Théo avait perdu la mémoire... Il était à nouveau ce punk en peine qui n'avait aucun lien avec nous. Est-ce qu'il valait mieux le laisser tranquille, maintenant ? Moi, je n'en avais pas envie. Je n'avais pas envie de le virer de ma vie si soudainement et... définitivement. Aussi difficile à supporter qu'il pût être parfois, je m'étais habituée à sa présence... et je l'aimais bien. Il était mon ami.
La tête basse, Xilena et Peter descendirent les marches du perron et s'arrêtèrent qu'une fois sur le trottoir pour se tourner vers moi, l'air de rire « tu nous suis, ou tu restes là ? ».
Je les suivis, à quelques pas de distance, pour retourner à l'école. Théo n'était qu'un ami, et même là, c'était tout juste. Et pourtant, j'avais du mal à retenir mes larmes de couler.
J'avais réellement perdu un ami. Et lui, il ne se souvenait pas de moi...
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